Жорж Санд - Consuelo
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soit au culte du vrai beau. Tu céderas au joug de la mode comme ils font
tous; dans chaque ville tu chanteras la musique en faveur, sans tenir
compte du mauvais goût du public ou de la cour. Enfin tu feras ton chemin
et tu seras grande malgré cela, puisqu'il n'y a pas moyen de l'être
autrement aux yeux du grand nombre. Pourvu que tu n'oublies pas de bien
choisir et de bien chanter quand tu auras à subir le jugement d'un petit
comité de vieilles têtes comme moi, et que devant le grand Haendel ou le
vieux Bach, tu fasses honneur à la méthode du Porpora et à toi-même, c'est
tout ce que je demande, tout ce que j'espère! Tu vois que je ne suis pas
un père égoïste, comme quelques-uns de tes flatteurs m'accusent sans doute
de l'être. Je ne te demande rien qui ne soit pour ton succès et pour ta
gloire.
--Et moi, je ne me soucie de rien de ce qui est pour mon avantage
personnel, répondit Consuelo attendrie et affligée. Je puis me laisser
emporter au milieu d'un succès par une ivresse involontaire; mais je ne
puis pas songer de sang-froid à édifier toute une vie de triomphe pour m'y
couronner de mes propres mains. Je veux avoir de la gloire pour vous, mon
maître; en dépit de votre incrédulité, je veux vous montrer que c'est pour
vous seul que Consuelo travaille et voyage; et pour vous prouver tout de
suite que vous l'avez calomniée, puisque vous croyez à ses serments, je
vous fais celui de prouver ce que j'avance.
--Et sur quoi jures-tu cela? dit le Porpora avec un sourire de tendresse
où la méfiance perçait encore.
--Sur les cheveux blancs, sur la tête sacrée du Porpora,» répondit Consuelo
en prenant cette tête blanche dans ses deux mains, et la baisant au front
avec ferveur.
Ils furent interrompus par le comte Hoditz, qu'un grand heiduque vint
annoncer. Ce laquais, en demandant pour son maître la permission de
présenter ses respects au Porpora et à sa pupille, regarda cette dernière
d'un air d'attention, d'incertitude et d'embarras qui surprit Consuelo,
sans qu'elle se souvînt pourtant où elle avait vu cette bonne figure un peu
bizarre. Le comte fut admis, et il présenta sa requête dans les termes les
plus courtois. Il partait pour sa seigneurie de Roswald, en Moravie, et,
voulant rendre ce séjour agréable à la margrave son épouse, il préparait,
pour la surprendre à son arrivée, une fête magnifique. En conséquence, il
proposait à Consuelo d'aller chanter pendant trois soirées consécutives
à Roswald, et il désirait même que le Porpora voulût bien l'accompagner
pour l'aider à diriger les concerts, spectacles et sérénades dont il
comptait régaler madame la margrave.
Le Porpora allégua l'engagement qu'on venait de signer et l'obligation de
se trouver à Berlin à jour fixe. Le comte voulut voir l'engagement, et
comme le Porpora avait toujours eu à se louer de ses bons procédés, il lui
procura le petit plaisir d'être mis dans la confidence de cette affaire,
de commenter l'acte, de faire l'entendu, de donner des conseils: après quoi
Hoditz insista sur sa demande, représentant qu'on avait plus de temps qu'il
n'en fallait pour y satisfaire sans manquer au terme assigné.
«Vous pouvez achever vos préparatifs en trois jours, dit-il, et aller à
Berlin par la Moravie.»
