– Quoi, vous consentiriez?…
Pardaillan haussa dédaigneusement les épaules:
– Ces amoureux sont tous stupides, dit-il à Cervantès, qui se contenta d’approuver d’un signe de tête.
– Voyons, petit, reprit le chevalier en s’adressant à El Chico, tu as vu enlever la Giralda, tu as suivi les ravisseurs, tu sais où ils l’ont conduite et tu es accouru le dire à don César.
– Oui, seigneur!
– Bien. Et, dis-moi, comment savais-tu que don César était ici?
El Chico eut une hésitation imperceptible qui n’échappa pourtant pas à l’œil perspicace du chevalier.
– Tiens! fit-il, je suis allé chez lui. On m’a dit: Il doit être à l’hôtellerie de la Tour. J ’y suis venu, tiens!
Et comme s’il eût deviné ce qui se passait dans l’esprit du chevalier, il ajouta:
– Si Votre Seigneurie affectionne don César, qu’elle vienne avec lui. Et, se tournant vers Cervantès, muet: Vous aussi, seigneur… et tous vos amis… tant que vous en avez… Tiens! à présent qu’il a pris la Giralda, don Centurion ne la rendra pas sans montrer un peu les crocs… un bon chien ne lâche pas son os sans le défendre, tiens! Il y aura bataille, il y aura des coups… et les coups ne font pas mon affaire. Moi, je peux vous conduire à la maison et puis après, serviteur, je ne compte plus. Que voulez-vous que je fasse, pauvre de moi!… Je suis trop petit, tiens!
El Chico paraissait sincère et devait l’être en effet. C’est ce que se disait Pardaillan qui pensait:
– Si c’était un guet-apens on n’aurait évidemment pas la naïveté de recommander à don César de se faire accompagner. Tout au contraire, on chercherait à l’attirer seul. À moins que…
Et s’adressant à El Chico:
– Tu penses donc qu’ils sont en nombre autour de la Giralda?
– Savoir?… Il y a d’abord les quatre qui l’ont enlevée… Il y a don Centurion… Ceux-là, j’en suis sûr. Je les ai vus entrer et ils ne sont pas ressortis… J’ai idée qu’il doit bien y en avoir quelques autres cachés dans la maison… mais je ne peux pas affirmer ni préciser… Tiens! vous Pensez bien que je ne me suis pas risqué à visiter le chenil!
– Allons! décida soudain Pardaillan.
Aussitôt El Chico se dirigea vers la porte.
Cervantès, sur un signe de Pardaillan, se plaça à la gauche du Torero, tandis que le chevalier se plaçait à sa droite. Pardaillan était bien persuadé que le guet-apens – en admettant qu’il y eût guet-apens – était dirigé contre don César. Pas un instant la pensée ne l’effleura qu’il pouvait être visé lui-même.
Cette pensée, Cervantès ne l’eut pas davantage. Dans ces conditions, leur unique préoccupation, à tous deux était de veiller sur le fils de don Carlos, seul menacé.
Quant à don César, il n’en cherchait pas si long. La Giralda était en danger, il courait à son secours. Le reste n’existait pas pour lui.
Le temps, si clair deux heures avant, s’était couvert, et maintenant d’épais nuages masquaient complètement la lune. La porte du patio franchie, ils se trouvèrent donc dans la nuit noire.
– Où nous conduis-tu, El Chico? demanda don César.
– À la maison des Cyprès.
– Bien, je connais!… Marche devant, nous te suivons.
Sans faire la moindre observation, El Chico prit la tête de la petite troupe et se mit à marcher d’un bon pas.
Tout en marchant à côté d’El Torero, qu’il tenait amicalement par le bras, Pardaillan, l’œil aux aguets, l’oreille tendue, lui demanda à voix basse:
– Êtes-vous sûr de cet enfant?
– Quel enfant, monsieur?… El Chico?
– Eh oui, morbleu!
– C’est que El Chico n’est pas un enfant. Il a vingt ans, peut-être même plus. Malgré sa taille minuscule, c’est bel et bien un homme très proportionné, comme vous avez pu le remarquer, et sans aucune difformité. C’est un nain, un joli nain, mais c’est un homme, et diable! n’allez pas lui dire qu’il n’est qu’un enfant, il est fort chatouilleux sur ce point et n’entend pas la plaisanterie.
