Жорж Санд - Consuelo
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lettre, qui n'avait jamais existé, put bien ne pas s'y trouver. Il
feignit de s'impatienter; Consuelo s'impatienta tout de bon. Elle mit
elle-même la main à la recherche; il la laissa faire. Elle renversa tous
les tiroirs, elle bouleversa tous les papiers. La lettre fut
introuvable. Le Porpora essaya de se la rappeler, et improvisa une
version polie et décisive. Consuelo ne pouvait pas soupçonner son maître
d'une dissimulation si soutenue. Il faut croire, pour l'honneur du vieux
professeur, qu'il ne s'en tira pas merveilleusement; mais il en fallait
peu pour persuader un esprit aussi candide que celui de Consuelo. Elle
finit par croire que la lettre avait servi à allumer la pipe du Porpora
dans un moment de distraction; et, après être rentrée dans sa chambre
pour faire sa prière, et jurer sur le cyprès une éternelle amitié au
comte Albert _quand même_, elle revint tranquillement signer un
engagement de deux mois avec le théâtre de Berlin, exécutable à la fin
de celui où l'on venait d'entrer. C'était le temps plus que nécessaire
pour les préparatifs du départ et pour le voyage. Quand Porpora vit
l'encre fraîche sur le papier, il embrassa son élève, et la salua
solennellement du titre d'artiste.
«Ceci est ton jour de confirmation, lui dit-il, et s'il était en mon
pouvoir de te faire prononcer des voeux, je te dicterais celui de renoncer
pour toujours à l'amour et au mariage; car te voilà prêtresse du dieu de
l'harmonie; les Muses sont vierges, et celle qui se consacre à Apollon
devrait faire le serment des vestales.
--Je ne dois pas faire le serment de ne pas me marier, répondit Consuelo,
quoiqu'il me semble en ce moment-ci que rien ne me serait plus facile
à promettre et à tenir. Mais je puis changer d'avis, et j'aurais à me
repentir alors d'un engagement que je ne saurais pas rompre.
--Tu es donc esclave de ta parole, toi? Oui, il me semble que tu diffères
en cela du reste de l'espèce humaine, et que si tu avais fait dans ta vie
une promesse solennelle, tu l'aurais tenue.
--Maître, je crois avoir déjà fait mes preuves, car depuis que j'existe,
j'ai toujours été sous l'empire de quelque voeu. Ma mère m'avait donné le
précepte et l'exemple de cette sorte de religion qu'elle poussait jusqu'au
fanatisme. Quand nous voyagions ensemble, elle avait coutume de me dire,
aux approches des grandes villes: Consuelita, si je fais ici de bonnes
affaires, je te prends à témoin que je fais voeu d'aller pieds nus prier
pendant deux heures à la chapelle le plus en réputation de sainteté dans
le pays. Et quand elle avait fait ce qu'elle appelait de bonnes affaires,
la pauvre âme! c'est-à-dire quand elle avait gagné quelques écus avec ses
chansons, nous ne manquions jamais d'accomplir notre pèlerinage, quelque
temps qu'il fit, et à quelque distance que fût la chapelle en vogue.
Ce n'était pas de la dévotion bien éclairée ni bien sublime; mais enfin,
je regardais ces voeux comme sacrés; et quand ma mère, à son lit de mort,
me fit jurer de n'appartenir jamais à Anzoleto qu'en légitime mariage,
elle savait bien qu'elle pouvait mourir tranquille sur la foi de mon
serment. Plus tard, j'avais fait aussi, au comte Albert, la promesse de ne
point songer à un autre qu'à lui, et d'employer toutes les forces de mon
coeur à l'aimer comme il le voulait. Je n'ai pas manqué à ma parole, et
s'il ne m'en dégageait lui-même aujourd'hui, j'aurais bien pu lui rester
fidèle toute ma vie.
--Laisse là ton comte Albert, auquel tu ne dois plus songer; et puisqu'il
faut que tu sois sous l'empire de quelque voeu, dis-moi par lequel tu vas
t'engager envers moi.
