Жорж Санд - Consuelo

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effets de sonorité. Elle est plus grande que cela; elle a l'émotion pour

domaine. Son but est de l'inspirer, comme sa cause est d'être inspirée

par elle. Songe donc aux impressions de l'homme livré à la tourmente;

figure-toi un spectacle affreux, magnifique, terrible, un danger imminent:

place-toi, musicien, c'est-à-dire voix humaine, plainte humaine, âme

vivante et vibrante, au milieu de cette détresse, de ce désordre, de

cet abandon et de ces épouvantes; rends tes angoisses, et l'auditoire,

intelligent ou non, les partagera. Il s'imaginera voir la mer, entendre

les craquements du navire, les cris des matelots, le désespoir des

passagers. Que dirais-tu d'un poëte, qui, pour peindre une bataille, te

dirait en vers que le canon faisait _boum, boum_, et le tambour _plan,

plan_? Ce serait pourtant de l'harmonie imitative plus exacte que de

grandes images; mais ce ne serait pas de la poésie. La peinture elle-même,

cet art de description par excellence, n'est pas un art d'imitation

servile. L'artiste retracerait en vain le vert sombre de la mer, le ciel

noir de l'orage, la carcasse brisée du navire. S'il n'a le sentiment

pour rendre la terreur et la poésie de l'ensemble, son tableau sera sans

couleur, fût-il aussi éclatant qu'une enseigne à bière. Ainsi, jeune homme,

émeus-toi à l'idée d'un grand désastre, c'est ainsi que tu le rendras

émouvant pour les autres.»

Il lui répétait encore paternellement ces exhortations, tandis que la

voiture, attelée dans la cour de l'ambassade, recevait les paquets de

voyage. Joseph écoutait attentivement ses leçons, les buvant à la source,

pour ainsi dire: mais lorsque Consuelo, en mantelet et en bonnet fourré,

vint se jeter à son cou, il pâlit, étouffa un cri, et ne pouvant se

résoudre à la voir monter en voiture, il s'enfuit et alla cacher ses

sanglots au fond de l'arrière-boutique de Keller. Métastase le prit en

amitié, le perfectionna dans l'italien, et le dédommagea un peu par de

bons conseils et de généreux services de l'absence du Porpora; mais Joseph

fut bien longtemps triste et malheureux, avant de s'habituer à celle de

Consuelo.

Celle-ci, quoique triste aussi, et regrettant un si fidèle et si aimable

ami, sentit revenir son courage, son ardeur et la poésie de ses impressions

à mesure qu'elle s'enfonça dans les montagnes de la Moravie. Un nouveau

soleil se levait sur sa vie. Dégagée de tout lien et de toute domination

étrangère à son art, il lui semblait qu'elle s'y devait tout entière.

Le Porpora, rendu à l'espérance et à l'enjouement de sa jeunesse,

l'exaltait par d'éloquentes déclamations; et la noble fille, sans cesser

d'aimer Albert et Joseph comme deux frères qu'elle devait retrouver dans

le sein de Dieu, se sentait légère, comme l'alouette qui monte en chantant

dans le ciel, au matin d'un beau jour.

C.

Dès le second relais, Consuelo avait reconnu dans le domestique qui

l'accompagnait, et qui, placé sur le siège de la voiture, payait les guides

et gourmandait la lenteur des postillons, ce même heiduque qui avait

annoncé le comte Hoditz, le jour où il était venu lui proposer la partie

de plaisir de Roswald. Ce grand et fort garçon, qui la regardait toujours

comme à la dérobée, et qui semblait partagé entre le désir et la crainte de

lui parler, finit par fixer son attention; et, un matin qu'elle déjeunait

dans une auberge isolée, au pied des montagnes, le Porpora ayant été faire

un tour de promenade à la chasse de quelque motif musical, en attendant que

les chevaux eussent rafraîchi, elle se tourna vers ce valet, au moment où

il lui présentait son café, et le regarda en face d'un air un peu sévère et

irrité. Mais il fit alors une si piteuse mine, qu'elle ne put retenir un

grand éclat de rire. Le soleil d'avril brillait sur la neige qui couronnait

encore les monts; et notre jeune voyageuse se sentait en belle humeur.

