En outre, un certain nombre de capitaines des milices bourgeoises, des centainiers et même quelques simples dizainiers se massèrent à l’intérieur, près des portes, et purent entendre le sermon.
Le discours du révérend fut entendu dans le plus grand silence.
Seulement, quand ce fut fini, un frémissement terrible parcourut cette assemblée, surtout parmi les curés.
Puis, tout ce monde s’écoula.
Alors une femme qui, cachée dans une des loges, avait tout vu, tout entendu, se leva à son tour et sortit. À la porte, elle retrouva quelques gentilshommes qui escortèrent sa litière jusqu’à l’hôtel de la reine.
En effet, c’était Catherine.
Et Catherine, au moment où le sermon se finissait, s’était penchée; son regard, chargé d’une haine avide, s’était appesanti sur le duc de Guise, et elle avait murmuré:
– Messieurs de Lorraine, exterminez-moi les huguenots!… Ce sera bien étonnant si dans la bagarre quelques bonnes arquebuses huguenotes ou autres, ne me débarrassent de vous en même temps! Le royaume purifié des huguenots par les Guises et des Guises par les huguenots… voilà le plus beau trait de ma vie! Quant au roi, ajouta-t-elle, avec un sourire, il n’est pas besoin de le tuer: il meurt. Ô mon Henri, tu régneras sans conteste sous l’égide de ta bonne mère!…
Dès le lendemain de cette mémorable soirée, de furieuses prédications éclatèrent à la fois dans toutes les églises de Paris.
Et à la suite de chacun de ces prêches, le peuple se répandait dans les rues avec des menaces et des imprécations contre les réformés.
Les huguenots conçurent bien quelque inquiétude de ce retour offensif de haines qu’ils croyaient éteintes. Mais, comme tous les jours le roi les invitait à son jeu de paume, comme il paraissait ne plus pouvoir se passer de Coligny, comme il s’entourait toujours des huguenots pour aller à la chasse, les inquiétudes finirent par s’atténuer.
D’ailleurs, tous les esprits étaient préoccupés de la prochaine célébration du mariage d’Henri de Béarn et de Marguerite.
Seuls, quelques esprits chagrins voulaient voir une mystérieuse coïncidence entre la mort foudroyante de Jeanne d’Albret et ces sentiments d’hostilité qui se déchaînaient dans le peuple de Paris.
X OÙ TOUT LE MONDE SE TROUVE HEUREUX
Le moment est venu où, semblable au voyageur qui monte une côte fort rude et très hérissée d’aspérités, nous devons prier le lecteur de souffler un instant avec nous et d’examiner de haut l’ensemble de la position. Nous pourrions encore nous comparer à un joueur d’échecs qui, sur le point de mettre en mouvement les cavaliers ou les dames qui feront réussir ou échouer sa combinaison, inspecte la situation de chacun de ses personnages. Avec cette différence, toutefois, que les personnages du joueur d’échecs n’ont manœuvré que sur sa volonté expresse, tandis que, simple narrateur, nous avons dû nous contenter de noter les manœuvres des nôtres. Ici, c’est la fatalité, fabricatrice d’histoire, logique en ses écarts mêmes tout autant que le joueur attentif, c’est la fatalité, disons-nous, qui a tout conduit. Et nous employons ce mot à défaut d’autre. Il exprime pour nous l’ensemble des volontés humaines qui, se heurtant, s’amalgamant, se brisant, se renouant, s’enlaçant les unes dans les autres, finissent par former l’événement visible que signale l’histoire… Il n’en est pas moins vrai que nos personnages, en dehors de notre volonté de narrateur, se sont placés et ont fini par se combiner dans la situation à laquelle ils devaient logiquement aboutir.
C’est sur cette situation qu’il est indispensable de jeter un coup d’œil d’ensemble, situation, répétons-le, qui ne pouvait pas ne pas être, situation comparable à celle des diverses troupes en présence la veille d’une bataille, après de longues manœuvres.
