En parlant ainsi, la malheureuse se mit en effet à pleurer.
Catherine hochait doucement la tête.
– Pauvre petite, murmura-t-elle comme à part soi, comme elle a l’air de souffrir! C’est de ma faute, aussi… j’aurais dû m’apercevoir que cette enfant aspirait à une vie de calme…
L’espionne tomba à genoux et sanglota:
– Oui, Majesté! c’est cela… une vie de calme! Votre Majesté est une grande reine!…
– Comment! Tu m’as entendue?
– Que Votre Majesté me pardonne! fit Alice en essayant lamentablement de sourire, elle sait bien que j’ai l’oreille fine et que j’entends tout ce que je veux… Ô ma reine, ayez pitié de moi! Je vous ai fidèlement servie, j’ai mis mon corps et mon âme à votre service… j’ai été loyale, et, je puis bien le dire, j’ai été brave… les intérêts de Votre Majesté m’ont été sacrés… maintenant, je suis à bout de forces…
– Relève-toi donc, interrompit la reine, cela me chagrine de te voir à mes pieds comme une suppliante, comme une… criminelle…
Alice eut l’imperceptible soupçon que Catherine lui préparait un mauvais coup. Mais ce soupçon s’évanouit aussitôt lorsqu’elle entendit la reine continuer:
– Ainsi, c’est ton congé que tu veux, ma petite Alice?
– Si Votre Majesté voulait me l’accorder, dit Alice en se relevant, je lui en serais reconnaissante toute la vie… Je dis bien: reconnaissante. Ce n’est pas un mot… Je veux dire que si la reine avait pitié de moi, je mourrais volontiers pour elle à la première occasion de danger…
– Ainsi, reprit Catherine en continuant à sourire, tu ne veux même pas faire ce petit effort, le dernier, ma petite, le dernier…
– Oh! s’écria Alice, Votre Majesté ne m’a donc pas comprise!
– Le dernier, Alice, le dernier!…
– Ayez pitié de moi, ma reine!…
– Bah! je te dis que tu peux encore faire ce petit effort, le dernier! Écoute, tu ne sais pas? Je te donnerai un joyau d’une inestimable valeur… Je l’ai là, dans ce coffret.
– Votre Majesté m’a montré ces joyaux dont une princesse serait jalouse… je ne les ai pas enviés…
– Oui, mais le bijou du dernier compartiment, Alice! Tu ne peux te figurer sa beauté. Les pendants aux perles, le peigne aux rubis, le collier aux diamants, l’agrafe aux émeraudes, tout cela n’est rien…
– Madame… je vous en supplie…
– Tiens, laisse-moi seulement de te le montrer, et tu décideras ensuite!
À ces mots, Catherine souleva rapidement le troisième compartiment du coffret aux bijoux. Le fond apparut. Il était couvert de velours noir, comme les autres rangées.
– Regarde, dit Catherine de Médicis en se levant.
Alice jeta un regard d’indifférence sur le nouveau bijou que lui montrait la reine.
Aussitôt, elle devint livide; elle fit deux pas rapides, les mains en avant, comme pour conjurer un spectre, et un cri rauque s’échappa de sa gorge:
– La lettre!… Ma lettre!…
Catherine de Médicis, au mouvement de l’espionne, saisit le papier et le glissa dans son sein.
– Ta lettre! gronda-t-elle. Tu la reconnais? C’est bien elle en effet. Sais-tu ce que l’on fait aux mères qui ont tué leur enfant et qui l’avouent cyniquement, comme tu l’avoues dans ta lettre?
– C’est faux! hurla l’espionne. C’est faux! L’enfant n’est pas mort!
– Mais l’aveu n’en existe pas moins, ricana Catherine. La mère criminelle, Alice, on la traduit devant la cour prévôtale…
– Grâce!…
– … qui la condamne à mort…
– Grâce! Pitié!… L’enfant vit!…
– Alors la mère coupable est livrée au bourreau qui l’entraîne au gibet…
– Grâce! répéta Alice, qui tomba à genoux et porta les deux mains à son cou.
