– Eh bien, dit madame de Barthèle, de la prudence. Voyons: ils sont ensemble, c’est vrai; mais cette entrevue a peut-être un but innocent, louable même.
Les lèvres de Clotilde se crispèrent sous le sourire du doute.
– Oui, je comprends, continua madame de Barthèle, mais éclairons-nous sur cette entrevue.
– Et comment, cela? demanda Clotilde.
– Pénétrons leurs secrets, afin de savoir quelle conduite nous devons tenir vis-à-vis d’elle.
Clotilde comprit.
– Épier mon mari! épier Maurice! dit-elle avec hésitation.
– Mais sans doute, répondit madame de Barthèle, à qui cette observation faite était un reproche innocent de la conduite qu’elle venait de tenir elle même; sans doute, cela ne vaut-il pas mieux qu’une esclandre?
– Et si j’allais acquérir la certitude qu’ils me trompent, ma mère! si j’allais entendre des plans d’avenir! J’aime mieux douter: j’en mourrais.
– Écoute, dit madame de Barthèle: j’ai meilleure opinion que toi de madame Ducoudray; viens, suis-moi, je réponds de tout.
– Mais, s’ils me trompent, ma mère! s’ils me trompent!
– Eh bien, alors il sera temps pour toi de prendre conseil de ton désespoir.
– Oh! il ne m’a jamais aimée! s’écria Clotilde éclatant en sanglots.
– Viens, mon enfant, viens, dit madame de Barthèle, qui, avec la bonté inhérente à son caractère, oubliait peu à peu ses propres intérêts pour se laisser prendre de compassion à une douleur véritable, à une passion réelle. Viens; tu sais que nous pouvons tout entendre en nous glissant derrière l’alcôve, et même, comme il y a une porte, nous pouvons tout voir. Mais, en vérité, continua-t-elle en entraînant la jeune femme presque malgré elle, je ne te reconnais plus, Clotilde. Allons, allons, venez: il faut avoir de la force dans les grandes circonstances.
Et bientôt les deux femmes, se tenant par la main, retenant leur haleine, marchant sur la pointe du pied, pénétraient dans l’alcôve, d’où, comme l’avait dit madame de Barthèle, elles pouvaient voir et entendre tout ce qui se passait dans la chambre de Maurice.
En effet, Clotilde ne s’était pas trompée. Aussitôt que le comte de Montgiroux avait quitté sa belle maîtresse, celle-ci, fidèle à son premier projet, avait écouté le bruit de ses pas, attendant que la porte de sa chambre se fermât derrière lui: alors elle était sortie de la sienne, avait marché droit à celle de Maurice, et y était entrée sans crainte, sans hésitation, comprenant qu’elle faisait ce qu’elle devait faire.
Comme elle entrait, la pendule sonnait minuit; une nouvelle journée commençait pour tout le monde; pour Fernande une ère nouvelle devait dater de ce moment.
Une lampe de nuit jetait son jour douteux et tremblotant sur les meubles et les lambris de cette vaste chambre. Maurice, à moitié hors du lit, prêtait l’oreille au moindre bruit, le cœur plein d’anxiété, respirant à peine, car quoiqu’il eût fait redire cinq ou six fois à son valet de chambre la promesse de Fernande et les termes dans lesquels elle l’avait faite, il doutait encore qu’elle vînt, tant il désirait sa venue. Chaque minute de retard lui semblait un siècle perdu dans sa vie, et cette vie, comme si elle eût dépendu entièrement de cette entrevue, vacillait au souffle de l’espérance; on l’eût dite suspendue à la première parole de la femme adorée, soumise à son premier regard. Le moment qui s’y rapprochait avait pour le malade une si grande importance, il s’y mêlait une solennité si vague, une crainte si mystérieuse, tout y imposait si puissamment à ses sens, que, lorsqu’il entendit retentir dans le corridor le pas si connu de Fernande, lorsqu’il la vit pousser sa porte et s’avancer pâle, si pâle, qu’on eût dit une statue qui marchait, il n’eut pas la force de faire un geste, pas le courage de proférer une parole; il tressaillit seulement, et demeura muet et immobile, le cœur serré par un triste pressentiment.
