Si nous passons de la reine au comte de Marillac, de la mère au fils, nous voyons que Déodat vient de recevoir le double coup d’un bonheur imprévu.
Le pauvre jeune homme s’imagine avoir enfin touché le cœur de sa mère, et Catherine l’amuse par la fantasmagorie de sa maternité à demi avouée.
De plus, le comte a retrouvé toute sa sérénité d’amour pour Alice.
Les soupçons vagues imprécis qu’il a pu concevoir, se sont évanouis sous le souffle de Catherine. Il n’a pas cessé un moment d’adorer Alice de Lux; mais maintenant, il est sûr d’elle.
L’époque de son mariage approche.
Que fera-t-il après ce mariage? Demeurera-t-il à la cour de France, comme son cœur l’y invite? S’en ira-t-il à l’étranger comme sa fiancée l’y incite? Il ne sait pas encore…
Tout ce qu’il sait, c’est qu’Alice est pure, c’est qu’Alice l’aime, et devant un tel bonheur, le reste ne compte pas.
Un grand chagrin, pourtant, a traversé cette félicité:
Jeanne d’Albret est morte!…
C’est-à-dire tout ce que le comte a vénéré jusque-là! tout ce qui lui apparaissait comme la bonté souveraine, la raison de vivre en oubliant le malheur initial de sa vie!
Mais ce chagrin lui-même s’efface lorsque Déodat songe qu’il a retrouvé une mère et une fiancée…
Encore un qui est heureux!…
Quant à Alice de Lux, la mort de Jeanne d’Albret lui a ôté le plus cruel de ses soucis. Seule, la reine de Navarre eût eu intérêt à la séparer du comte. Seule, elle pouvait et devait la dénoncer… La reine morte, Alice a respiré.
Catherine de Médicis lui a promis la suprême récompense de ses services.
Elle épousera le comte de Marillac!…
Encore une qui se persuade qu’après tant d’orages, elle est enfin arrivée au port d’un bonheur si durement conquis!…
Charles IX attend sans impatience le grand événement que lui a promis sa mère. Il ne sait pas au juste ce qui doit se passer. Mais il sait que l’événement doit consolider son trône. Il sait qu’il n’y aura plus de tracas, plus d’ennuis, plus de guerres; il pourra courir les bois, chasser le cerf et le sanglier, sans se demander à chaque instant si l’un des chasseurs qui l’accompagnent ne va pas le tuer: il pourra étudier de nouveaux airs sur le cor: enfin, vivre à sa guise.
Dès lors, pense-t-il, les crises effrayantes qui, à la moindre émotion, le jettent dans des délires tantôt furieux, tantôt désespérés, ces crises ne se renouvelleront plus. Il régnera sans conteste, c’est-à-dire qu’il emploiera aux commodités de sa vie tout ce qu’un peuple entier peut produire de richesse, de génie, de science et d’art. Entouré de poètes parce qu’il aime les jolis vers, de ciseleurs et d’orfèvres parce qu’il aime les belles ferronneries, de chasseurs parce qu’il aime les courses au grand air, il se délassera de ses travaux de ferronnier en courant le cerf, de la chasse en écrivant des poésies, de la littérature en soufflant du cor, et ce sera le parfait bonheur: plus de huguenots, ni de catholiques, plus de gens d’armes, plus de menaces, plus de sang.
Il pourra librement, tout seul, vêtu en bourgeois, parcourir sa bonne ville, s’arrêter parfois dans quelque guinguette, et finir toutes ses excursions chez Marie Touchet qu’il aime sans passion, mais avec une tendresse profonde. Voilà ce que rêve cet enfant de vingt ans: pour le reste, il a ses conseillers, ses parlements, ses chanceliers et ses ministres qui s’occuperont de l’administration de son royaume.
Voilà ce que lui a promis Catherine, et c’est cela qu’il attend, sans trop y croire, car ce serait trop beau, songe-t-il. Mais enfin… sa mère est si énergique dans ses promesses qu’il faut bien qu’il y ait quelque grand événement en préparation… Le roi Charles IX attend… il attend le bonheur.
