– J’oublierai, mon père, je vous jure! affirma sincèrement Colline Colle qui admettait très bien tout ce que lui disait là le moine.
Mais l’absolution qu’il lui donnait ainsi ne lui inspirait pas confiance. Elle voulait une absolution dans toutes les règles, de même qu’elle avait accompli scrupuleusement toutes les formules préliminaires à la confession. Elle le voulait d’autant plus qu’elle avait été plus effrayée et qu’elle s’était vue plus près de sa perte. En conséquence, elle insista.
Parfait Goulard se garda bien de la contrarier pour si peu et lui donna une absolution en bonne et due forme. Après quoi, il se hâta de sortir pour aller brûler le pacte d’enfer qu’il ne tenait pas, on le conçoit, à garder trop longtemps sur lui.
Quant à Colline Colle, elle fut longue à se remettre de la terrible secousse qu’elle venait d’éprouver. Mais comme elle avait son absolution bien en règle, elle se rassura peu à peu. D’autre part, comme elle ne voulait pas courir le risque d’être damnée à nouveau, elle raya de sa pensée cette histoire de trésor qui avait failli causer sa perte.
Enfin, comme c’était une femme de tête, en même temps qu’elle renonçait à une affaire devenue impossible, elle s’empressait de revenir à une autre qui pouvait, si elle était bien conduite, rapporter un honnête profit, sans compromettre son salut. C’est-à-dire qu’elle se mit à ressasser dans sa tête comment elle pourrait, par l’intermédiaire de Carcagne (qu’elle appelait le bon jeune homme) découvrir Concini (le seigneur masqué). Après quoi, il lui serait facile, elle l’espérait du moins, d’arracher une bonne somme à La Varenne, en lui dévoilant le nom du ravisseur de Bertille, avec lequel il irait s’arranger.
Mais comme le succès de cette affaire reposait uniquement sur Carcagne, dont elle ignorait le nom, il était clair qu’elle ne pourrait la mener à bien que si elle découvrait d’abord Carcagne. Il était non moins clair qu’elle ne trouverait pas celui-ci… à moins qu’il ne vînt la voir, comme elle l’avait engagé à le faire.
Le résultat de ces réflexions fut qu’elle alla se camper debout, tête inclinée et mains jointes, devant une statue de la Vierge placée sur sa cheminée, et là, avec ferveur et conviction, elle prononça à haute voix l’oraison suivante:
– Vierge sainte et bonne, faites que ce bon jeune homme vienne me voir et que par lui je retrouve le seigneur qui a enlevé ma locataire!… Vous êtes trop raisonnable et trop juste, madame la Vierge, pour ne pas comprendre que j’ai bien droit à ce petit dédommagement, en compensation du trésor que je viens de perdre!
Dès qu’il se fut éloigné de la maison de dame Colline Colle, le premier soin de Parfait Goulard fut de lire ce document qu’il venait d’arracher à sa crédulité et sur lequel il n’avait fait que jeter un coup d’œil.
Le document était écrit en latin. Ceci n’était pas pour le gêner. On sait que son ignorance était affectée.
Il faut croire que les indications qu’il contenait avaient une valeur réelle, car en le lisant les petits yeux du moine pétillaient de joie.
Sa lecture achevée, il s’en fut droit au couvent des capucins, et, quelques instants plus tard, il pénétrait dans cette même chambre où nous l’avons déjà vu se faufiler dans la matinée de ce jour.
Claude Acquaviva s’y trouvait encore en tête-à-tête avec le père Joseph qui paraissait décidément être son disciple préféré. En voyant entrer l’agent secret, le capucin interrogea discrètement des yeux Acquaviva qui lui fit signe de demeurer.
– Eh bien! mon fils, dit le vieillard avec cette douceur dont il se départissait rarement, avez-vous déjà mené à bien la mission que je vous avais confiée ce matin?
