Et pourtant, il fallait que cela finit!… La Cité tout entière était cernée; les berges gardées… où aller?… que faire?… Il n’avait qu’une ressource unique: descendre sur une berge, et passer coûte que coûte, se jeter dans la Seine!… Mais en aurait-il le temps?… Et pût-il même se jeter à l’eau, est-ce qu’il n’y serait pas repris aussitôt!…
Comme il débouchait du boyau dont l’étroitesse même l’avait sauvé, il comprit que sur cet espace plus large il allait être enveloppé par les poursuivants et qu’il allait tomber là, avec cette dernière espérance se faire tuer plutôt que de retomber aux mains de Guise et de Maurevert… Le désespoir l’envahit.
Dans ce suprême regard d’adieu au monde qu’il jetait autour de lui, il se vit devant une maison sinistre à la porte de fer. Le palais de Fausta!… Il était venu mourir devant le palais de Fausta!…
Un éclat de rire insensé gronda sur ses lèvres blanches, et il fit un dernier bond vers l’auberge du Pressoir de fer, escalada les marches, renversa à coup de pommeau quelques buveurs qui lui barraient le passage, et toujours droit devant lui, de pièce en pièce, il fonça… sans savoir, éperdu, enragé de mourir avant Maurevert!…
Dans le même moment, l’auberge fut pleine de tumulte… Les poursuivants s’y jetaient tous ensemble… De pièce en pièce, les hurlements frénétiques poursuivaient Pardaillan; fermer les portes lui était impossible…, déjà, il avait senti les rapières ou les piques des plus avancés le heurter… Une clameur de mort, sinistre, affreuse, emplit ses oreilles… et acculé dans la dernière pièce de l’auberge, continuait sa course éperdue, il vit une fenêtre ouverte, l’enjamba… sauta dans le vide!…
À la fenêtre, des coups d’arquebuse éclatèrent. Quelques instants, l’auberge fut pleine de vociférations, puis toute cette foule reflua, l’auberge se vida rapidement, et tous se précipitèrent au bord de l’eau.
À ce moment arrivait Maurevert, haletant, livide, sa dague à la main. Il jeta autour de lui des regards sanglants, ne comprenant pas ce qui se passait. Mais derrière lui le duc de Guise arriva et gronda:
– Où est le truand? Pourquoi n’est-il pas arrêté?…
– Monseigneur, cria un officier sur les bords de la Seine, le sire de Pardaillan s’est jeté dans la Seine; il est d’ailleurs blessé.
– Qu’on détache toutes ces barques, ordonna Guise; qu’on surveille le fleuve, et dès que l’homme apparaîtra, un bon coup d’arquebuse dans la tête!…
Et se tournant vers Maurevert:
– Je crois que nous le tenons bien, pour le coup!
Maurevert ne répondit pas. Un sourire crispa ses lèvres, et l’un des premiers, il se jeta dans une barque avec trois ou quatre hommes armés d’arquebuses. Quelques secondes après la chute ou plutôt le saut de Pardaillan, la Seine était sillonnée de barques, tandis que sur les rives la foule attendait. Trois ou quatre cents hommes étaient prêts à faire feu sur Pardaillan dès qu’il se montrerait à la surface de l’eau.
Une heure se passa… Pardaillan ne reparut pas. Il fut évident pour tous qu’il s’était noyé et que son corps roulé par le courant avait dû aller se perdre au loin, à moins qu’il n’eût été retenu par le lit du fleuve. Cependant, les recherches continuèrent jusqu’au soir, mais sans aucun résultat.
XX OÙ FAUSTA SE CONTENTE D’UNE COURONNE
Pardaillan, lorsqu’il sauta par la fenêtre de l’auberge, ne se doutait pas qu’elle donnait sur la Seine. En se sentant s’enfoncer dans l’eau, la pensée lui vint qu’il pourrait peut-être essayer de remonter le courant et de prendre pied sur les berges de l’île Notre-Dame (île Saint-Louis).
