– Pur hasard, monseigneur, et je n’y ai pas grand mérite.
– Oui, mais ce n’est pas le hasard qui vous a donné cette idée, à laquelle je n’avais pas songé, de vous faire le confesseur très indulgent de tous les malandrins de France. C’est cependant grâce à cette idée que vous avez pu, en confessant ce Saêtta, connaître la vérité. Et aujourd’hui encore, alors que depuis six semaines je le fais vainement chercher partout, c’est vous qui découvrez M. de Pardaillan. Le hasard, vous le savez comme moi, ne favorise que ceux qui savent l’aider.
Il reprit sa lente promenade et en marchant il expliquait sa pensée:
– À dater d’aujourd’hui, Pardaillan et son fils seront soumis à une surveillance de tous les instants. Pas un geste de ces deux hommes ne sera ignoré de moi… C’est, malheureusement, tout ce que l’on peut faire avec eux… ou du moins le père, lui, est ainsi. Il échappe à toute inquisition morale… il n’est pas de ceux qu’un prêtre peut confesser.
– Le fils tient du père sous ce rapport, assura Goulard.
– Je le regrette!… Heureusement, les gestes extérieurs permettent de pénétrer la pensée d’un homme. Mais, maintenant, nous entrons en lutte directe avec Pardaillan. Ceci est grave, très grave… Tout ce que nous avons fait jusqu’à ce jour n’est rien à côté du peu qui nous reste à faire… très peu, en vérité, et ce peu devient d’une difficulté quasi insurmontable, parce que nous nous heurtons à Pardaillan.
Il demeura un moment songeur, le front courbé. Puis il redressa la tête, son œil doux prit une expression terrible et, d’une voix froide, tranchante:
– Nous en viendrons à bout, cependant. Il le faut pour la plus grande gloire de Jésus.
Il reprit son aspect calme et doux, comme s’il n’y eût plus à revenir sur une décision de lui. Il revint s’asseoir dans son fauteuil et expliqua:
– Il est impossible que Pardaillan ne connaisse pas l’existence du trésor de Fausta. Je dirai mieux: en dehors de Fausta et de Myrthis, morte, Pardaillan est le seul être humain qui, à l’heure actuelle, sache l’endroit exact où est enfoui ce merveilleux trésor. L’abbesse de Montmartre, sur les terres de qui il a été caché, ignore comme tout le monde en quel endroit de son abbaye il peut se trouver. Le père Coton, qui la dirige, assure qu’elle en est à se demander si ce fameux trésor existe réellement.
– Pourtant, monseigneur, remarqua Goulard, M mel’abbesse, lorsqu’elle a succédé à Claudine de Beauvilliers, a signé une déclaration par laquelle elle reconnaît que ce trésor est la propriété de la princesse Fausta et s’engage à le livrer à la personne qui, en même temps qu’elle indiquera la cachette, montrera à l’abbesse la bague de fer de Fausta.
– En échange de quoi on lui remettra la somme de deux cent mille livres. Mais depuis vingt ans qu’elle attend, elle en est arrivée à désespérer. Pardaillan sait, lui. Il sait depuis qu’il est revenu d’Espagne, c’est-à-dire depuis bientôt vingt ans… Et jamais cet homme, qui est pauvre, n’a eu l’idée d’aller puiser dans ce monceau d’or et de pierreries qui lui appartient bien un peu, puisqu’il appartient à son fils. Longtemps, j’ai espéré qu’il succomberait à la tentation… alors, il m’eût dévoilé la cachette. Car, depuis ce temps, je fais surveiller l’abbaye. J’ai été déçu. Cet homme est l’honneur et la loyauté incarnés.
Acquaviva demeura un moment songeur, admirant peut-être la force d’âme de cet homme qui avait su résister à la fascination de l’or.
