Souvent Catho, songeant à lui, avait soupiré en se regardant au miroir. Mais la pensée ne lui fût jamais venue qu’elle pouvait aimer le chevalier. Seulement, elle se plaisait à rêver qu’elle était devenue quelque chose comme son amie, veillant sur lui, le servant, et se dévouant jusqu’à la mort.
Ils devaient mourir!…
On devait les torturer!…
Catho se sentait si triste, si abattue, qu’elle souhaita de mourir sur l’heure, elle aussi.
L’existence, tout à coup, lui parut vide, et il lui sembla que son cœur s’éteignait.
Mais tout cela se passait en dedans. Ses lèvres et ses mains tremblaient un peu, voilà tout.
– On dirait que nous t’avons fait de la peine, reprit la Roussotte. Est-ce que tu connais ces hommes?
– Moi? Non… murmura Catho.
– Alors… c’est entendu? nos robes…
– Oui, fit machinalement Catho, vous les aurez… allons, laissez-moi… et vous dites que la chose est pour dimanche?
– Dimanche matin… mais nous devons aller au Temple samedi soir…
– Ah!… samedi soir…
– Mais oui, voyons! M. de Montluc nous attend à souper samedi soir à huit heures… tu comprends?
– Oui, oui, balbutia Catho… Allez-vous-en maintenant.
Les deux ribaudes embrassèrent leur bonne amie et se retirèrent.
Catho, alors, plaça ses deux coudes sur la table, sa tête dans ses mains, et murmura:
– Dimanche! dimanche matin!…
Et alors, elle se prit à sangloter.
Il n’est pas inutile de rappeler ici que la torture de la question ordinaire et extraordinaire devait être appliquée aux Pardaillan non pas le dimanche, comme le croyaient Pâquette et la Roussotte, mais bien le samedi matin. On n’a pas oublié sans doute que le gouverneur du Temple, Marc de Montluc, après avoir promis aux deux ribaudes de les faire assister à la hideuse scène, s’était repris à temps. Mais comme il tenait à s’assurer leur visite, il leur avait affirmé que la chose se ferait le dimanche: au moment de tenir sa promesse après la bonne nuit qu’il se promettait, il en serait quitte pour leur dire que la question avait été avancée d’un jour.
Ceci établi, revenons à Catho.
Comme on a pu le voir, c’était une fille énergique. Elle avait assisté sans broncher au siège et à l’incendie de son vieux cabaret du Marteau qui cogne . Elle en avait vu bien d’autres, alors que demi-ribaude, demi-truande, elle avait pris part à plus d’une expédition de la cour des Miracles!
L’explosion de sa douleur fut donc rapide. Et après les premiers sanglots, elle frappa du poing sur la table en disant de ce ton farouche qui indique les résolutions inébranlables:
– C’est bien. Il faut que dans la nuit de samedi à dimanche, j’entre au Temple!
Ce qu’elle ferait, ce qu’elle dirait, ce qu’elle tenterait, elle n’en savait rien. Elle avait cinq jours devant elle pour y songer. Ce qui était ancré dans son cerveau dès ce moment, c’est qu’elle devait entrer au Temple dans la nuit du samedi, avant la torture qui devait avoir lieu le dimanche matin… d’après ce qu’elle venait d’apprendre.
Au moment où elle prit cette résolution, des cris retentirent dans la grande salle.
Catho essuya ses yeux, frotta ses joues avec son tablier pour y ramener quelque couleur et pénétra dans le cabaret en grondant:
– Que se passe-t-il encore, voyons! Vous voulez donc nous amener le guet!
– Un meurtre! On vient de tuer une pauvre vieille femme!
– C’est la Roussotte et Pâquette!
Trois ou quatre ribaudes venaient de jeter cette affirmation: c’étaient des ennemies acharnées des deux filles, jalouses de leurs succès et de leur beauté, et qui n’eussent pas été fâchées de leur attirer quelque mauvaise affaire.
Aussi faisaient-elles grand tapage de ce meurtre qui, en d’autres circonstances, les eût laissées parfaitement indifférentes.
– Cette pauvre vieille! glapissait l’une. C’est abominable!
– J’ai toujours dit que Pâquette avait un mauvais regard! criait une autre.
