Quelques instants plus tard, le laquais apparut. Il ne sembla pas apercevoir d’Assas.
– Fais-nous sortir, mon ami, dit Saint-Germain.
– Suivez-moi, maître… dit Lubin.
– Un instant. Moi dehors, tu oublieras que je suis venu ici, tu entends?
– J’entends. J’oublierai…
– C’est bien. Marche devant. Et prends garde qu’on ne nous surprenne; car je suis bien fatigué.
À la stupéfaction de d’Assas, qui contemplait Saint-Germain avec effroi, Lubin s’inclina dans une attitude de soumission absolue, puis, se mettant en marche, dirigea les deux hommes jusqu’à la porte qui donnait sur la rue.
Bientôt le comte de Saint-Germain et le chevalier d’Assas se trouvèrent dehors.
D’Assas prit aussitôt la direction du château.
– Où allez-vous, mon enfant? demanda Saint-Germain.
– Au château: je veux voir le roi, répondit d’Assas comme si, dès lors, il n’eût rien de caché pour le comte.
Saint-Germain se contenta de hocher la tête. Sans doute, il n’entrait pas dans ses intentions de se mêler à l’intrigue que pourtant il avait percé à jour. Il savait que d’Assas venait de quitter M med’Étioles. Sans doute aussi ne voulait-il pas s’occuper de Jeanne.
Il était venu pour sauver le chevalier. Il l’avait sauvé. Peut-être voulait-il ignorer tout le reste.
Et, en effet, il ne posa aucune question au jeune homme sur ce qu’il allait faire au château.
Seulement, lorsqu’il ne fut plus qu’à une centaine de pas de la grande grille derrière laquelle se promenaient les gardes de leur pas lourd et régulier, il prit d’Assas par le bras, et lui dit:
– Voyons… êtes-vous disposé, ce soir, à m’accorder quelque confiance?
– Comte, je me ferais tuer pour vous!… dit d’Assas avec une profonde émotion.
– Ne vous faites pas tuer. Vivez au contraire! Mais pour vivre, il faut m’écouter… Ce farouche désespoir qui vous poussait à vouloir mourir…
– Comte, ce désespoir n’est plus!… Je sais pourtant qu’elle ne m’aimera jamais; mais elle m’a juré qu’elle ne serait jamais ni au roi ni à personne!…
Il croyait inutile de nommer Jeanne. Et, en effet, c’était parfaitement inutile: le comte suivait pour ainsi dire la pensée du jeune homme pas à pas.
– Que comptez-vous donc faire, reprit-il, en sortant du château?
– Aller la rechercher là-bas, et la reconduire à Paris.
– Et ensuite?…
– Je ne sais pas! murmura d’Assas.
– Eh bien, je vais vous le dire, moi, et vous allez, vous, me donner votre parole de faire ce que je vais vous dire: Vous reconduirez M med’Étioles à Paris, puis vous préparerez tout aussitôt votre portemanteau. Vous monterez à cheval, et vous regagnerez votre régiment à bonnes étapes…
D’Assas secouait la tête.
Saint-Germain lui prit les deux mains.
– Il est encore temps, continua-t-il. Vous pouvez encore vous sauver, vous refaire une autre existence, trouver peut-être une femme digne de vous, qui vous aimera, que vous aimerez… Vous n’avez plus rien à faire à Paris, puisque vous savez maintenant, à n’en plus douter, que Jeanne ne vous aimera jamais…
– C’est vrai! murmura le jeune homme en étouffant un soupir.
– Et puisqu’elle vous a juré de n’être à personne, continua Saint-Germain en dissimulant un sourire, vous voilà tranquille; plus d’amour, mais plus de jalousie, plus de souffrance…
– Comte, demanda avidement d’Assas, vous qui savez tout, qui prévoyez tout, qui devinez tout, dites-moi si elle tiendra parole?…
– Je vous affirme qu’elle a parlé de bonne foi, avec une profonde sincérité…
– C’est vraiment ce que vous croyez? fit d’Assas en tressaillant de joie.
– C’est ce dont je suis absolument certain!…
– Eh bien!… Je vous écouterai! Je vous obéirai!… Je m’en irai, emportant au fond de mon cœur cette promesse apaisante!
