JACQUES DE VALDEROSE, se calmant.
Mais de mes faux espoirs et de mes songes fous ;
Car je rêve sans fin, et je crois arrivées
Les choses qu’en mes jours de bonheur j’ai rêvées.
SUZANNE D’ÉGLOU, triste.
Au réveil, bien souvent, le songe était trompeur.
Quand il a disparu, c’est dur.
JACQUES DE VALDEROSE
Je n’ai pas peur.
L’espérance que j’ai capturée est de celles
Qui ne s’envolent point, quoique battant des ailes
Dans mon cœur, et chantant comme un oiseau des bois.
SUZANNE D’ÉGLOU
Hélas ! j’ai trop souvent connu sa douce voix ;
Mais que c’est triste après, après, quand rien ne chante !
JACQUES DE VALDEROSE
Vous voulez m’effrayer ; que vous êtes méchante !
SUZANNE D’ÉGLOU, s’animant.
Méchante, non, monsieur, vous ne le croyez point !
Je voudrais… Êtes-vous donc aveugle à ce point
De ne rien deviner et de ne pas comprendre
Que les piéges d’amour sont faciles à tendre ?
Je n’en puis dire plus… pourtant… je le voudrais.
JACQUES DE VALDEROSE, étonné.
De quoi parlez-vous donc ?
SUZANNE D’ÉGLOU, avec autorité.
Je parle de secrets
Que l’on n’aborde point entre gens de notre âge.
Mais je suis la plus jeune et je suis la plus sage,
Ayant le cœur mieux clos et les yeux moins fermés.
JACQUES DE VALDEROSE
Mais j’ai les yeux ouverts.
SUZANNE D’ÉGLOU
JACQUES DE VALDEROSE
SUZANNE D’ÉGLOU
JACQUES DE VALDEROSE
SUZANNE D’ÉGLOU
Qu’importe… Je devine ;
Écoutez-moi ; je sais des ruses qu’on combine.
On cherchera peut-être à gagner votre foi,
A vous faire tourner contre nous et le Roi.
A troubler les cœurs la tendresse est sujette.
Quand elle devient vile un homme la rejette.
Sachez ne point céder votre âme au tentateur,
Ni, pour un peu d’amour, vendre beaucoup d’honneur.
JACQUES DE VALDEROSE
SUZANNE D’ÉGLOU
Souvenez-vous de n’être jamais traître ;
Quel qu’il soit, de servir droitement votre maître ;
De craindre toute femme et de n’y pas songer,
Car son œil est limpide et son cœur mensonger ;
De rester toujours loin de toute vilenie ;
D’être noble d’esprit comme de nom.
JACQUES DE VALDEROSE
Je nie
Qu’aucun amour, jamais, me puisse perdre ainsi.
SUZANNE D’ÉGLOU
JACQUES DE VALDEROSE
SUZANNE D’ÉGLOU
Merci. Allez voir maintenant ce qui vient par la plaine,
Et votre cœur battra, non d’amour, mais de haine.
Et cette haine-là, monsieur, c’est le devoir.
JACQUES DE VALDEROSE
SUZANNE D’ÉGLOU
JACQUES DE VALDEROSE, sortant gaiement.
SCENE IV
SUZANNE D’ÉGLOU, seule.
Elle reste debout au milieu de l’appartement et pleure.
Coulez, larmes… Avant que vous soyez taries,
Mes cheveux seront blancs et mes lèvres flétries.
Elle se jette à genoux devant le grand Christ en sanglotant et tenant la tête dans ses mains.
Fallait-il justement, mon Dieu, que ce fût lui !
Elle pleure encore.
Sitôt qu’on l’entrevoit, comme le bonheur fuit !
Comme ils sont payés chers, les espoirs qu’il accorde !
Relevant la tête vers le Christ.
Il n’est donc nulle part une Miséricorde
Quand le malheur aveugle a trop broyé quelqu’un ?
Oh ! tes parts ne sont pas égales pour chacun,
Fatalité ; le bras est injuste qui frappe.
Se relevant en chancelant.
Comme je me sens faible et comme tout m’échappe !
SCENE V
LA COMTESSE ; PIERRE DE KERSAC.
La comtesse apparaît subitement à la porte de gauche, pendant que Pierre de Kersac se précipite par celle de droite.
PIERRE DE KERSAC, à la comtesse.
Madame, les Anglais sont autour du château,
Et je crois qu’il l’instant ils vont donner l’assaut.
LA COMTESSE
Faites votre devoir, monsieur.
PIERRE DE KERSAC, avec hauteur.
J’ai l’habitude
De le faire toujours.
LA COMTESSE
Le combat sera rude,
Vous êtes peu nombreux, et je crains fort.
PIERRE DE KERSAC
Nous sommes,
Madame, bien assez, n’étant point de ces hommes
Qui comptent l’ennemi vivant ; dans un combat,
On compte seulement chaque front qu’on abat.
SCENE VI
LES MÊMES, plus YVES DE BOISROSÉ avec une barrique sur l’épaule.
YVES DE BOISROSÉ, soufflant.
PIERRE DE KERSAC
YVES DE BOISROSÉ
PIERRE DE KERSAC
YVES DE BOISROSÉ
Oh ! d’abord à ma lèvre,
Puis à ces bons Anglais que je veux enivrer !
PIERRE DE KERSAC
YVES DE BOISROSÉ
Pas du tout. Je vais leur préparer
Une boisson très chaude et très saine aux entrailles.
Car, lorsqu’ils auront mis une échelle aux murailles,
Je laisserai monter les hommes jusqu’au bout.
Puis, dés que le premier surgira, tout à coup
J’ôterai le bouchon, leur versant sur la tète
Un fleuve de genièvre.
Se frottant les mains avec joie.
Oh ! cela n’est pas bête,
Vois-tu, car, pénétrant chacun jusqu’à la peau,
J’arroserai du haut en bas leur vil troupeau.
Puis, lorsqu’ouvrant la bouche avec leur nez humide,
Tous ces pots bâilleront sous ma barrique vide,
Espérant qu’il en reste au fond encore un peu,
Ainsi qu’en des blés mûrs j’y bouterai le feu,
Et je verrai couler leur cascade enflammée,
Et je me réjouirai de sentir la fumée
Du genièvre qui brûle et des Anglais rôtis.
PIERRE DE KERSAC, riant.
Ah !.. je demande à voir.
YVES DE BOISROSÉ
Allons, je t’avertis
Qu’en gens bien avisés, d’abord nous allons boire
A la santé des gueux.
PIERRE DE KERSAC
Ils sortent en riant.
SCENE VII
LA COMTESSE ; SUZANNE D’ÉGLOU.
LA COMTESSE, avec une joie folle.
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