--Oh! maître, fie-toi à ma raison, à mes bonnes moeurs et à mon dévouement
pour toi! ne me demande pas de serments; car c'est un joug effrayant qu'on
s'impose. La peur d'y manquer ôte le plaisir qu'on a à bien penser et à
bien agir.
--Je ne me paie pas de ces défaites-là, moi! reprit le Porpora d'un air
moitié sévère, moitié enjoué: je vois que tu as fait des serments à tout
le monde, excepté à moi. Passe pour celui que ta mère avait exigé. Il t'a
porté bonheur, ma pauvre enfant! sans lui, tu serais peut-être tombée dans
les pièges de cet infâme Anzoleto. Mais, puisque ensuite tu as pu faire,
sans amour et par pure bonté d'âme, des promesses si graves à ce Rudolstadt
qui n'était pour toi qu'un étranger, je trouverais bien méchant que dans un
jour comme celui-ci, jour heureux et mémorable où tu es rendue à la liberté
et fiancée au dieu de l'art, tu n'eusses pas le plus petit voeu à faire
pour ton vieux, professeur, pour ton meilleur ami.
--Oh oui, mon meilleur ami; mon bienfaiteur, mon appui et mon père! s'écria
Consuelo en se jetant avec effusion dans les bras du Porpora, qui était si
avare de tendres paroles que deux ou trois fois dans sa vie seulement il
lui avait montré à coeur ouvert son amour paternel. Je puis bien faire,
sans terreur et sans hésitation, le voeu de me dévouer à votre bonheur et
à votre gloire, tant que j'aurai un souffle de vie.
--Mon bonheur, c'est la gloire, Consuelo, tu le sais, dit le Porpora en
la pressant sur son coeur. Je n'en conçois pas d'autre. Je ne suis pas de
ces vieux bourgeois allemands qui ne rêvent d'autre félicité que d'avoir
leur petite fille auprès d'eux pour charger leur pipe ou pétrir leur
gâteau. Je n'ai besoin ni de pantoufles, ni de tisane, Dieu merci; et
quand je n'aurai plus besoin que de cela, je ne consentirai pas à ce
que tu me consacres tes jours comme tu le fais déjà avec trop de zèle
maintenant. Non, ce n'est pas là le dévouement que je te demande, tu le
sais bien; celui que j'exige, c'est que tu sois franchement artiste, une
grande artiste! Me promets-tu de l'être? de combattre cette langueur,
cette irrésolution, cette sorte de dégoût que tu avais ici dans les
commencements, de repousser les fleurettes de ces beaux seigneurs qui
recherchent les femmes de théâtre, ceux-ci parce qu'ils se flattent d'en
faire de bonnes ménagères, et qui les plantent là dès qu'ils voient en
elles une vocation contraire; ceux-là parce qu'ils sont ruinés et que le
plaisir de retrouver un carrosse et une bonne table aux frais de leurs
lucratives moitiés les font passer par-dessus le déshonneur attaché dans
leur caste à ces sortes d'alliances? Voyons! me promets-tu encore de ne
point te laisser tourner la tête par quelque petit ténor à voix grasse et
à cheveux bouclés, comme ce drôle d'Anzoleto qui n'aura jamais de mérite
que dans ses mollets, et de succès que par son impudence?
--Je vous promets, je vous jure tout cela solennellement, répondit Consuelo
en riant avec bonhomie des exhortations du Porpora, toujours un peu
piquantes en dépit de lui-même, mais auxquelles elle était parfaitement
habituée. Et je fais plus, ajouta-t-elle en reprenant son sérieux: je jure
que vous n'aurez jamais à vous plaindre d'un jour d'ingratitude dans ma
vie.
--Ah cela! je n'en demande pas tant! répondit-il d'un ton amer: c'est plus
que l'humaine nature ne comporte. Quand tu seras une cantatrice renommée
chez toutes les nations de l'Europe, tu auras des besoins de vanité, des
ambitions, des vices de coeur dont aucun grand artiste n'a jamais pu se
défendre. Tu voudras du succès à tout prix. Tu ne te résigneras pas à le
conquérir patiemment, ou à le risquer pour rester fidèle, soit à l'amitié,
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