DU GUESCLIN
Voici l’Anglais Gautier Romas.
LA DUCHESSE, à Du Guesclin.
Merci, je savais bien qu’il n’échapperait pas
A Bertrand Du Guesclin.
DU GUESCLIN
J’avais suivi sa trace ;
Je le savais caché près de la porte basse.
Aussitôt qu’a sonné l’heure du rendez-vous,
Je n’eus qu’à le saisir comme l’on prend des loups.
LA DUCHESSE, au comte.
Il est mon prisonnier. Nous changeons l’un pour l’autre.
Montrant Valderose, puis montrant Gautier Romas.
Celui-là m’appartient. Comte, voici le vôtre.
LE COMTE, la face terrible, debout devant Gautier Romas.
Ah ! nous avons tramé des complots assez laids
Venant d’un chevalier, mais dignes d’un Anglais.
Un combat ne vaut point la ruse lâche et sourde,
Et l’amour d’une femme est une arme moins lourde
Qu’une épée, et pourtant meilleure à vos succès.
Indiquant la fenêtre d’un geste furieux.
Vous irez à l’étang, messire, et sans procès.
Boisrosé et Kerlevan s’emparent du prisonnier et le portent vers la fenêtre.
LA DUCHESSE , montrant au comte Valderose agenouillé devant elle et qui lui baise les mains.
Pardon pour cet enfant, comte.
LE COMTE
On entend le bruit du corps de Gautier Romas qui tombe dans l’eau. Le comte se retourne, puis, courant vers les lits, il saisit le corps de sa femme, l’emporte jusqu’à la fenêtre où l’on a jeté l’Anglais et la précipite à son tour.
LE COMTE, hurlant par la fenêtre au dehors.
Et maintenant, prends-la, félon, je te la donne !
FIN
LA DEMANDE (1876)
FRAGMENT DE PIECE
Un homme du monde marié a une maîtresse, la femme de cet homme va avoir un amant. Et c'est le secret pressentiment d'être trahi qui fera revenir soudain l'homme du monde à sa femme.
Le sujet est mince ; Maupassant s'était surtout attaché à camper ses personnages, à rendre leurs propos, à restituer dans un style nerveux l'atmosphère factice de cette société.
Sallures, l'homme du monde, définit le salon tel qu'il le voudrait.
SALLURES
Quelques hommes d'esprit et quelques jeunes femmes, et pas de foule.
MADAME SALLURES
C'est impossible. On ne peut fermer sa porte.
JACQUES, l'ami de Mme Sallures
Oui, le monde aujourd'hui c'est la foule. C'est une coulée de gens à travers mille salons, dont toutes les ouvertures sont béantes.
SALLURES
Il n'y a donc plus d'hommes amusants ?
JACQUES
Oui, il y en a, mais ils ne sont pas amusants dans le monde.
SALLURES
Pourquoi ?
JACQUES
Parce qu'ils sont toujours interrompus et troublés par les sots.
SALLURES
Alors on exclut les sots.
JACQUES
Impossible.
SALLURES
Pourquoi encore ?
JACQUES
Parce que c'est l'élite.
SALLURES
Comment l'élite ?
JACQUES
Oui, l'élite de la société est formée de gens considérablement honorables, vénérés, connus et titrés, mais souverainement assommants, ignorants et vaniteux qu'il est impossible de ne pas recevoir.
(Incomplet ou inachevé.)
UNE REPETITION (1876)
COMEDIE
PERSONNAGES
— M. DESTOURNELLES, 55 ans.
— Madame DESTOURNELLES, 25 ans.
— M. René LAPIERRE, 25 ans.
— un domestique.
Un salon. Portes au fond et à droite. Madame Destournelles, habillée en bergère Watteau, arrange sa coiffure devant la glace.
SCENE PREMIERE
M. DESTOURNELLES, en redingote, prêt à sortir, entre par la porte de droite, et s'arrête stupéfait en apercevant sa femme.
M. DESTOURNELLES
Madame, qu'est-ce donc que cette mascarade ?
Je comprends ! vous allez jouer quelque charade !
Mme DESTOURNELLES
Vous l'avez dit, monsieur.
M. DESTOURNELLES
Le costume est charmant.
Vous êtes adorable en cet accoutrement.
Mme DESTOURNELLES
Fi donc ! des compliments ?… Mais je suis votre femme,
À quoi bon ?
M. DESTOURNELLES
La réplique est cruelle, madame.
Je dis la vérité simple, c'est mon devoir
Et d'homme et de mari.
Mme DESTOURNELLES
M. DESTOURNELLES
Peut-on savoir
À quel sujet ma femme est devenue actrice,
Et poète peut-être, ou collaboratrice
De quelque auteur fameux ? J'ignorais jusqu'ici
Que l'art vous eût jamais causé quelque souci.
Pardon. Et la charade ?
Mme DESTOURNELLES
M. DESTOURNELLES
Bravo ! vous chaussez donc le socque de Thalie ?
Alors, si ce n'est point être trop indiscret,
Pourrais-je, en vous priant, connaître le sujet ?
Mme DESTOURNELLES
M. DESTOURNELLES
Parfait ! c'est une bucolique !
Et, l'avez-vous choisie avec ou sans musique ?
Mme DESTOURNELLES
M. DESTOURNELLES
Mme DESTOURNELLES
Et pourquoi, s'il vous plaît ?
M. DESTOURNELLES
À mon avis du moins, c'eût été plus complet
Je suis très pastoral. Je trouve que sur l'herbe
Un petit air de flûte est d'un effet superbe.
Et puis tout vrai berger, étendu sous l'ormeau,
Ne doit chanter l'amour qu'avec un chalumeau.
C'est l'accompagnement forcé de toute idylle :
L'usage en est resté depuis le doux Virgile.
Mme DESTOURNELLES ironique
Je ne vous savais point si pétillant d'esprit.
J'avais, jusqu'à ce jour, méconnu mon mari.
À présent je voudrais vous faire prendre un rôle ;
En marquis Pompadour vous seriez vraiment… drôle.
M. DESTOURNELLES un peu blessé
Madame, c'est très vrai. Qui pourrait faire bien
Une chose à laquelle on n'entend juste rien ?
Mme DESTOURNELLES
Vous en voulez beaucoup à cette comédie ?
M. DESTOURNELLES
Certes ; je n'aime pas les bergers d'Arcadie !
Et puis je veux laisser à chacun son métier.
Tout le monde, il est vrai, pourrait être portier ;
Mais acteur… oh non pas ! Cela c'est autre chose.
Vous ignorez comment on rit, on marche, on cause
Quand on a, par hasard, un public devant soi.
Votre grand naturel est de mauvais aloi.
Mme DESTOURNELLES nerveuse
Je sais depuis longtemps cette vieille rengaine.
M. DESTOURNELLES pédant
Le vrai dans un salon est du faux sur la scène,
Et le vrai sur la scène est faux dans un salon !
L'actrice, dans le monde, a souvent mauvais ton,
Je vous l'accorde, mais, quand vous prenez sa place,
Votre plus doux sourire a l'air d'une grimace.
Mme DESTOURNELLES sèchement
Et vos charmants conseils ont l'air impertinent.
Est-ce fini ?
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