S’étant convenablement morigéné et invectivé ainsi qu’il avait coutume de faire chaque fois qu’il était victime de quelque terrible mésaventure qu’il se reprochait – assez injustement, ce nous semble – de n’avoir pas su prévoir et éviter, il se leva, se secoua et se tâta.
– Bon, grogna-t-il, rien de cassé. Si la tête manque toujours d’un peu de cervelle, le reste, du moins, est encore passable… Mon épée a dû rebondir dans la chambre, là-haut. Heureusement, la dague me reste. C’est peu, mais enfin, le cas échéant, on tâchera de se tirer d’affaire avec.
Ayant ainsi pensé, il porta la main au côté pour s’assurer que la dague y était bien.
Il constata que si le fourreau était bien accroché au ceinturon, la lame, en revanche, avait disparu.
– De mieux en mieux! ragea-t-il. Si mon pauvre père voyait pareille mésaventure, il ne manquerait pas de me complimenter. «C’est admirable, chevalier, me dirait-il, voici maintenant que tu te laisses désarmer à la douce et tu n’y vois que du feu!…» Mort de ma vie! me voilà bien loti!
Tout en bougonnant, il fit à tâtons le tour de son cachot. Ce fut vite fait.
– Peste! fit-il avec un claquement de langue significatif, ce n’est pas très vaste! Et pas un meuble, pas même un peu de paille… Comment vais-je passer la nuit sur ces dalles?… Heureusement, je suis moulu, je dormirai quand même… Et ce plafond, que je touche avec la main!… Ceci ressemble, en plus grand et en pierre, au joli cercueil dans lequel m’enferma ce matin S. E. le cardinal d’Espinosa. Tiens! qu’est-ce que ceci?
En marchant, il avait senti quelque chose glisser sous son pied, et il avait perçu comme un léger frôlement sur la dalle. Il se baissa et chercha à tâtons.
– Tiens! tiens!… Un parchemin!… Mais diantre il fait noir comme dans un four, ici… Ceci me concerne-t-il? Ceci a-t-il été mis ici pour moi?… Non, évidemment, sans quoi on m’eût donné de la lumière afin que je puisse lire… Un parchemin égaré, alors? Peut-être. Nous verrons plus tard, puisque aussi bien je ne peux faire autrement…
Il mit le parchemin dans son pourpoint et se remit à discuter avec lui-même.
– Au fait, qui m’a mis en si fâcheuse posture? Espinosa?… Fausta?… Bah! après tout, je suis pris, et que ce soit l’un ou l’autre, je sais trop bien que ce n’est pas précisément par amitié, ni par sollicitude qu’on m’a plongé – c’est le mot – dans ce lieu qui n’a rien de délicieux… Et maintenant, que va-t-on faire de moi?… Je ne suis pas évidemment dans un cachot ordinaire… Alors, qu’est-ce?
Il s’interrompit pour renifler fortement autour de lui:
– Quel diable de parfum est-ce là?… Ce n’est pourtant pas un boudoir pour jolie femme!… Ah! mordieu! j’y suis… Fausta!… Quelle femme autre que Fausta consentirait à descendre de plein gré dans pareil tombeau? D’autant plus que je ressens d’étranges sensations. Ma respiration s’oppresse… ma tête s’alourdit… je me sens engourdi… le sommeil me gagne… Fausta! eh! par Pilate! la damnée Fausta a passé par là!…
Et avec un sourire narquois, déconcertant en semblable occurrence:
– Après avoir essayé de m’assassiner de tant de façons différentes, je serais curieux de savoir ce qu’elle a bien pu imaginer cette fois-ci.
Comme pour répondre à cette question mentale, un judas grand comme la main s’ouvrit à ce moment dans le haut de la voûte. Un imperceptible rais de lumière descendit par les fentes du judas et, en même temps une voix, que Pardaillan reconnut aussitôt, prononça ces paroles:
– Pardaillan, tu vas mourir.
– Pardieu! fit Pardaillan, dès l’instant où la douce Fausta m’adresse la parole, il ne saurait être question que de mort. Voyons ce qu’elle me réserve.
