se tournant vers René qui la regarde fixement en l'écoutant
Mais que faites-vous donc, Monsieur, je vous attends ?
M. RENÉ
Mme DESTOURNELLES
C'est moi qui vous écoute.
Vous n'avez pas de temps à perdre. Allons, en route.
Eh bien ?
M. RENÉ après une longue hésitation
Je ne sais plus du tout le premier vers.
Mme DESTOURNELLES furieuse
Monsieur, vous commencez à m'agacer les nerfs.
M. RENÉ
Quand j'aurai le premier, tous viendront à la suite.
Mme DESTOURNELLES
Certes, ils viendront. À moins qu'ils ne prennent la fuite.
M. RENÉ se frappant le front
Comme on oublie ! Allons, soufflez-moi, rien qu'un peu.
Mme DESTOURNELLES
Ah ! puissé-je, en soufflant, rallumer votre feu.
Elle souffle.
M. RENÉ il récite avec embarras
Je te vis, charmante bergère,
Assise, un jour, sur la fougère ;
Oui, là-bas, je te vis un jour ;
Et tout mon cœur brûla d'amour ;
Non point de flamme passagère
Qui s'éteint, trompeuse et légère.
C'est d'un indestructible amour
Que je brûlai, douce bergère,
Quand je te vis sur la fougère…
C'est bien ?
Mme DESTOURNELLES
« C'est bien » n'est pas au rôle, assurément.
Et puis ce serait bien… si c'était autrement.
M. RENÉ
Mme DESTOURNELLES
Pourquoi ? vous êtes détestable
Comme un petit garçon qui récite une fable.
Votre voix, votre corps, vos gestes sont en bois.
Avez-vous aimé ?
M. RENÉ très étonné
Mme DESTOURNELLES
M. RENÉ
Mme DESTOURNELLES
Eh bien, racontez-moi cela.
M. RENÉ
Mme DESTOURNELLES
Vos conquêtes ;
Car je ne vous vois pas faisant tourner les têtes.
M. RENÉ
Je ne dirai point si j'ai réussi…
Mme DESTOURNELLES
Toujours ?
Non. Vous ne devez pas être heureux en amours.
Eh bien ! nous allons voir ce que vous savez faire.
Supposons qu'une femme, habile en l'art de plaire,
Se trouve en tête-à-tête avec vous. Son… esprit
Dès longtemps attira votre cœur et le prit.
— Supposons que je sois cette femme charmante —
Vous voulez exprimer l'amour qui vous tourmente ;
Nous sommes tous deux seuls. — Allez. —
Elle attend. Il reste debout devant elle dans une pose embarrassée.
Eh bien, c'est tout ?
On peut sans péril écouter jusqu'au bout.
Alors changeons de rôle, et soyez la bergère.
Je vais improviser. Asseyez-vous ; — ma chère.
Elle prend le chapeau du marquis ; s'en coiffe ; fléchit un genou devant lui, et, avec une moquerie dans la voix.
Je cours après le bonheur ;
Plus je cours, plus il va vite.
Mais ce bonheur qui m'évite,
Dis, n'est-il pas dans ton cœur ?
Je cherche la douce fièvre ;
Mais elle me fuit toujours.
Cette fièvre des amours,
N'est-elle pas sur ta lèvre ?
Pour les trouver j'ai dessein
De baiser, ô ma farouche,
Et ton âme sur ta bouche,
Et ton doux cœur sur ton sein.
Elle le regarde en riant, puis, se relevant.
Il l'embrasse. Êtes-vous une bergère en Sèvres ?
Troublez-vous. Qu'un soupir s'échappe de vos lèvres.
Baissez les yeux, tremblez, pâlissez, rougissez.
changeant de ton — d'une voix brève
Çà, nous ne ferons rien. Cher monsieur, c'est assez.
M. RENÉ brusquement
Je suis mauvais, la faute en est à mon costume ;
Si j'étais en habit tout simple, je présume
Que je saurais sans peine exprimer mon amour.
À l'époque fleurie où régnait Pompadour,
Presque autant que la tête on poudrait la pensée ;
Et la phrase ambiguë, avec soin cadencée,
Semblait une chanson aux lèvres des amants.
Ils avaient en l'esprit encor plus d'ornements
Que de rubans de soie à leur fraîche toilette.
L'amant était léger, l'amante était follette.
Ils ne se permettaient que de petits baisers
Pour ne point faire tort à leurs cheveux frisés ;
Et gardaient tant de grâce et de délicatesse
Qu'un mot un peu brutal eût rompu leur tendresse.
Mais aujourd'hui, qu'on a décousu pour toujours
La pompe des habits et celle des discours,
Nous ne comprenons plus ces futiles manières ;
Et pour se faire aimer il faut d'autres prières,
Plus simples mais aussi plus ardentes.
Mme DESTOURNELLES
Il faut,
Cher monsieur, pour jouer un rôle sans défaut,
Se mettre, avec l'habit, la peau du personnage ;
Sentir avec son cœur, penser selon son âge,
Aimer comme il aimait.
M. RENÉ
Mais moi, si j'aime aussi.
Mme DESTOURNELLES
M. RENÉ
Mme DESTOURNELLES
M. RENÉ
Mme DESTOURNELLES
Alors vous avez dû lui dire : « Je vous aime. »
Rappelez-vous le ton, et puis faites de même.
M. RENÉ
Non. Je n'ai point osé lui dire.
Mme DESTOURNELLES
C'est discret.
Vous avez donc pensé qu'elle devinerait ?
M. RENÉ
Mme DESTOURNELLES
Mais qu'espérez-vous alors ?
M. RENÉ
Mme DESTOURNELLES
C'est faux. L'homme toujours espère quelque chose.
M. RENÉ
Je ne veux qu'un sourire, un mot, un bon regard.
Mme DESTOURNELLES
M. RENÉ
Rien de plus. À moins que le hasard,
Un jour, plaide ma cause.
Mme DESTOURNELLES
Oh ! le hasard ne plaide,
N'oubliez point ceci, que pour celui qui l'aide.
M. RENÉ
Je souffre horriblement de n'oser point parler.
Son œil, quand il me fixe, a l'air de m'étrangler ;
J'ai peur d'elle.
Mme DESTOURNELLES
Mon Dieu ! que les hommes sont… bêtes.
Savez-vous point encore, ignorant que vous êtes,
Que ces compliments-là ne nous blessent jamais.
Vous verriez, si j'étais un homme, et si j'aimais.
René saisit ses mains et les baise avec passion. Elle les retire vivement, très étonnée, un peu fâchée.
Je n'autorise pas ces manières trop lestes ;
La parole suffit, monsieur, gardez vos gestes.
M. RENÉ tombant à ses genoux
Certes, j'étais timide et grotesque. Pourquoi ?
Je craignais que mon cœur éclatât malgré moi !
Et qu'au lieu des fadeurs de ces propos frivoles,
Ce cœur qui débordait ne dit d'autres paroles.
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