Elle ouvre une espèce de trappe dans la muraille de droite et y pousse Valderose.
Ce passage conduit aux fossés ; c’est étroit
Et bas ; mais l’on n’en peut sortir par d’autre route
Que celle-ci. Du moins, là, je te garde. Écoute,
Tu resteras tout contre la porte, à genoux,
Et lorsque je dirai : « Cher seigneur, dormez-vous ? »
Ce sera l’heure ; va.
Elle referme la trappe sur lui, puis, seule, en revenant au milieu de la scène :
Quelque soit ton envie !
Tu ne peux m’échapper maintenant, car ta vie
M’assure ton courage.
SCENE III
LE COMTE ; LA COMTESSE ; SUZANNE D’ÉGLOU ; PIERRE DE KERSAC dans la coulisse.
LE COMTE, à PIERRE DE KERSAC, resté dans la coulisse.
à SUZANNE D’ÉGLOU
Maintenant laissez-nous, ma chère enfant. Merci.
Elle sort.
SCENE IV
LE COMTE ; LA COMTESSE.
LA COMTESSE, lui passant ses bras autour du cou.
Enfin, nous sommes seuls, mon doux Seigneur et Maître,
Votre amour avec vous m’est-il rendu ?
LE COMTE, grave.
LA COMTESSE, avec inquiétude.
LE COMTE, tendrement, mais un peu vite.
Je veux dire qu’à ton côté,
Lorsque je suis parti, mon amour est resté.
Où que j’aille, mon cœur auprès de toi demeure.
Pour ne plus nous aimer il faut qu’un de nous meure.
LA COMTESSE, l’entraînant vers l’estrade où sont les lits.
Viens, la nuit sera longue !
LE COMTE, lentement.
Autant que tous les jours
Où j’ai souffert, bien longue.
LA COMTESSE
Et nos baisers trop courts.
LE COMTE, comme machinalement.
LA COMTESSE
Vous chancelez comme ferait un homme
Ivre.
LE COMTE
Moi je fléchis sous un poids qui m’assomme.
LA COMTESSE, avec inquiétude.
LE COMTE
Non, non, c’est un affaissement
Étrange, une torpeur qui depuis un moment
M’enveloppe. Mon œil s’éteint, mon front me pèse,
Mon cœur s’arrête.
LA COMTESSE
Ce n’est rien, quelque malaise
De fatigue.
LE COMTE
Mon corps, mon esprit, tout s’endort.
Comme certains sommeils ressemblent à la mort.
LA COMTESSE
LE COMTE
LA COMTESSE, le conduisant vers son lit où il s’étend tout habillé.
LE COMTE, sur son lit.
Que le sommeil est bon ! Que vois-je à la fenêtre ?
LA COMTESSE
LE COMTE
Elle a l’air de regarder ici.
Éveillez-moi dés l’aube.
LA COMTESSE
Oh ! n’ayez nul souci ;
J’y penserai.
LE COMTE, s’endormant.
J’ai peine à parler, chaque phrase
M’échappe. D’où vient donc ce sommeil qui m’écrase ?
Il me semble qu’il va durer bien longtemps.
Il s’endort.
LA COMTESSE, le regardant.
Non. Il sera court. A moins qu’il ne change de nom.
Elle lui prend la main, qui reste inerte ; puis elle redescend, se dépouille de sa robe de chambre en velours noir et apparaît en toilette de nuit toute blanche. Après être remontée sur l’estrade entre les lits, elle regarde le comte endormi.
Il ne reverra plus personne, c’est donc comme
S’il était mort. C’est bien peu de chose qu’un homme.
Elle monte sur son lit et reste appuyée sur un coude à regarder son mari.
Oh ! quel bruit fait mon cœur ! Il bat ces larges coups
Qu’on frappe au flanc des tours. Cher Seigneur, dormez-vous ?
Dormez-vous, cher Seigneur ?
Valderose sort de sa cachette, pâle comme un mort et chancelant.
SCENE V
LA COMTESSE ; JACQUES DE VALDEROSE.
JACQUES DE VALDEROSE, s’avançant péniblement jusqu’au pied du lit de la comtesse.
J’ai peur, j’ai peur, madame !
Je sens comme une griffe enfoncée en mon âme.
LA COMTESSE, violemment.
JACQUES DE VALDEROSE
Je n’ose pas le regarder encore.
LA COMTESSE
Tu le regarderas après, frappe d’abord.
JACQUES DE VALDEROSE, éperdu.
LA COMTESSE, d’une voix plus douce.
Eh bien ! soit, rien ne presse.
L’appelant de ses bras.
Viens-t’en. Regarde-moi. Connais-tu cette ivresse
Qui s’élève d’un lit de femme ? As-tu rêvé
Tout ce que peut donner l’amour, et soulevé
Dans ta pensée, un soir, le drap blanc de ma couche ?
As-tu jamais senti deux lèvres sur ta bouche ?
Connais-tu ce baiser profond, plein de sursauts,
Qui vous font tressaillir la moelle dans les os ?
Sinon, tu ne sais pas tout ce qu’on peut commettre.
Elle l’attire. Valderose résiste et veut se retourner vers le comte. Alors elle, violemment.
Aurais-tu peur de moi comme de ce vieux maître
Qui fait trembler ton bras servile, et n’oses-tu
Me toucher plus que lui dans ta lâche vertu ?
Valderose s’abat sur ses lèvres.
JACQUES DE VALDEROSE, se relevant.
Assez, je n’en puis plus.
LA COMTESSE
JACQUES DE VALDEROSE
Maintenant que j’ai bu ta caresse mortelle,
Oui, j’en ai.
LE COMTE, se dressant brusquement et arrachant le poignard que Valderose tenait à la main.
Sa caresse est mortelle pour toi.
Appelant d’une voix forte.
Kersac paraît.
Dis à tous ceux qui dorment sous mon toit
De venir. Et préviens la duchesse elle-même.
Kersac sort.
LE COMTE, après avoir contemplé quelque temps sa femme et son amant, comme prenant une résolution.
Aimes-tu cette femme, enfant ? Réponds.
JACQUES DE VALDEROSE, fort bas.
LE COMTE
L’aimes-tu d’un amour terrible et sans pardon,
Jaloux et sans pitié, m’entends-tu ? Réponds donc
JACQUES DE VALDEROSE, de même.
LE COMTE
Voici ton poignard, je te le rends ; regarde
Où bat son cœur, et frappe. Enfonce-lui la garde
Dans la chair.
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