SUZANNE D’ÉGLOU
Malgré l’audace, on est infidèle et trompeur ;
Puis je t’aime, cousine, et je sens que j’ai peur.
J’ai peur de tout, de moi, de nous, d’un mot, d’un geste.
Un regard qu’on échange, un rien, tout est funeste
Quand on cache en son cœur un périlleux secret.
Un soupçon peut venir.
LA COMTESSE
SUZANNE D’ÉGLOU
Si l’on apprend soudain que le comte est à Nantes ?
LA COMTESSE
Qui pourrait en trouver la nouvelle étonnante ?
La ruse est bien ourdie, elle vient du Montfort
Qui voulait s’en servir pour entrer dans ce fort.
SUZANNE D’ÉGLOU
Mais si le comte, enfin, sait sa mort répandue
Avant qu’à ton Anglais ta porte soit rendue,
Pour garder son château, sans doute il reviendra.
Alors, que feras-tu ?…
LA COMTESSE
Rien. Quelqu’un m’aimera.
SUZANNE D’ÉGLOU
LA COMTESSE
Tout homme appartient à la femme.
C’est notre esclave-né, soumis de corps et d’âme.
Ou qu’il soit notre époux bu qu’il soit notre amant,
C’est un jouet d’amour ou terrible ou charmant.
Le Ciel nous l’abandonne. Il reçut en partage
Ce mépris de la mort qu’on appelle courage,
La faiblesse du cœur et la force du bras,
Cette audace qui fait les immenses combats,
Les muscles vigoureux qui supportent les armes ;
Mais nous avons pour nous la puissance des charmes,
L’amour ! et par cela l’homme nous fut livré.
Fauchons ses volontés comme l’herbe d’un pré ;
Tendons nos yeux sur lui comme un filet perfide ;
Avec des mots d’espoir courbons son cœur rigide ;
Poursuivons-le sans cesse, et, quand nous l’avons pris,
Faisons comme le chat qui tient une souris,
Jouons et gardons-le. Dans un péril extrême,
Ayons toujours dans l’ombre un homme qui nous aime.
Il nous importe peu qu’il soit charmant ou laid ;
Il nous importe peu qu’il soit duc ou valet ;
Mais qu’il nous aime assez.
SUZANNE D’ÉGLOU
Quoi ! tu veux un complice ?
LA COMTESSE
Non, un esclave prêt à tout, jusqu’au supplice,
A commettre tout crime, à trahir toute foi,
A mourir, s’il le faut, sur un regard de moi.
SUZANNE D’ÉGLOU
LA COMTESSE
Je cherchais tout à l’heure.
SUZANNE D’ÉGLOU
LA COMTESSE
Ici ; j’ai vu que mon sourire effleure,
Sans les faire vibrer, tous ces grossiers soudards.
Ni tumulte en leur cœur, ni feu dans leurs regards.
La foi stupide, seule, en leur poitrine habite,
Et sous aucun amour leur âme ne palpite.
Ils sont finis, ils sont trop bêtes et trop vieux ;
Et, quoique des enfants, les pages valent mieux.
SUZANNE D’ÉGLOU, se mettant à genoux et prenant les mains de la comtesse.
Oh ! cousine, je te supplie et je t’implore,
Oh ! ne fais point cela, puisqu’il est temps encore ;
C’est pour toi que je pleure et pour toi que je crains,
Car je t’aime, toi seule.
LA COMTESSE, la relevant.
Allons, plus de chagrins,
Et lève-toi !
SCENE VI
LES MÊMES. JACQUES DE VALDEROSE entre brusquement, puis s’arrête tout à coup en apercevant la comtesse et Suzanne d’Églou.
JACQUES DE VALDEROSE, se retirant.
LA COMTESSE, lui faisant signe d’approcher.
Mais entrez. J’imagine
Que vous n’avez point peur de ma belle cousine.
Moi, quand j’ai le cœur plein de pensers affligeants,
J’aime ouïr prés de moi causer des jeunes gens.
Causez tous deux, et si mon air morne vous gêne,
Ne me regardez point, j’écoute et me promène.
SUZANNE D’ÉGLOU, suppliante.
LA COMTESSE, s’éloignant.
Envoyez-moi vos rêves étourdis.
La douleur est muette à mon âge, tandis
Qu’au vôtre on a toujours quelque folie à dire.
Jetez sur ma pensée un peu de votre rire ;
Et faites que je sente en mon cœur attristé
Descendre à votre choix un rayon de gaieté.
Elle va dans l’embrasure d’une fenêtre et regarde tantôt les jeunes gens, tantôt en dehors.
JACQUES DE VALDEROSE, à Suzanne d’Églou.
Le ciel me soit en aide. Et que Dieu vous bénisse,
Mademoiselle. II m’est en ce jour bien propice,
Et je lui veux ce soir rendre grâce à genoux
De ce qu’il m’est permis de rester près de vous,
C’est le plus grand,bonheur où je puisse prétendre.
SUZANNE D’ÉGLOU
Monsieur, je ne suis point d’humeur à vous entendre ;
Gardez tous vos propos aimables ou joyeux.
J’ai l’amertume au cœur et des larmes aux yeux.
JACQUES DE VALDEROSE
Hélas ! vous n’êtes point plus triste que moi-même.
Mais, prés des déplaisirs, le ciel bienfaisant sème
Les consolations, et le chagrin que j’ai
Rien qu’en vous approchant me parait soulagé.
SUZANNE D’ÉGLOU
Le mien n’est point de ceux qu’un compliment allège.
JACQUES DE VALDEROSE
Le malheur prés de vous fond comme de la neige,
Car l’œil clair d’une femme est le soleil des cœurs.
SUZANNE D’ÉGLOU
En cet instant, monsieur, votre place est ailleurs.
JACQUES DE VALDEROSE
Je ne sais qu’une place, et c’est la seule bonne :
Celle qu’à ses côtés une femme nous donne.
SUZANNE D’ÉGLOU
J’en sais d’autres encore, et ce n’est point ici.
L’amitié d’une femme est un moindre souci
Pour un cœur noble et fort que l’amour de la France.
JACQUES DE VALDEROSE
Quand l’amour du pays est une âpre souffrance,
Que le fer le ravage et que la flamme y luit,
Et que l’on n’y peut rien que de pleurer sur lui,
L’amitié d’une femme un instant nous console.
SUZANNE D’ÉGLOU
L’homme qui s’y repose a l’âme vile et molle
Et trouve son plaisir plus cher que son devoir.
ACTE DEUXIEME
SCENE PREMIERE
LA COMTESSE, JACQUES DE VALDEROSE
Le théâtre représente une salle du château de Rhune qui sert d’oratoire à la Comtesse. Sorte de chapelle à gauche. Portes des deux cités de la scène ; fenêtres au fond.
Valderose est aux genoux de la Comtesse assise dans un fauteuil et tient une main dans les siennes en la regardant avec amour.
JACQUES DE VALDEROSE
Oh ! je voudrais rester ainsi ma vie entière.
Vous m’aimez ! c’est donc vrai ! vous, ma maîtresse altière,
Puissante et noble, à l’œil sévère et redouté ;
Vous dont je contemplais la sereine beauté
Ainsi que l’on regarde une étoile lointaine ;
Vous dont je redoutais la parole hautaine.
LA COMTESSE
Savez-vous maintenant ce que c’est que l’amour ?
JACQUES DE VALDEROSE
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