Michel Zévaco - Les Pardaillan – Livre VII – Le Fils De Pardaillan – Volume I

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Nous sommes à Paris en 1609. Henri IV règne, sous la menace permanente des attentats. Le chevalier de Pardaillan, qui n'a pas retrouvé son fils, rencontre un jeune truand, Jehan-le-Brave, en qui il ne tarde pas à reconnaître l'enfant de Fausta. Or, Jehan-le-Brave, qui ignore tout de ses origines, est amoureux de Bertille de Saugis, fille naturelle d'Henri IV. Pour protéger sa bien-aimée et le père de celle-ci, c'est-à-dire le roi, il entre en conflit avec tous ceux qui complotent sa mort: Concini et son épouse, Léonora Galigaï, Aquaviva, le supérieur des jésuites qui a recruté un agent pour ses intentions criminelles, le pauvre Ravaillac. Le chevalier de Pardaillan s'engage dans la lutte aux côtés de son fils, aussi bien pour l'observer que pour protéger le roi. Or, Fausta jadis avait caché à Montmartre un fabuleux trésor que tout le monde convoite, les jésuites, les Concini, et même le ministre du roi Sully. Seule Bertille connaît par hasard le secret de cette cachette, ainsi que le chevalier de Pardaillan…

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– Je n’y suis pour rien! gémit Colline Colle dont la raison commençait à chanceler.

– Je le sais, répondit Goulard, et c’est fort heureux pour vous. Sans quoi vous seriez damnée comme elle. Donc elle se tua, cette diablesse. Et que fit-elle avant de se tuer?

– Elle porta à ce comte dont je ne dois pas dire le nom les papiers relatifs au trésor.

– Pourquoi à ce comte? demanda Goulard qui suivait la vérité à travers toutes ces interruptions destinées à affoler la matrone.

– Parce que ce comte était un ancien serviteur de la souveraine et qu’il était, de plus, un ami du père de l’enfant.

– Bon, je comprends! Le comte devait garder les papiers pour les remettre au père de l’enfant… Mais le comte s’est tué volontairement – et qu’il aille à tous les diables, lui aussi! – en sorte que les papiers sont restés chez sa fiancée, laquelle les a légués à sa fille, où vous les avez vus… Est-ce bien tout?

– C’est tout, mon père! Je le jure par les plaies du Christ.

– Je vous crois… Mais ce que vous ne savez pas, vous, et que je sais, moi, parce que j’ai étudié des livres sacrés qu’il n’est pas donné aux profanes de feuilleter, ce que je devine par les noms maudits que vous avez eu la fatale imprudence de prononcer, c’est que tout ceci est un conte diabolique… Diabolique, entendez-vous, malheureuse?… Ah! j’ai bien peur que vous ne soyez irrémissiblement damnée!

– Pourquoi? Qu’ai-je donc fait de si abominable? larmoya Colline Colle.

– Ce que vous avez fait, malheureuse?… Montrez-moi d’abord ce papier… Il est possible après tout, que je me trompe.

Colline Colle, qui était toujours à genoux, s’accroupit sur les talons, se fouilla précipitamment, prit le malencontreux papier, cause de sa damnation peut-être, et le tendit du bout des doigts en donnant de bonne foi et de confiance des signes de terreur et de répulsion manifestes.

Parfait Goulard le prit du bout des doigts, lui aussi, et n’y jeta qu’un coup d’œil. Aussitôt, comme si ce bout de papier avait été un tison ardent, il le laissa tomber en poussant un grand cri. D’un mouvement brusque et violent, il envoya rouler le fauteuil derrière lui, et d’un bond il s’éloigna du papier fatal, comme s’il s’était trouvé soudain en présence de quelque reptile venimeux. En même temps il beuglait, avec des gestes d’exorciste:

Vade retro, Satanas!… Vade retro!…

Colline Colle s’était écroulée la face contre terre. Elle n’avait plus une idée nette dans la tête. Elle ne songeait pas à s’éloigner du diabolique papier. Elle n’en aurait pas eu la force, du reste. La terreur dominait tout autre sentiment chez elle et la paralysait. Elle se frappait énergiquement la poitrine et aux Vade retro! du moine, elle répondait par des:

Mea culpa!… Mea maxima culpa!

Ah! je l’avais bien deviné! tonitrua Parfait Goulard. Savez-vous ce que c’est, malheureuse, cette souveraine? Savez-vous ce qu’est sa suivante?… Deux diablesses!… Entendez-vous? deux diablesses!

– Grâce! implora la matrone sans savoir ce qu’elle disait.

– Savez-vous ce qu’est ce sacripant qui a soi-disant enlevé l’enfant?… Un démon!… Un démon de l’enfer!

– Pitié! râla Colline Colle.