– Ô nature humaine! murmura Saint-Germain. Ai-je votre parole? reprit-il tout haut.
– Vous l’avez!… Vers midi je serai à Paris… dans la soirée, je serai sur la grande route d’Auvergne.
– Adieu donc, mon enfant!… Loin de Paris, vous retrouverez ce bonheur dont vous êtes si digne. Ne secouez pas la tête. L’amour passe. On croit que le cœur est mort. Et un beau jour, on s’aperçoit qu’un autre amour le fait revivre. Vous aimerez. Vous serez heureux… Adieu… Pensez quelquefois à moi dans vos jours de chagrin, et s’il vous survenait quelque catastrophe, n’hésitez pas à m’écrire… je puis beaucoup, d’Assas!
Allez, mon enfant, je ne vous perdrai pas de vue: là-bas, dans votre garnison, ou, plus tard, sur les champs de bataille, dites-vous bien que je veille sur vous…
D’Assas, au comble de l’émotion, se jeta dans les bras de cet homme étrange.
Le comte de Saint-Germain le serra sur sa poitrine, puis lui faisant un dernier signe, s’éloigna rapidement.
D’Assas se dirigea vers la grande porte de la grille du château.
– Officier! Message pour le roi! cria le factionnaire lorsque le chevalier lui eut expliqué ce qu’il venait faire au château à cette heure où tout le monde dormait.
Car il n’était encore que cinq heures et demie, et la nuit était profonde.
Le cri fut répété par la sentinelle voisine et, de bouche en bouche, parvint jusqu’au poste des gardes.
Bientôt la porte de ce poste s’ouvrit. D’Assas vit sortir deux gardes dont l’un portait une lanterne. En avant d’eux, enveloppé dans son manteau, marchait l’officier qui commandait le poste.
Il vint s’arrêter près du chevalier.
– Vous avez un message pour le roi? demanda-t-il à travers la grille, et en cherchant à dévisager d’Assas.
– Oui, un message très pressé, répondit le chevalier en découvrant son visage.
– Qui êtes-vous? fit l’officier que ce geste ne rassurait pas, et qui, d’ailleurs, ne faisait qu’exécuter sa consigne.
– Chevalier d’Assas, cornette au régiment d’Auvergne.
– De qui le message?… Excusez-moi; mais je ne puis vous laisser entrer sans le savoir.
Le chevalier demeura sans voix.
Il n’avait pas prévu la question.
Il hésita un instant, puis:
– Je ne puis le dire, fit-il.
– En ce cas, fit l’officier, donnez votre message, il sera remis à Sa Majesté en temps et lieu. Quant à vous, vous n’entrerez que lorsque les grilles seront ouvertes, c’est-à-dire à huit heures.
– Monsieur, dit d’Assas, le message que je porte est verbal et non écrit. Je ne puis vous le remettre. Mais je vous assure que c’est très grave et très pressé. Peut-être y va-t-il de la vie du roi…
L’officier demeurait perplexe.
Les derniers mots du chevalier l’avaient fait pâlir.
Mais sa consigne était formelle.
À ce moment précis, deux hommes qui venaient de s’approcher en longeant extérieurement la grille du château apparurent près de d’Assas dans le rayon de lumière que projetait la lanterne.
– Le roi! murmura l’officier.
Ces deux hommes, c’étaient en effet Louis XV et son valet de chambre Lebel. Ils arrivaient de la maison des quinconces. Et Louis, en approchant, avait entendu ces mots de d’Assas:
– Il y va de la vie du roi!
– Silence, monsieur! dit Louis XV à l’officier qui, ayant reconnu le roi, s’apprêtait à crier un ordre pour que les honneurs fussent rendus.
Et, sans reconnaître d’Assas, il ajouta:
– J’ai voulu voir par moi-même comment le château est gardé. Votre service est parfaitement organisé, monsieur, je vous félicite.
Avec cette prudence qu’il tenait de famille Louis XV feignait d’ignorer ce qui se passait, et de n’avoir pas entendu ces mots qui, pourtant, l’avaient fait pâlir, et l’avaient poussé à se découvrir.
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