– Choisis! dit la reine d’une voix glacée. Obéis ou je te livre.
– Affreux! C’est affreux! Je ne peux pas! Je vous jure que je ne peux pas!…
Catherine frappa violemment sur un timbre.
Paola, cette suivante italienne que nous avons signalée, apparut.
– M. de Nancey! fit la reine.
– Il est là, Majesté!
– Fais-le venir!
– Pitié! Pitié! gémit Alice prosternée.
Le capitaine des gardes de Catherine se montra à ce moment à l’entrée de l’oratoire.
– Monsieur de Nancey, commença la reine.
Au même instant, Alice fut debout, et, pantelante, dans un souffle d’agonie, murmura:
– J’obéis!…
– Monsieur de Nancey, termina Catherine avec un sourire, vous voyez bien mademoiselle de Lux?
– Oui, madame.
– Eh bien, il est possible qu’un de ces jours, elle ait besoin de vous et de vos hommes. Retenez bien que vous devrez lui obéir, la suivre où elle vous mènera, lui prêter main-forte, et arrêter la personne qu’elle vous désignera. Allez, et n’oubliez pas.
Le capitaine s’inclina sans surprise, en homme qui en avait vu et entendu bien d’autres.
Dès qu’il fut disparu, Catherine se tourna vers l’espionne; sa voix redevint dure.
– Tu es décidée? bien décidée?
– Oui, madame, bégaya la malheureuse.
– Tu te mettras en rapport avec le comte de Marillac?
– Oui, madame.
– Bien; maintenant, écoute… Si tu me trahissais…
Alice frisonna de se voir devinée.
– Si tu me trahissais, continua la reine, ce n’est pas au grand-prévôt que je ferais parvenir ta lettre… j’aurais encore assez pitié de toi pour te laisser vivre.
Alice jeta à la terrible tourmenteuse un regard d’interrogation affolée.
– C’est à un autre que je la ferais remettre! dit Catherine. Et j’y joindrais l’histoire de ta vie, avec preuves à l’appui.
– Un autre! balbutia l’infortunée.
– Et cet autre s’appelle le comte de Marillac, acheva Catherine de Médicis.
Un long cri d’épouvante et d’horreur retentit dans l’oratoire, et Alice de Lux tomba à la renverse, aux pieds de la reine, sans connaissance…
Comme nous l’avons expliqué au début d’un précédent chapitre, les scènes que nous venons de retracer se passèrent le matin du jour où le chevalier de Pardaillan sortit de la Bastille avec la complicité… involontaire du gouverneur, M. de Guitalens.
Nous avons vu à la suite de quels raisonnements le jeune chevalier avait pris la résolution de ne plus s’occuper désormais que de lui-même, et, comment, ayant en son pouvoir la lettre de Jeanne de Piennes à François de Montmorency, il s’était décidé à ne pas la faire arriver à son adresse.
Certain non seulement de ne pas être aimé de Loïse, mais encore d’en être détesté, convaincu d’ailleurs que même s’il n’était pas haï, un mariage entre Loïse et lui devenait un rêve irréalisable, du fait que sa jeune et jolie voisine se trouvait être la fille d’un haut et puissant seigneur, Pardaillan s’était dit:
«Je serais bien bête après tout de m’occuper d’affaires qui ne me regardent pas… Pourquoi porterais-je cette lettre? Qu’y a-t-il de commun entre moi et les Montmorency?»
Malgré ses belles résolutions, le chevalier avait glissé la missive dans son pourpoint et était sorti de la Devinière – pour s’étourdir au grand air, se disait-il.
En réalité, par maint tour et détour et après mainte station en divers cabarets plus ou moins mal famés, il se dirigea vers l’hôtel de Montmorency, et tout en s’affirmant qu’il n’y entrerait pas, heurta le marteau de la grande porte.
Ce pauvre chevalier de Pardaillan semblait poussé par quelque mauvais génie à toujours faire le contraire de ce qu’il avait résolu.
Ayant frappé avec une sorte de colère – colère contre qui? contre lui-même, sans doute! -, le chevalier attendit quelques minutes en maugréant.
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