– Oui, monseigneur. Et les heureuses nouvelles que j’apporte ont une importance capitale… Sans quoi, je n’eusse pas commis l’imprudence de me présenter ici deux fois dans la même journée, au risque d’éveiller la curiosité des dignes pères capucins.
Acquaviva approuva de la tête et dit simplement:
– Parlez, mon fils.
Parfait Goulard, avec une concision remarquable, sans omettre un détail, rapporta fidèlement tout ce qu’il avait appris concernant Bertille de Saugis.
Quand il eut terminé, Acquaviva demeura un moment songeur:
– Ainsi, fit-il au bout d’un instant, cette enfant est la fille du roi!… Il parut hésiter une seconde et trancha d’un ton bref:
– Peu importe, après tout. Elle devient gênante, il faut qu’elle disparaisse momentanément.
– Nous savons où la trouver, fit remarquer Goulard, je reste convaincu que c’est elle que Jehan le Brave conduisait ce matin chez le duc d’Andilly. J’ajoute, monseigneur, que la nécessité de faire disparaître – au moins pendant quelque temps – cette jeune fille vous apparaîtra plus impérieuse encore, quand j’aurai achevé mon rapport.
– Ah! fit Acquaviva avec une ombre de sourire, je me disais bien que ce n’étaient pas là toutes les nouvelles que vous m’apportiez.
– En effet, monseigneur, dit très simplement Parfait Goulard, je vous apporte en outre ceci.
Et il tendit le chiffon de papier que la matrone Colline Colle, après l’avoir volé à sa locataire, s’était laissé si facilement arracher par le moine.
Acquaviva prit le papier et le lut attentivement. Une lueur qui passa comme un éclair dans un œil doux fut le seul signe apparent par quoi se manifesta son émotion.
Très calme, il se tourna vers le père Joseph, témoin muet et impassible de cette scène, et lui tendit le papier en disant:
– J’ai décidé que je n’aurai rien de caché pour vous tant que j’habiterai sous ce toit. Que vous veniez ou non à nous, j’entends reconnaître par une confiance absolue le signalé service que vous me rendez en me permettant de vivre ici, insoupçonné de tous. Tenez, lisez, mon fils. Et voyez s’il est permis de douter que la Providence soit avec nous. Lisez tout haut.
Le père Joseph prit le document et traduisit à haute voix comme on le lui demandait:
«CAPELLA DE SANCTO MARTYRIO
(Située à l’est et au-dessous du gibet des Dames)
«Creuser au bas de la clôture, du côté de Paris. On découvrira une voûte sous laquelle il existe un escalier de trente-sept marches, aboutissant à une cave dans laquelle se dresse un autel. Sur la pierre de cet autel sont gravés douze traits figurant douze marches. Creuser sous la douzième de ces marches, surmontée d’une croix grecque. On mettra à jour un gros bouton de fer. Frapper fortement sur ce bouton. Une ouverture démasquera une fosse. Creuser dans cette fosse jusqu’à ce qu’on trouve une dalle. Sous la dalle, il y a un cercueil. Le trésor est dans le cercueil.»
Quand il eut terminé cette lecture qu’il avait faite lentement, en martelant chaque syllabe, comme s’il avait voulu les faire bien pénétrer dans l’esprit de ses auditeurs, le père Joseph rendit le papier en disant froidement:
– Reste à savoir si ces indications très précises concernent le trésor de la princesse Fausta.
Acquaviva plia soigneusement le papier et, s’adressant à Parfait Goulard:
– Où avez-vous trouvé ce papier? fit-il.
– Monseigneur, ce papier, contenant des indications que nous cherchions vainement depuis vingt ans, se trouvait entre les mains de cette jeune fille, cette Bertille de Saugis.
– Ah!… je comprends pourquoi vous insistez sur l’utilité de sa disparition.
Le moine s’inclina silencieusement.
– Racontez, dit laconiquement Acquaviva.
Parfait Goulard fit alors le récit de la partie de la confession de Colline Colle ayant trait à la lettre que le comte de Vaubrun avait adressée autrefois à sa fiancée, Blanche de Saugis.
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