– Aujourd’hui, reprit-il, les choses sont bien changées. Tôt ou tard – et s’il tarde trop, je l’aiderai – Pardaillan apprendra que ce Jehan le Brave est son fils, le fils de Fausta. Le jeune homme mène une existence qui ne pourra pas ne pas choquer les sentiments chevaleresques de son père qui, d’ailleurs, ne me paraît pas avoir la fibre paternelle développée à l’excès. Qu’il le reconnaisse, lui ouvre ses bras, ou se détourne de lui, peu m’importe. Ce qui importe, c’est que, fût-il mille fois plus indigne, le jour où Pardaillan saura que Jehan le Brave, truand et brave, est le fils de Fausta, Pardaillan se croira obligé de le conduire au trésor et de lui dire: «Prends! Ceci est à toi, qui t’est donné par ta mère.» Quitte à lui tourner le dos après.
– Ce jour-là, ajouta Acquaviva avec force, nous serons là, nous!… Et avec cette douceur qui semblait être la dominante de sa physionomie:
– Allez vous reposer, mon fils, vous devez en avoir besoin. Allez. Cinq minutes plus tard, étendu sur l’étroite couchette de la cellule où il était revenu sans bruit, frère Parfait Goulard dormait de ce sommeil profond qui, dit-on, est l’apanage du juste.
Il nous faut revenir à dame Colline Colle, que nous avons laissée juchée sur un escabeau, épiant ce seigneur masqué qui venait de lui enlever sa locataire. Les faits et gestes de la matrone ont une importance capitale pour la suite de ce récit.
Lorsqu’elle vit la litière s’éloigner, Colline Colle descendit de son escabeau. Elle avait entendu à peu près tout l’entretien de Concini avec sa prisonnière. Elle n’y avait pas trouvé ce qu’elle avait espéré, car sa figure exprimait le désappointement.
– Quel dommage que je ne sois qu’une faible femme! dit-elle. J’aurais suivi la litière et je saurais où retrouver ma locataire.
Elle se mit en quête de planches et boucha la fenêtre tant bien que mal. Tout en s’activant, son esprit travaillait.
– C’est sûrement un étranger – elle pensait à Concini. Un Italien, peut-être, ou un Espagnol. À moins que ce ne soit un Allemand? Non, j’ai entendu parler des Suisses. Ils n’ont pas cet accent-là. Là! vaille que vaille, cela tiendra bien jusqu’au jour.
Elle entra dans sa chambre, poussa soigneusement la porte, par habitude sans doute, car, avec ses vitres brisées, il était on ne peut plus facile d’entrer. Elle vit les pièces d’or que Concini avait laissé tomber sur le parquet. Ses petits yeux eurent une lueur fauve. Elle joignit les mains, comme lorsqu’elle s’approchait de la sainte table, et d’un air extasié:
– Que c’est joli!… Comme cela brille!… Et cela réchauffe!… On dirait des petits morceaux de soleil!
Brusquement, elle s’affala sur le parquet, saisit les pièces à poignées et les fit tinter dans sa main.
– Et quelle douce musique!… Les anges du paradis doivent avoir des voix pareilles!… Cent… cinq cents… mille livres!… Et il y en a encore!… Doux Jésus! deux mille livres!…
Elle courut à son lit, versa les pièces en cascade sur le drap et vida la bourse qu’elle avait si prestement arrachée à Concini. Elle contempla le tas d’or d’un air dévot, gagnée par un inexprimable attendrissement. Et tout à coup:
– Il doit y en avoir encore qui ont roulé par là, sous les meubles!
Elle revint s’étaler sur le plancher, fouillant, cherchant, bouleversant tout, avec de petits cris de joie lorsqu’elle trouvait une pièce. Et toujours elle pensait à Bertille:
– Le roi voudra savoir ce qu’elle est devenue. Je vais revoir le seigneur de La Varenne… lui dire où elle est… ou tout au moins le nom du ravisseur… C’est peut-être encore dix mille livres qu’il me donnera pour ce renseignement!…, Oui, mais, comment savoir?… Si ce bon jeune homme Carcagne revenait me voir… il sait lui… Je me chargerais bien de le faire parler… Sainte Brigitte, ma patronne, faites qu’il revienne et je vous promets un cierge!…
C’est à ce moment que Jehan avait fondu sur elle. Nous l’avons entendu conter lui-même ce qui s’était passé. Nous n’y reviendrons pas.
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