– Il faut les dénoncer à la prévôté! hurlait une troisième. Voilà assez longtemps qu’elles nous éclaboussent.
La Roussotte et Pâquette pleuraient, sanglotaient, juraient leur innocence.
– Silence, toutes et tous! commanda Catho.
Le silence se rétablit à l’instant. La porte de l’auberge fut soigneusement fermée.
– Où est la vieille femme tuée? demanda Catho.
– Dans la rue, en face, ah! la pauvre vieille!… Cela fait pitié, j’en ferai une maladie…
Celle qui venait de parler ainsi était une grosse fille à tignasse jaune, aux yeux bouffis, qui jetait des regards terribles sur les deux pauvrettes abasourdies, épouvantées par la soudaine accusation qui pesait sur elles.
– Voyons, Jehanne, raconte ce que tu sais, dit Catho.
La grosse fille mit ses poings sur ses hanches, se balança un instant, et commença:
– Donc, nous venions de sortir, il y a cinq minutes, moi et Jacques-le-Manchot, avec la grande Blonde, Fifine-aux-Soldats et Léonarde. À peine dehors, voilà Jacques-le-Manchot qui crie: Tiens! qu’est-ce qu’il y a là? – Faut voir, que dit Fifine. – Allons-y, que je dis. Alors, Jacques-le-Manchot en avant, nous allons toutes voir. Et qu’est-ce que nous voyons? La Roussotte et Pâquette accroupies sur une vieille femme qu’elles achevaient d’étrangler. Pas vrai, dites?
– C’est vrai! s’écrièrent Léonarde, la grande Blonde et Fifine-aux-Soldats.
– C’est pas vrai! dit la Roussotte. La vieille était déjà morte.
– Déjà morte! déjà morte! Même qu’elle remuait encore. Pas vrai, dites?
Pâquette et Roussotte éclatèrent en sanglots et jurèrent qu’elles s’étaient heurtées dans la nuit à ce cadavre et qu’elles avaient voulu voir seulement s’il n’y avait rien de bon à emporter.
– Pas vrai! affirma Jehanne en roulant ses gros yeux. Moi, d’abord, je vais prévenir la prévôté! Viens, Manchot!
Catho saisit la fille par le bras.
– Voilà bien des histoires, dit-elle simplement, pour une vieille qui est venue mourir à ma porte. C’est-il la première fois? Qu’as-tu à dire? Va chercher la prévôté, ma fille, et je me charge de lui dire ce qu’est devenu ce sergent qu’on n’a jamais retrouvé; et toi, Manchot, tu sais que j’en sais long sur ton compte… et vous toutes, hein?
Il y eut un frémissement de terreur parmi la clientèle du cabaret.
– Par la mordieu! reprit Catho, c’est la première fois qu’on parle de m’amener la prévôté. Qu’elle vienne donc, et elle en entendra de belles!…
– Catho! Catho! s’écrièrent quelques truands.
– Mais Catho a raison! C’est la faute à Jehanne!
La grosse fille fit amende honorable et assura qu’elle avait voulu plaisanter en parlant de dénoncer la Roussotte et Pâquette. La paix se rétablit. Deux truands se chargèrent d’emporter le cadavre au loin, afin d’écarter tout soupçon du cabaret des Deux morts qui parlent . Puis, la société se dispersa.
Au moment où Paquette et La Roussotte allaient s’éloigner à leur tour Catho les retint:
– Restez, je veux vous parler, dit-elle.
L’auberge fut fermée; les lumières s’éteignirent.
Catho conduisit ses deux amies jusqu’à une chambre, et là elle leur dit:
– Alors, ce n’est pas vous qui avez tué la vieille?
– Catho! est-il possible que tu nous soupçonnes… Non, ce n’est pas nous…
– Eh bien, moi, dit Catho, je crois que c’est vous! Ne criez pas, ne pleurez pas, c’est inutile. Je crois que c’est vous. Et quand même ce ne serait pas vous, tout vous dénonce. Il y a des témoins pour prouver que vous avez tué la vieille… Vous avez entendu Jehanne? Silence, donc! pas de pleurnicheries, nous allons nous entendre… Écoutez-moi.
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