«Hélas! lui dit enfin le mystérieux heiduque, votre seigneurie ne daigne

donc pas me reconnaître? Moi, je l'aurais toujours reconnue, fut-elle

déguisée en Turc ou en caporal prussien; et pourtant je ne l'avais vue

qu'un instant, mais quel instant dans ma vie!»

En parlant ainsi, il posa sur la table le plateau qu'il apportait; et,

s'approchant de Consuelo, il fit gravement un grand signe de croix, mit

un genou en terre, et baisa le plancher devant elle.

«Ah! s'écria Consuelo, Karl le déserteur, n'est-ce pas?

--Oui, signora, répondit Karl en baisant la main qu'elle lui tendait; du

moins on m'a dit qu'il fallait vous appeler ainsi, quoique je n'aie jamais

bien compris si vous étiez un monsieur ou une dame.

--En vérité? Et d'où vient ton incertitude?

--C'est que je vous ai vue garçon, et que depuis, quoique je vous aie bien

reconnue, vous étiez devenue aussi semblable à une jeune fille que vous

étiez auparavant semblable à un petit garçon. Mais cela ne fait rien: soyez

ce que vous voudrez, vous m'avez rendu des services que je n'oublierai

jamais; et vous pourriez me commander de me jeter du sommet de ce pic qui

est là haut, si cela vous faisait plaisir, je ne vous le refuserais pas.

--Je ne te demande rien, mon brave Karl, que d'être heureux et de jouir de

ta liberté; car te voilà libre, et je pense que tu aimes la vie maintenant?

--Libre, oui! dit Karl en secouant la tête; mais heureux... J'ai perdu ma

pauvre femme!»

Les yeux de Consuelo se remplirent de larmes, par un mouvement sympathique,

en voyant les joues carrées du pauvre Karl se couvrir d'un ruisseau de

pleurs.

«Ah! dit-il en secouant sa moustache rousse, d'où les larmes dégouttaient

comme la pluie d'un buisson, elle avait trop souffert, la pauvre âme!

Le chagrin de me voir enlever une seconde fois par les Prussiens, un long

voyage à pied, lorsqu'elle était déjà bien malade; ensuite la joie de me

revoir, tout cela lui a causé une révolution; et elle est morte huit jours

après être arrivée à Vienne, où je la cherchais, et où, grâce à un billet

de vous, elle m'avait retrouvé, avec l'aide du comte Hoditz. Ce généreux

seigneur lui avait envoyé son médecin et des secours; mais rien n'y a fait:

elle était fatiguée de vivre, voyez-vous, et elle a été se reposer dans le

ciel du bon Dieu.

--Et ta fille? dit Consuelo, qui songeait à le ramener à une idée

consolante.

--Ma fille? dit-il d'un air sombre et un peu égaré, le roi de Prusse me

l'a tuée aussi.

--Comment tuée? que dis-tu?

--N'est-ce pas le roi de Prusse qui a tué la mère en lui causant tout ce

mal? Eh bien, l'enfant a suivi la mère. Depuis le soir où, m'ayant vu

frappé au sang, garrotté et emporté par les recruteurs, toutes deux étaient

restées, couchées et comme mortes, en travers du chemin, la petite avait

toujours tremblé d'une grosse fièvre; la fatigue et la misère de la route

les ont achevées. Quand vous les avez rencontrées sur un pont, à l'entrée

de je ne sais plus quel village d'Autriche, il y avait deux jours qu'elles

n'avaient rien mangé. Vous leur avez donné de l'argent, vous leur avez

appris que j'étais sauvé, vous avez tout fait pour les consoler et les

guérir; elles m'ont dit tout cela: mais il était trop tard. Elles n'ont

fait qu'empirer depuis notre réunion, et au moment où nous pouvions être

heureux, elles se sont en allées dans le cimetière. La terre n'était pas

encore foulée sur le corps de ma femme, quand il a fallu recreuser le même

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