– Ah! c’est un homme… Tant pis, morbleu! Je le préférais enfant…
– Pourquoi?
– Pour rien… une idée à moi… Mais enfin, homme ou enfant, qu’est-ce que ce nain? D’où le connaissez-vous? Êtes-vous sûr de lui?
– Quant à vous dire qui est ce nain, je confesse que je n’en sais rien… ni lui non plus, ni personne… On l’appelle El Chico à cause de sa taille… D’où je le connais? Comme il est trop faible pour exercer un métier, que d’ailleurs nul ne s’est inquiété de lui en apprendre un, il traîne par les rues de la ville et il vit, comme il peut, des aumônes qu’on lui fait. Quand je le rencontre, je lui donne quelques réaux et il est heureux comme un roi. Un jour, j’ai pris sa défense contre une bande de mauvais drôles qui le maltraitaient. Depuis, il m’a toujours témoigné une certaine affection Est-il dévoué? Je crois que oui… je n’en jurerais pas cependant.
– Enfin, murmura Pardaillan, allons toujours, nous verrons bien.
Le reste du trajet s’accomplit en silence. Tant qu’il dura, Pardaillan se tint sur ses gardes et il fut plutôt étonné de voir que nulle agression ne s’était encore produite lorsque El Chico s’arrêta enfin devant la porte bâtarde de la maison des Cyprès, en murmurant:
– C’est là!
«Après tout, songea Pardaillan, je me suis peut-être trompé!… Je deviens trop méfiant, sur ma foi!»
Il y avait une borne cavalière à côté de la porte. El Chico la désigna aux trois hommes, et dans un souffle il murmura en montrant le mur:
– C’est bien commode, tiens!
De l’œil, Pardaillan mesura la hauteur et sourit.
L’escalade, avec un tel marchepied, ne serait qu’un jeu.
El Chico continua:
– Évitez les allées… à cause du sable qui fait du bruit, marchez sur le gazon. Avec un peu d’adresse, vous pouvez réussir sans qu’il y ait bataille; ce serait préférable à cause que vous n’êtes que trois, tiens!… Sûr qu’ils dorment là-dedans… La Giralda, elle, ne doit pas dormir… Moi je vous attends ici, et s’il y a danger je vous préviens en sifflant ainsi.
Et le petit homme fit entendre un léger hululement parfaitement imité.
– Pourquoi ne viens-tu pas avec nous? demanda Pardaillan, peut-être par un reste de méfiance.
El Chico eut un geste d’effroi.
– Non, fit-il, vivement, je n’entrerai pas là. Tiens, que voulez-vous que je devienne, si vous vous battez? Je vous ai conduit, le reste vous regarde, tiens.
Don César, qui avait hâte de passer de l’autre côté du mur, tendit sa bourse en disant:
– Prends ceci, El Chico. Mais je ne me tiens pas quitte pour si peu envers toi. Quoi qu’il arrive, désormais j’aurai soin de toi.
El Chico eut une seconde d’hésitation, puis il prit la bourse en disant:
– J’étais déjà payé, seigneur… Mais il faut bien vivre, tiens!
– Pourquoi dis-tu que tu étais déjà payé? fit Pardaillan, qui avait cru démêler comme, une bizarre intonation dans la réponse du petit homme.
Sur un ton très naturel, celui-ci répondit:
– J’ai dit que j’étais payé parce que je suis content d’avoir rendu service à don César, tiens!
Laissant leur petit guide, les trois aventuriers, en se servant de la borne, eurent tôt fait d’escalader le mur et se laissèrent doucement tomber dans les jardins de la maison des Cyprès.
Don César voulut s’élancer aussitôt; mais Pardaillan le retint en disant:
– Doucement, s’il vous plaît. Ne nous exposons pas à un échec par trop de précipitation. C’est le moment d’agir avec prudence et surtout silencieusement. Je passe le premier en éclaireur; vous, don César, derrière moi; et vous, monsieur de Cervantès, vous fermerez la marche. Ne nous perdons pas de vue, et maintenant plus un mot.
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