– Savez-vous ce qu’étaient ce comte et son ami, ce soi-disant père de l’enfant?… Deux damnés!… qui avaient vendu leur âme à ces deux diablesses! continua Goulard implacable.

– Jésus, mon doux Seigneur, pitié, miséricorde, hoqueta la vieille, éperdue.

– Savez-vous enfin, termina le moine d’une voix qui grondait, savez-vous ce que c’est que ce papier?… Le pacte infernal signé par les deux damnés avec Satan!…

Cette fois, Colline Colle ne bougea plus et ne dit plus rien. Elle était évanouie.

«Ouais! songea Parfait Goulard en la contemplant d’un air dépité, aurais-je été trop loin?»

Et haussant les épaules d’un air détaché:

«Bon! la leçon lui profitera. Je suis bien sûr, maintenant, qu’elle ne sera pas tentée de raconter cette histoire à d’autres.»

Et posément, sans hâte aucune, froidement, il s’en fut chercher un des verres à moitié plein de vin et le jeta au visage de la matrone qui ouvrit un œil.

– Allons, dit-il avec douceur, debout, mon enfant, je vois bien que vous n’avez péché que par ignorance.

Dès l’instant qu’on lui faisait espérer qu’il était possible de la tirer des gouffres de l’enfer entrevu, Colline Colle retrouva des forces et se releva comme on le lui commandait. Mais ses jambes vacillaient et ses yeux imploraient encore grâce.

– Vite, dit le moine, donnez-moi de l’eau bénite, que je purifie ces lieux.

La matrone se rua dans sa chambre et apporta le bénitier qu’elle avait à la tête de son lit.

Le moine trempa ses doigts dans l’eau et à grand signe de croix, en marmottant des prières, il aspergea la vieille qui s’était mise dévotement à genoux, la pièce dans tous les sens, et le fameux papier.

Quand ce fut fait, un soupçon traversa l’esprit du moine et, fixant sur elle des yeux étincelants:

– Faites attention, dit-il, d’une voix qui ranima ses transes, si vous avez un autre pacte pareil et que vous le gardiez, maintenant surtout que vous savez…

– Sur le salut de mon âme, interrompit Colline Colle avec une sincérité qu’il n’était pas possible de suspecter, je jure que je n’en ai pas pris d’autres!…

– Je vous crois… De même que j’espère, pour vous, que vous n’avez pas lu les autres papiers semblables à celui-ci.

– Comment aurais-je pu les lire?… puisqu’ils sont écrits dans une langue que je ne connais pas.

– C’est juste! dit gravement Goulard.

Rassurée encore une fois, Colline Colle guigna du coin de l’œil le papier. Elle n’oubliait pas que ce maudit papier avait failli causer sa damnation et elle se demandait avec terreur s’il allait rester là. Aussi, prenant son courage à deux mains, elle demanda timidement:

– Mon père!… Et ce papier de l’enfer?…

– Il faut le brûler, dit péremptoirement le moine.

Colline Colle eut un recul épouvanté et, joignant les mains, elle insinua:

– Ne vous semble-t-il pas qu’un prêtre seul peut, sans danger pour son salut, risquer une opération si délicate?

– Soit, condescendit généreusement le moine, je le brûlerai donc moi-même. Et pour plus de sûreté, je ferai la chose dans une église, avec toute la pompe usitée en pareil cas.

La matrone se confondit en actions de grâces. Après quoi, toujours sous l’empire de sa terreur, elle sollicita humblement l’absolution.

– Je vous la donne volontiers, fit Parfait Goulard, très digne. Cependant, il est de mon devoir de vous avertir: si vous vous avisez de fouiller encore dans les papiers de votre locataire, vous serez damnée sans rémission. Rien ne pourra vous sauver, maintenant surtout que vous savez ce que vous êtes exposée à trouver dans ces papiers.

La vieille protesta de ses bonnes intentions avec d’autant plus de force qu’elle savait que la cassette avait été emportée par Jehan le Brave. Petit détail qu’elle avait omis de signaler, parce qu’il n’avait rien à voir avec sa confession. Il convient même de dire qu’à présent qu’elle savait ce que valaient ces papiers qu’elle avait tant regretté de ne pouvoir lire, elle était bien aise de les savoir loin de son toit.

Cependant, le moine qui avait son idée, lui aussi, continuait avec force:

– Pareillement vous serez damnée si vous prononcez les noms de ces diablesses et de ces démons.

Et sur un ton qui la fit frémir:

– Savez-vous pas, malheureuse imprudente, qu’en prononçant leurs noms, vous risquez de les voir surgir devant vous?… Et s’ils vous saisissent et vous veulent entraîner avec eux, croyez-vous que vous serez de force à leur résister?… Si vous tenez à votre salut, le mieux est d’oublier cette histoire qui sent le fagot.

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