– Moi!… Me, me adsum !… Je suis là, moi!… Ce qui m’épouvantait, Saint-Père, ce qui me paralysait, c’était de savoir que Votre Sainteté n’était pas avec nous. Que dis-je!… Vous étiez contre nous! Vous étiez avec l’ennemi mortel de ma maison, avec Guise!… Ah! Saint-Père, que je sois simplement assurée de votre neutralité, je n’en demande pas plus, et vous me verrez à l’œuvre!… Est-ce que mon fils compte? Ce qui compte, c’est moi! J’ai de l’argent: je trouverai des hommes. Je me charge, à moi seule, vieille combattante, de fomenter la destruction de l’hérésie, de rétablir toute l’autorité de l’Église, et de cimenter l’autorité royale… Par le sang de mon père, mes mains ne tremblent pas… Quant à Guise, j’en fais mon affaire!
– Et que faut-il pour tout cela? demanda Sixte en souriant.
– Votre neutralité, d’abord!…
– Elle vous est acquise: je ne me mêlerai des affaires de France que lorsque vous m’appellerez… Ensuite?
– L’appui de Philippe d’Espagne!…
– Dès aujourd’hui j’enverrai Cajetan au roi Philippe et le sommerai de vous venir en aide… Ensuite?…
– Votre bénédiction, Saint-Père! dit Catherine en tombant à genoux.
Sixte Quint leva la main droite et bénit des trois doigts la reine prosternée. Et en même temps que la bénédiction, tombait sur Catherine le sourire énigmatique du vieillard.
– Saint-Père, dit la vieille reine en se relevant, pendant toute votre secrète présence à Paris, mon hôtel est à vous. Daignerez-vous accepter l’humble et pieuse hospitalité de la plus fervente et de la plus soumise de vos filles?
– Oui, dit gaiement Sixte Quint. Je suis trop vieux pour me remettre en route sans avoir pris quelques jours de repos. Mais je ne serai votre hôte qu’à la condition expresse que vous continuerez à demeurer dans votre hôtel. Je me contenterai d’un appartement pour moi et ma suite…
Catherine s’inclina dans la plus majestueuse et la plus servante des révérences. Lorsqu’elle fut sortie, Sixte Quint s’assit à une table, demeura rêveur pendant quelques minutes, puis se mit à écrire longuement. Quant il eut terminé, il fit appeler Cajetan, le seul de ses cardinaux en qui il eût une confiance absolue.
– Cajetan, lui dit-il, vous allez partir à l’instant. Hors Paris, vous lirez avec attention ce papier qui renferme des instructions précises, puis vous le détruirez quand vous aurez compris…
– Où dois-je aller, Saint-Père? demanda le cardinal.
– Il s’agit, mon bon Cajetan, de déployer toute votre diplomatie, tout cet esprit de finesse et de force qui fait de vous le plus ferme soutien de mon trône… Il s’agit de conquérir, d’amener à nous… le seul homme capable de tout entendre et de tout comprendre, capable de sauver l’Église et de restaurer l’autorité royale en France…
– Et qui est cet homme, Saint-Père?…
Sixte Quint regarda fixement le cardinal et répondit:
– C’est un huguenot. Il s’appelle Henri de Bourbon. Il est roi de Navarre en attendant d’être roi de France… Allez, Cajetan!…
Pendant trois jours, le chevalier de Pardaillan et Charles d’Angoulême battirent Paris pour retrouver une trace quelconque de la petite bohémienne. Mais ce fut en vain. Pipeau lui-même, que le chevalier alla chercher à la Devinière , n’indiqua aucune piste, soit que les traces fussent inventées, soit que le chien eût perdu le flair.
– C’est fini, dit Charles avec abattement. Je ne la retrouverai plus.
– Pourquoi cela? ripostait Pardaillan. Une femme se retrouve toujours, vous pouvez m’en croire.
– Pardaillan, je suis au désespoir, reprenait le jeune homme, qui en effet avait toutes les peines à dissimuler ses larmes.
Le chevalier le regarda avec une expression de fraternelle pitié. Et il soupira, comme s’il eût bien voulu, lui aussi, être à l’heureux âge où l’on pleure parce qu’une jolie fille a disparu.