– Pardaillan, continua Fausta invisible, j’ai voulu te tuer par le fer et tu as échappé au fer, j’ai voulu te tuer par la noyade et tu as échappé à l’eau, j’ai voulu te tuer par le feu et tu as échappé à l’incendie. Tu m’as demandé: «À quel élément aurez-vous recours?» Je te réponds: «À l’air.» L’air que tu respires, Pardaillan, est saturé de poison. Dans deux heures, tu ne seras plus qu’un cadavre.
– Voilà donc l’explication que je cherchais. Figurez-vous, madame, que j’étais intrigué par ce parfum que je sens autour de moi, et vous ne me croirez peut-être pas, mais, ma parole, j’ai pensé à vous.
– Je te crois, Pardaillan, dit gravement la voix de Fausta. Qu’as-tu donc pensé?…
– J’ai pensé, dit froidement Pardaillan, qu’il n’y avait qu’une femme au monde pour descendre volontairement dans une fosse comme celle-ci: vous, madame. J’ai pensé que si Fausta était descendue dans cette fosse, ce ne pouvait être que pour y apporter la mort et la changer en un tombeau. Voilà ce que j’ai pensé, madame.
– Tu as vu juste, Pardaillan, et tu vas mourir, tué par l’air que tu respires et que j’ai, moi, empoisonné.
Il y avait on ne sait quoi de fantastique dans cette conversation macabre entre deux êtres qui ne se voyaient pas, qui se parlaient à travers l’épaisseur d’un plafond, dont l’un était, pour ainsi dire, déjà dans la tombe et qui, sur un ton paisible et comme détaché, se disaient des choses effrayantes.
Cependant Pardaillan répondait:
– Mourir! mourir! c’est bientôt dit, madame. Mais, voyez-vous, j’ai les poumons solidement attachés, et je crois, Dieu me damne! que je suis homme à résister à tous les poisons dont vous avez eu l’attention de saturer l’air à mon intention. J’en suis bien fâché pour vous, madame, dont la marotte est de me vouloir occire à tout prix, par n’importe quel moyen et du diable si je sais pourquoi, par exemple?
– Parce que je t’aime, Pardaillan, dit la voix morne de Fausta.
– Eh! morbleu! ce serait une raison pour me laisser vivre au contraire! Du moins, j’ai toujours vu les gens qui aiment sincèrement tenir à la vie de l’être aimé plus qu’à leur propre vie. Quoi qu’il en soit, madame, je crois que j’échapperai à votre poison comme j’ai échappé à la noyade et au feu.
– C’est possible, Pardaillan, mais si tu échappes au poison, tu restes condamné quand même.
– Expliquez-moi un peu cela, madame… si toutefois ce n’est pas être trop curieux.
– Tu mourras par la faim et par la soif.
– Diable! c’est assez hideux cela, madame, et, voyez ma naïveté, j’aurais eu honte de vous croire capable d’une pareille monstruosité… Comme on se trompe!…
– Je sais, Pardaillan, c’est une mort lente et horrible. Aussi ai-je voulu te l’éviter, et c’est pourquoi j’ai eu recours au poison. Prie Dieu que ce poison agisse sur toi, c’est la seule chance qui te reste d’échapper au supplice de la faim.
– Bon! goguenarda le chevalier, je reconnais là votre habituelle circonspection. Vous avez si grand-peur de me manquer que vous vous êtes dit que deux précautions valent mieux qu’une.
– C’est vrai, Pardaillan. Aussi ai-je pris non pas deux mais toutes les précautions possibles. Vois-tu cette porte de fer qui ferme ta tombe?
– Je ne la vois pas, madame, parbleu! Je n’ai pas des yeux de hibou pour voir dans la nuit. Mais si je ne la vois pas, je l’ai reconnue avec mes doigts.
– Cette porte, dont la clé a été jetée dans le fleuve, dans quelques heures sera murée… Le mécanisme actionnant le plafond par où tu es descendu sera détruit, la chambre où je suis aura ses portes et sa fenêtre murées… Alors tu seras isolé du monde, alors tu seras muré vivant, nul ne soupçonnera que tu es là, nul ne pourra t’entendre si tu appelles, nul ne pourra pénétrer jusqu’à toi, même pas moi… Comprends-tu, Pardaillan, que tu es bien condamné et que rien au monde ne peut te sauver, maintenant?
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