Et justement, dans cette période, il est tout souriant. Il sourit aux catholiques, aux huguenots, à sa mère, à son frère d’Anjou qu’il déteste, à Henri de Béarn qu’il redoute, à Coligny qui le veut assassiner, d’après ce que Catherine lui a assuré. Charles est déjà tout heureux. Son sourire est sincère.
Il a bonne mine, c’est-à-dire qu’au lieu d’être livide comme à son ordinaire, il est simplement pâle.
Il semble même qu’il y ait une sorte de fierté dans ses yeux, une fierté qui étonne ses courtisans, inquiète Guise, et fait rêver Catherine. Chacun, dans le Louvre, se demande pourquoi le petit Charles est si fier, pourquoi ce malheureux se dilate, pourquoi il redresse sa pauvre moustache d’un air conquérant, et chacun se met l’esprit à la torture pour deviner quelle secrète pensée anime le roi.
Simplement, il s’est passé une chose que toute la cour ignore:
Marie Touchet a accouché d’un beau garçon bien râblé, solide, criard, plein de vie: Charles IX est père!… Un nouveau petit Valois est au monde; et le roi songe quel titre il pourra bien lui conférer [12].
Marie Touchet qui aime le roi, qui s’effraye des grandeurs, qui rêve d’une existence douce et tendre où son Charles ne serait pas roi, mais un bon bourgeois heureux d’aimer et d’être aimé, Marie Touchet a supplié son royal amant de ne pas faire le malheur de l’enfant en le marquant pour ainsi dire d’un titre qui, plus tard, lui rappellerait sa naissance et lui donnerait de funestes ambitions… mais le roi a souri: il veut que l’enfant de son amour s’approche le plus près possible du trône!
Il veut s’occuper de ce fils… et pour cela, il faut que l’ère paisible prédite par sa mère se réalise enfin.
Jetons aussi un coup d’œil dans le logis de Marie Touchet.
Marie Touchet, c’est la fille du peuple, avec toutes ses exquises délicatesses. C’est, dans la sombre tragédie qui se déroule en cette année 1572 à jamais maudite, c’est la figure de lumière et de douceur qui laisse au poète, au rêveur, au philosophe le droit de penser que l’humanité de cette époque ne fut pas une exception d’épouvante et d’horreur, puisqu’il s’y trouve de tels anges parmi de tels démons.
Si nous pénétrons chez elle, nous la trouvons penchée sur le berceau de son fils; car depuis quelques jours, elle est relevée de ses couches, et désormais elle ne vit plus que pour cet enfant.
Quel calme dans ce logis! quelle propreté!… Quelle modestie aussi!… modestie charmante qui ne va pas sans coquetterie. Dans la chambre à coucher aux meubles de noyer ciré, toute claire, voici le berceau où dort le duc d’Angoulême. Au-dessus du berceau, un beau portrait de Charles IX en bourgeois. Le roi sourit dans son cadre. Et Marie lui sourit lorsque parfois son regard se lève de l’enfant jusqu’au père.
Puis voici que le petit Valois se réveille et crie: la mère dégrafe son corsage et, prenant l’enfant dans ses bras avec un geste tout frémissant, lui présente le sein blanc et rose, le sein gonflé, puissant,… mamelle populaire. Et le petit Valois, le fils du roi, gloutonnement, saisit de ses lèvres, de ses deux mains, le sein de la belle fille du peuple.
Nous ne voyons là aucun symbole… les choses sont ainsi, tout simplement.
Passons maintenant à des personnages plus actifs.
Panigarola, dans son couvent, médite la destruction des huguenots et la mort de son rival Marillac. Étrange physionomie que celle de ce moine incroyant poussé à la haine par l’amour, devenu à son insu le redoutable instrument que manie la sainte Inquisition!
Éloquent d’une sauvage éloquence, décuplée par la passion qui se déchaîne en lui, il déverse du haut de la chaire des flots de haine.
Et lui, dans ses clameurs vengeresses, ne songe qu’à Marillac… L’heure approche où le rival succombera, où Alice, enfin, lui appartiendra, purifiée, régénérée dans le sang d’une vaste hécatombe, et songeant à ces choses, il est heureux…
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