Ce n'était pas tout à fait le chemin; mais, au lieu de faire lentement
la route par la Bohême, dans un pays mal servi et récemment dévasté par
la guerre, le Porpora et son élève se rendraient très-promptement et
très-commodément à Roswald dans une bonne voiture que le comte mettait à
leur disposition ainsi que les relais, c'est-à-dire qu'il se chargeait des
embarras et des dépenses. Il se chargeait encore de les faire conduire de
même de Roswald à Pardubitz, s'ils voulaient descendre l'Elbe jusqu'à
Dresde, ou à Chrudim s'ils voulaient passer par Prague. Les commodités
qu'il leur offrait jusque-là abrégeaient effectivement la durée de leur
voyage, et la somme assez ronde qu'il y ajoutait donnait les moyens de
faire le reste plus agréablement. Porpora accepta, malgré la petite mine
que lui faisait Consuelo pour l'en dissuader. Le marché fut conclu, et le
départ fixé au dernier jour de la semaine.
Lorsque après lui avoir respectueusement baisé la main Hoditz eut laissé
Consuelo seule avec son maître, elle reprocha à celui-ci de s'être
laissé gagner si facilement. Quoiqu'elle n'eût plus rien à redouter des
impertinences du comte, elle lui en gardait un peu de ressentiment, et
n'allait pas chez lui avec plaisir. Elle ne voulait pas raconter au Porpora
l'aventure de Passaw, mais elle lui rappela les plaisanteries que lui-même
avait faites sur les inventions musicales du comte Hoditz.
«Ne voyez-vous pas, lui dit-elle, que je vais être condamnée à chanter sa
musique, et que vous, vous serez forcé de diriger sérieusement des cantates
et peut-être même des opéras de sa façon? Est-ce ainsi que vous me faites
tenir mon voeu de rester fidèle au culte du beau?
--Bast! répondit le Porpora en riant, je ne ferai pas cela si gravement que
tu penses; je compte, au contraire, m'en divertir copieusement, sans que
le patricien maestro s'en aperçoive le moins du monde. Faire ces choses-là
sérieusement et devant un public respectable, sera en effet un blasphème
et une honte; mais il est permis de s'amuser, et l'artiste serait bien
malheureux si, en gagnant sa vie, il n'avait pas le droit de rire dans sa
barbe de ceux qui la lui font gagner. D'ailleurs, tu verras là ta princesse
de Culmbach, que tu aimes et qui est charmante. Elle rira avec nous,
quoiqu'elle ne rie guère, de la musique de son beau-père.»
Il fallut céder, faire les paquets, les emplettes nécessaires et les
adieux. Joseph était au désespoir. Cependant une bonne fortune, une grande
joie d'artiste venait de lui arriver et faisait un peu compensation, ou
tout au-moins diversion forcée à la douleur de cette séparation. En jouant
sa sérénade sous la fenêtre de l'excellent mime Bernadone, l'arlequin
renommé du théâtre de la porte de Carinthie, il avait frappé d'étonnement
et de sympathie cet artiste aimable et intelligent. On l'avait fait monter,
on lui avait demandé de qui était ce trio agréable et original. On s'était
émerveillé de sa jeunesse, et de son talent. Enfin on lui avait confié,
séance tenante, le poëme d'un ballet intitulé le Diable Boiteux, dont il
commençait à écrire la musique. Il travaillait à cette tempête qui lui
coûta tant de soins, et dont le souvenir faisait rire encore le bonhomme
Haydn à quatre-vingts ans. Consuelo chercha à le distraire de sa tristesse,
en lui parlant toujours de sa tempête, que Bernadone voulait terrible,
et que Beppo, n'ayant jamais vu la mer, ne pouvait réussir à se peindre.
Consuelo lui décrivait l'Adriatique en fureur et lui chantait la plainte
des vagues, non sans rire avec lui de ces effets d'harmonie imitative,
aidés de celui des toiles bleues qu'on secoue d'une coulisse à l'autre à
force de bras.
«Écoute, lui dit le Porpora pour le tirer de peine, tu travaillerais
cent ans avec les plus beaux instruments du monde et les plus exactes
connaissances des bruits de l'onde et du vent, que tu ne rendrais pas
l'harmonie sublime de la nature. Ceci n'est pas le fait de la musique.
Elle s'égare puérilement quand elle court après les tours de force et les
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