Alexandre Dumas - Fernande

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La baronne de Barthèle attend son vieil ami et amant le comte de Montgiroux, pair de France. Son fils Maurice, marié à la nièce du comte, se meurt de fièvre cérébrale. Sur la suggestion du médecin de Maurice, la baronne a accepté de faire venir à son château Mme Ducoudray qui pourrait apaiser la fièvre du mourant. À son arrivée, la dame apprend le but de sa visite, sauver Maurice – Maurice, prénom qui ne lui est pas inconnu. Le comte découvre lui que Mme Ducoudray n'autre que Fernande,la courtisane qu’il a pris pour maîtresse. Arrive ensuite Mme de Neuilly, parente de la baronne, veuve envieuse qui reconnaît en Fernande une ancienne pensionnaire d’orphelinat et qui voudrait bien savoir comment elle s'y est pris pour faire ce riche mariage avec M. Ducoudray. Elle révèle que Fernande est de sang noble, fille de la famille de Mormant. Par son entremise, Fernande apprend à son tour que Maurice est en fait le fils du baron…

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Alors, appelant à elle la force magnétique du sentiment et de l’attraction, elle lui dit:

– Et maintenant que je suis forte et calme, Maurice, écoutez-moi.

Et Maurice, subissant l’influence d’une nature supérieure à la sienne, demeura dans une muette attention.

Depuis cinq minutes déjà, les deux femmes, la tête appuyée à la porte de l’alcôve, ne perdaient pas un mot de cet entretien.

CHAPITRE XXV

– Maurice, dit Fernande, laissez-moi d’abord vous remercier comme on remercie Dieu; les seuls jours heureux de ma vie, je vous les dois. Quand je serai seule, isolée et vieille, je me retournerai vers le passé, et la seule époque lumineuse de mon existence sera celle que votre amour aura éclairée. Quand je serai sur mon lit de mort et que mon repentir aura expié mes fautes, ce que je demanderai à Dieu, c’est un paradis qui ressemble à ces trois mois tombés du ciel.

– Oh! dit Maurice, merci pour ce que vous venez de dire.

Fernande sourit tristement en voyant le jeune homme se tromper si étrangement à ce début.

– Oui, Maurice, reprit-elle; mais ce qui fait que je remercie Dieu de cet amour, c’est que non-seulement il a éveillé mes sens, mais c’est surtout qu’il a retrempé mon âme; c’est qu’il m’avait fait oublier qu’il existait un monde corrupteur et corrompu, c’est qu’il m’inspirait à la fois l’oubli du passé et l’insouciance de l’avenir, c’est que pour la première fois je me sentais heureuse et fière du sentiment que j’éprouvais; c’est que ce sentiment était si pur, qu’il me relevait de mes fautes, si miséricordieux, que je les pardonnais à ceux qui me les avaient fait commettre. Je ne vivais plus qu’en vous, Maurice; vous étiez l’unique but de mes pensées. Je m’endormais dans de doux rêves, je m’éveillais dans de douces réalités. Mon bonheur était trop grand pour qu’il durât, mais je remercie le ciel de me l’avoir accordé; les regrets me tiendront lieu d’espérances, et je marcherai dans l’avenir les regards tournés vers le passé.

» Aussi, quand je découvris que vous m’aviez trompée, Maurice, tout entière à ma douleur, aveuglée par elle, je ne compris pas que c’était pour vous une nécessité d’agir comme vous l’aviez fait. Je sentis que quelque chose se brisait dans ma vie; j’éprouvai l’amer besoin de la souffrance, et cependant la solitude et le silence m’effrayaient, car je me redoutais surtout moi-même. Il me fallait le bruit, l’agitation, la vengeance même. Malheureuse que j’étais, de ne pas songer que, lorsqu’on aime véritablement, c’est toujours sur soi-même qu’on se venge! Je voulus donc élever entre vous et moi une barrière insurmontable. Vous voyez bien, Maurice, que je vous aimais toujours, puisque je doutais ainsi de moi. Je me replongeai dans le désordre de ma vie passée. En votre présence, la courtisane avait disparu; mais je vous l’ai dit, vous étiez mon bon génie, Maurice: votre absence la fit revivre. Oh! je fus bien coupable, écoutez-moi, ou plutôt je fus bien folle. Au-dessus de cette misère qui parfois fait l’excuse des femmes flétries, je discutai avec un nouvel amant le prix de ma personne. – Oh! oui, oui, pleurez, dit Fernande au jeune homme, qui ne pouvait retenir un sanglot, pleurez sur moi, car j’atteignis alors à un degré de honte que je n’avais jamais atteint. Après avoir retrouvé le sentiment de la vertu, j’eus le cynisme du vice, j’affectai le luxe, je jouai la femme impudente, et par conséquent la femme heureuse.