Un dernier mot encore: nous le devons aux lecteurs qui nous ont fait l’honneur de nous suivre.
Ce récit se trouve étroitement mêlé à une catastrophe historique: nous avons usé de notre droit d’imaginer non pour inventer de toutes pièces, des personnages ou des faits, mais pour les reconstituer sur un mot, sur un incident, sur une attitude, comme on dit que Cuvier [11]reconstituait un animal disparu sur une simple vertèbre. Un exemple: si l’histoire nous apprend qu’Orthès, vicomte d’Aspremont, se promène le 24 août avec des dogues qu’il lâchait sur les huguenots en pleine rue, notre rôle est de reconstituer l’état d’esprit de ce personnage, l’aspect possible de la rue, la pensée probable de la foule – et nous avons un épisode dans la narration duquel intervient activement notre volonté sans qu’il nous soit possible de blesser la vérité possible, qui est toujours la plus vraie.
Cela dit, retournons-nous du haut de notre montagne et examinons à vol d’oiseau la position.
À tout seigneur, tout honneur: Catherine de Médicis est la véritable protagoniste de ce drame. La reine, par une lente manœuvre, se trouve à la veille d’un double événement qui doit, d’après elle, se présenter dans le même instant. En effet, l’extermination des huguenots ne doit-elle pas être, du même coup, la mort de son fils Déodat. Donné à Dieu! Si le malheureux jeune homme a jadis échappé à cette affreuse offrande, il est temps que la destinée de son nom s’accomplisse et qu’il soit pour toujours, cette fois, donné à Dieu!
Ce massacre des huguenots qu’elle prépare maintenant, Catherine l’a-t-elle rêvé dès longtemps?… Nous avons vu au contraire, qu’elle était au fond, sceptique sur la question religieuse, et qu’elle eût, en somme, consenti volontiers à «entendre la messe en français». Mais une terrible rivalité s’était élevée entre elle et Jeanne d’Albret. Jusqu’à la mort de l’infortunée reine de Navarre, Catherine pensa fermement que Jeanne convoitait le trône de France. Elle se servit des haines religieuses plutôt qu’elle ne les suscita. Elle ne rêva guère dans le début que de se débarrasser de la guerrière du Béarn. Puis, lorsque les huguenots furent à Paris, lorsqu’elle les tint en son pouvoir, elle dut fatalement se demander si le moment n’était pas venu d’une destruction générale.
Cette extermination se préparait, sans qu’elle fût encore positivement résolue.
Catherine redoutait les huguenots qui étaient capables de soutenir les prétentions qu’elle supposait à Henri de Béarn.
Elle redoutait les Guise, qu’elle supposait aussi férus d’un amour sans borne pour la puissance royale.
Elle redoutait le comte de Marillac, enfant d’une faute qui, si elle était découverte, ferait d’elle la risée de la cour.
Enfin, en correspondance permanente avec Rome, elle subissait, peut-être sans s’en rendre compte, la pression effroyable du saint-office inquisitorial.
Faire massacrer les huguenots par les Guise, et les Guise par les huguenots, assurer la disparition du comte son fils, et se ménager à jamais dans Rome le plus puissant des appuis, telle dut être sa pensée conductrice.
Le résultat de la victoire était de placer le duc d’Anjou sur le trône, dès la mort, escomptée, de Charles IX.
Et de gouverner en souveraine maîtresse sous le nom de son fils préféré.
Toute cette laborieuse combinaison était sur le point d’aboutir: par Alice et Panigarola, elle tenait Marillac; Charles IX, épouvanté et tremblant, persuadé que les huguenots conspiraient sa mort, devenait un instrument docile; les Guise étaient prêts à se ruer dans Paris, le fer et la torche à la main.
Catherine était donc plus paisible, plus heureuse que nous ne l’avons jamais vue.
Ses impatiences ont cessé: elle attend tranquillement que sonne l’heure épouvantable.
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