Fernande, de son côté, quoique partie de chez elle le cœur ferme et le front serein, avait, à mesure qu’elle s’était approchée de la chambre de Maurice, reçu des impressions semblables, impressions si puissantes, que, de son côté, elle resta debout près du lit sans pouvoir parler, sans avoir la force de formuler une seule pensée, comme si tout à coup toutes les facultés qui composaient l’ensemble de cette organisation si fine, si élégante, si spirituelle et parfois si vigoureuse, se fussent anéanties dans une sorte d’idiotisme. Ce silence eut, si cela peut se dire, un écho réciproque d’un cœur à l’autre. Chez les deux jeunes gens, le sang, par un phénomène physique, semblait avoir suspendu sa marche; le regard était empreint d’une inquiétude qui rendait leurs yeux également étonnés, et quelqu’un qui les eût vus ainsi, eût juré que l’âme incertaine n’animait plus, ou du moins était sur le point de ne plus animer la matière.
Enfin Fernande rompit la première le silence.
– Me voici, dit-elle. Vous m’avez fait demander, Maurice; mais c’était inutile, et je serais venue sans cela.
– Vous avez donc compris le besoin que j’avais de vous voir et de vous parler. Oh! merci, merci! s’écria Maurice.
– C’est que ce même besoin était en moi, mon ami, répondit Fernande; car j’avais bien des choses à entendre sans doute, mais aussi bien des choses à vous dire.
– Eh bien, alors, parlons. Nous sommes seuls, enfin, Fernande: il n’y a plus de regards indiscrets qui nous épient, plus d’oreilles avides qui nous écoutent. Vous avez bien des choses à entendre, dites-vous; moi, je n’en ai qu’une à vous dire. Vous n’avez plus voulu me voir; moi, je n’ai plus voulu vivre. Vous avez consenti à revenir à moi: que la vie soit la bienvenue, puisqu’elle revient avec vous. Merci, Fernande; car voilà un moment qui me fait oublier tout ce que j’ai souffert.
– Vous avez bien souffert, oui, je n’en doute pas, Maurice; car, malheureusement, votre faiblesse m’en donne la preuve. Mais au moins vous avez l’isolement et le silence, vous. Moi, j’ai été obligée de vivre au milieu du monde, au milieu des plaisirs; vous pouviez pleurer, je devais sourire. Maurice, ajouta Fernande, je dois encore avoir plus souffert que vous.
– Oh! mon Dieu! mon Dieu! s’écria le malade dans une pieuse exaltation, avez-vous enfin pris pitié de nous, et serions-nous donc au bout de nos douleurs?
– Oui, Maurice, je l’espère, dit Fernande avec un sourire triste et en levant son beau et limpide regard vers le ciel où Maurice venait de lever les mains.
– Fernande, dit Maurice, vous dites cela d’un ton qui m’effraye. Pendant notre séparation, il est survenu en vous quelque chose d’étrange et d’inconnu que je ne comprends pas.
– Voulez-vous que je vous le dise, ce qui est survenu en moi que vous ne comprenez pas?
– Oh! oui, dites.
– Eh bien, c’est que votre mère, Maurice, m’a pris les deux mains comme elle eût fait à sa fille; c’est que votre femme m’a embrassée comme elle eût fait à sa sœur.
Maurice frissonna.
– C’est, continua Fernande, que j’ai été reçue dans ce château comme quelqu’un qui aurait eu droit de s’y présenter; c’est que, élevée, agrandie, purifiée, j’ai compris ce que je devais à votre mère, à votre femme, à l’hospitalité.
– Mon Dieu! Mon Dieu! que me dites-vous là, Fernande? s’écria Maurice en se soulevant sur son lit, et où voulez-vous donc en venir?
– Votre exclamation me prouve que vous m’avez comprise; du courage, Maurice, soyez homme.
– Oh! mon Dieu! mon Dieu! s’écria une seconde fois Maurice en se tordant les bras.
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