» Eh! tenez, hier encore, quand, rieuse et sans remords, vos amis me conduisaient chez vous sans que je susse où j’allais, quand je venais briser mon apparente insouciance à l’angle de votre cercueil, aveugle que j’étais, je croyais encore à la possibilité d’une existence pareille; hier, repoussant le respect des usages que je gardais enfermé dans mon âme, oubliant les pieux enseignements donnés à ma jeunesse, franchissant, à l’aide de mon incognito les distances sociales, je suis entrée dans cette demeure la tête haute. Maurice, j’ai vu votre mère, j’ai vu votre femme, je vous ai revu, et toute mon impudence est tombée à mes pieds comme tombe au premier coup une armure mal jointe et mal trempée. Maurice, ce n’est point le hasard qui a conduit tout cela, qui a permis que ces hommes frivoles dont j’étais le jouet m’amenassent ici. Le secret que j’aurais voulu me taire à moi-même n’aura pas été divulgué inutilement; en vibrant tout haut, le nom de mon père a brisé le lien qui m’attachait à la honte, il a réveillé au fond de mon cœur le sentiment social que j’y avais refoulé, il m’a rendu le désir des actions nobles et la possibilité d’une vie pure. Maurice, j’avais eu le courage de vous cacher que j’étais une pauvre fille de noblesse qu’on avait poussée des hauteurs du monde dans les basses régions de la société. Je ne voulais pas que vous vissiez la distance que j’avais parcourue pour descendre où vous m’aviez trouvée; mais vous, cœur élevé et clairvoyant que vous êtes, vous l’aviez devinée, n’est-ce pas? Je n’avais jamais osé vous dire que mon pauvre père, mort sur le champ de bataille entre les bras d’un fils de France, appartenait à cette vieille noblesse toujours prête à verser son sang, sinon pour son pays, du moins pour son roi. J’ai retrouvé dans votre aristocratique maison mes aïeux, qui avaient le droit d’y être reçus en pairs et en égaux. Maurice, je les appelle à mon aide, je les évoque pour ma défense, et moi, en échange du secours qu’ils m’auront donné contre vous et surtout contre moi-même, oh! je leur promets du fond du cœur de laver avec mes larmes la tache que j’ai faite à leur blason.

Il y avait dans le langage de Fernande un tel mélange de poésie et de réalité, de simplicité et d’exaltation, que Maurice ne cherchait pas même à répondre; il regardait, il écoutait; cette situation de l’âme du jeune homme était trop favorable aux projets de Fernande pour qu’elle ne fît pas un effort sur elle-même pour en profiter. Remplaçant donc par un doux et mélancolique sourire cet éclair d’enthousiasme qui avait jailli de ses yeux en illuminant son visage, elle continua, en posant sa main sur le cœur du jeune homme:

– Me comprenez-vous maintenant, Maurice? Ce cœur que je connais si bon et si généreux, ce cœur que j’ai toujours senti battre sous ma main quand il s’est agi d’un de ces sentiments si délicats qu’ils échappent aux autres hommes; ce cœur comprend-il pourquoi Fernande, redevenue pour vous une chaste maîtresse, trompée par vous, s’est refaite courtisane?

– Oh! oui, oui! s’écria Maurice; aussi, Fernande, Dieu m’est témoin que, de tout ce qui s’est passé, je ne veux rien entendre, je ne veux rien savoir; que non-seulement je pardonne, mais encore que j’oublie.

– Oui, Maurice, oui, dit Fernande, j’accepte le pardon, mais je refuse l’oubli.

– Et pourquoi? mon Dieu! pourquoi? demanda Maurice.

– Parce que notre liaison n’était pas de ces liaisons banales, qui se rompent et qui se reprennent. Non, non, Maurice, fermez les yeux du corps, oubliez que vous avez là près de vous, assise sur votre lit, une femme jeune et que l’on dit belle: que votre cœur me regarde et m’entende. Maurice, nous rapprocher l’un de l’autre maintenant, ce serait plus qu’un crime, ce serait une profanation. Croyez-moi, ce que nous avons éprouvé, on ne l’éprouve qu’une fois. Les brûlantes extases se sont glacées pour ne plus renaître. Le délire de la passion, refroidi chez vous et chez moi par nos larmes mêmes, n’aurait plus son excuse. Maurice, soyez homme courageux comme je veux être femme sans reproche.

– Oh! mon Dieu! mon Dieu! dit Maurice entrevoyant pour la première fois le but véritable de Fernande, qu’il avait inutilement cherché pendant tout ce long discours. Mais savez-vous que ce que vous demandez là, c’est détruire à jamais notre liaison, et par conséquent ma seule, mon unique espérance? – Savez-vous, – oui, vous le savez bien, – savez-vous que mon amour, c’est ma vie?

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