– Ah! çà, s’écria-t-il, je voudrais bien comprendre, moi! Lorsque madame votre mère me fit l’insigne honneur de me prier de veiller sur vous, je croyais que vous veniez à Paris avec des pensées d’ambition… Sur le plateau de Chaillot, je vous ai proposé de conquérir le trône vacant…
– Le trône! murmura le duc d’Angoulême en tressaillant.
– Eh! oui, par tous les diables! Pourquoi ne seriez-vous pas roi? N’êtes-vous pas de sang royal? Que manque-t-il à votre tête pour que vous ayez une figure de Majesté? Une couronne, voilà tout!
Pardaillan examinait son jeune ami avec une sorte d’inquiétude.
– Non! dit fermement le jeune homme. Non, Pardaillan, ce n’est pas pour cela que je suis venu à Paris!
Le visage du chevalier s’éclaira.
– Ainsi, dit-il, vous ne rêvez pas la royauté?…
– Non, mon ami…
– Vraiment! vous n’avez pas fait ce joyeux rêve?…
– Peut-être, Pardaillan. Mais je me suis éveillé.
Le chevalier se mit à se promener dans la pièce où avait lieu cet entretien. Il souriait. Ses yeux brillaient de joie.
– Alors! reprit-il tout à coup, qu’êtes-vous venu chercher à Paris?… Simplement la vengeance?…
Cette fois, l’œil du jeune duc s’alluma; et Pardaillan qui l’examinait en dessous fut repris de cette bizarre anxiété que nous venons de signaler. Mais presque aussitôt, cette flamme s’éteignit sur le visage charmant de jeunesse, de grâce et d’abandon, et Charles répondit d’une voix tremblante:
– En vain je voudrais me parer à vos yeux d’un sentiment de force qui n’est pas dans mon âme… Méprisez-moi, Pardaillan: je ne suis ni le prince que votre audace a peut-être espéré lorsque vous avez cru que l’ambition de régner me poussait à Paris, ni l’homme de violence que votre esprit d’entreprise a souhaité sans doute lorsque d’après mes propres paroles et mon attitude vous avez pu croire que je cherchais la bataille et la vengeance… Pardaillan, vous êtes un héros, vous. Ce que vous allez penser de moi, je ne le pressens que trop; mais justement parce que j’admire votre force d’âme qui vous emporte bien loin des pauvres sentiments que je puis éprouver, je ne mentirai pas; cela m’étouffe, il faut que je parle… Pardaillan, il faut que vous me connaissiez tout entier.
Le chevalier s’était jeté dans un fauteuil, avait croisé les jambes l’une sur l’autre, sa grande rapière en bataille sur les genoux, la tête renversée sur le dossier, – et à travers ses paupières à demi closes, considérait le duc d’Angoulême qui, debout, appuyé à un antique dressoir, laissait déborder son cœur en paroles de douceur.
– Chevalier, continuait le duc d’Angoulême, je dois l’avouer. Lorsque d’un mot qui retentit encore dans mon esprit, vous m’avez laissé entrevoir que, moi aussi, je pouvais me jeter à la conquête de ce trône qu’assiègent de si formidables appétits, j’ai eu un instant d’éblouissement. J’ai cru une minute que j’étais un prince, et j’ai oublié que je suis simplement le Bâtard d’Angoulême.
Pardaillan fit un geste de large et bienfaisante indifférence.
– Vous êtes fils de roi, dit-il; M. de Guise n’en peut dire autant, il a des merlettes sur son écu et vous y portez la fleur de lis.
– Fils de roi, oui, répondit Charles dont le front se voila, mais non fils de reine… Oh! je n’ai pas besoin de vous dire, n’est-ce pas? Vous me comprenez? J’ai pour ma mère une affection et une vénération qui touchent à l’idolâtrie; je mourrais plutôt que de lui faire un chagrin sérieux. J’aime mieux que ma mère s’appelle Marie Touchet, plutôt que de tel nom de reine. Je ne conçois pas de mère plus tendre, plus vraiment mère que n’a été, que n’est encore la mienne. Mais Marie Touchet n’était pas l’épouse de Charles IX et si je suis fils de roi, je ne puis être prince héritier… Voilà ce que vous m’avez fait oublier, chevalier, avec votre généreuse et ardente parole… Je suis rentré en moi-même, et j’ai vu l’inanité du fol espoir qui s’y levait…
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