Mais dans cette rapide seconde où l’eau bourdonnait dans ses oreilles où ses vêtements collés à son corps le paralysaient, et où déjà la nécessité de remonter respirer lui apparaissait imminente et terrible, car remonter à la surface, c’était courir au-devant des balles, dans cette seconde, disons-nous, ses mouvements devinrent désordonnés; de tout son effort, il lutta à la fois contre le courant qui l’entraînait et contre la poussée naturelle de bas en haut; il suffoquait; il tournoyait sur lui-même, pris dans les remous du fleuve venant se briser à cette pointe de la Cité… Bientôt la respiration lui manqua… et il étendit les bras dans un dernier spasme…
Dans cet instant, il éprouva le violent tressaillement de l’homme qui va mourir et qui entrevoit un moyen de salut… En effet, dans ce mouvement suprême que ses bras venaient de faire sous l’eau, sa main crispée venait de heurter quelque chose… il ne savait quoi… c’était un poteau enfoncé dans le fleuve… Ses doigts raidis s’amarrèrent à cette chose, et tout aussitôt, il s’y cramponna… En même temps, il se laissa remonter, se glissant, et grimpant le long de ce poteau ou de cette poutre, et l’instant d’après, toujours cramponné à la poutre, il émergea…
Son premier regard fut pour chercher la fenêtre d’où il s’était jeté et essayer une dernière défense… Mais il ne vit rien au-dessus de sa tête… rien qu’un plancher de bois… Tout autour de lui, c’étaient des poutres qui émergeaient, se croisaient, formaient l’échafaudage qui soutenait ce plancher…
Pardaillan étouffa un rugissement de joie; il comprit que dans sa lutte contre le courant, il s’était jeté sous la prison du palais de Fausta! sous cette pièce où il y avait un trou par où Fausta faisait jeter dans l’eau les cadavres des condamnés! Au même moment, il aperçut le treillis de fer… la nasse où il avait failli périr!…
Pardaillan se hissa le long de la poutre à laquelle il s’était accroché, sortit complètement de l’eau et s’assit sur la première bifurcation de poteaux. Il était sauvé… ou presque!
Du dehors, on ne pouvait le voir… il entendait les cris de ceux qui le cherchaient et à qui, naturellement, l’idée ne pouvait venir de remonter le courant… En effet, peu à peu les cris s’éloignèrent. Pardaillan eut alors un rire silencieux et murmura:
– Il se pourrait bien que je me tire de ce nouveau plongeon… je voudrais bien voir la figure de M. de Guise et de cette digne Mme Fausta, la perle de la reconnaissance…
En prononçant à demi-voix ce nom de Fausta, Pardaillan demeura soudain frappé par une idée qui lui traversait le cerveau.
En effet, il se doutait bien que la Seine allait être surveillée dans son cours et sur ses berges, et qu’il lui serait très difficile de s’éloigner du refuge où il se trouvait. D’autre part, la pensée pouvait parfaitement venir à ceux qui le cherchaient de venir voir ce qui se passait sous ce plancher qui surplombait la Seine. Et comme, chez lui, l’exécution suivait toujours de près la pensée, Pardaillan, de poutre, en poutre, gagna le treillis de fer… la nasse de Fausta.
Il constata que le panneau qui formait ouverture était relevé; il l’était sans doute depuis le jour où on avait ouvert le passage aux cadavres… À ce souvenir, il ne put s’empêcher de pâlir. Mais redescendant le long du treillis avec la fermeté d’une résolution bien arrêtée, il plongea, et bientôt se retrouva dans l’intérieur de la nasse. Alors il remonta jusqu’en haut, jusqu’au plancher même.
Cramponné d’un bras à la poutre à laquelle il s’accrochait, de l’autre bras allongé il parvint à soulever la trappe qui fermait le trou carré. Alors il se suspendit des deux mains aux bords de ce trou, et se souleva par un tour de force musculaire connu en gymnastique sous le nom de «rétablissement». Quelques secondes plus tard, il était dans la pièce où il s’était battu contre les gens de Fausta, dans la salle des supplices… Elle était obscure, silencieuse…
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