— Saint-Etienne à l'appareil...
Torrence parvient à avoir le directeur des Tréfileries au bout du fil.
— Allô!... Vous avez bien comme sous-directeur un certain Gérard Duhourcin?... C'est un homme grand et fort, n'est-ce pas, aux cheveux gris, à la moustache légèrement argentée?... Vous dites?... Je vous renseignerai dans un instant... Je voudrais savoir si M. Duhourcin devait venir à Paris aujourd'hui... Oui?... Pourquoi?... Mais non, monsieur... Répondez-moi d'abord... Je vous dirai ensuite tout ce que j'ai à vous dire... Ne vous fâchez pas, sacrebleu! Comment?... Demain?... Le mariage de son fils avec votre fille?... Et c'est pour cela que... Oui, enfin, vous supposez... Il n'a que ce fils-là?... Et vous ignorez où il descendait d'habitude quand il venait à Paris?... Il est mort, il y a quelques instants, dans mon bureau même... Je viens de demander au téléphone son domicile particulier... Vous avez raison... Si vous voulez vous en charger... J'aimerais que son fils vienne le plus tôt possible... Quant à la cérémonie... Evidemment!... Mais oui, c'est une catastrophe!...
Le docteur Marie, qui s'est relevé, confirme exactement les suppositions de Torrence. Selon lui, le coup de feu a été tiré, à une distance de trois à quatre mètres, quelques instants seulement avant la mort, et c'est un miracle que l'homme ait pu monter l'escalier et...
— Nous n'en avons pas fini avec cette histoire, soupire Torrence. Entre, Lucas!... Une vilaine affaire, vieux!... Voilà!... Gérard Duhourcin... Situation de premier ordre à Saint-Etienne... Marié... Père d'un garçon qui devait, demain midi, épouser la fille du directeur des Tréfileries...
» J'ai déjà eu Saint-Etienne au bout du fil... Duhourcin est parti hier au soir, par le train de nuit... Il n'a pas emporté de bagages... Il ne devait, en effet, passer que quelques heures à Paris... On l'attendait ce soir à Saint-Etienne... Tu dis?... D'après son directeur, son voyage à Paris avait pour but d'acheter un cadeau pour les nouveaux mariés...
» Le directeur en devient fou... Il paraît qu'un dîner de soixante couverts est commandé et qu'en outre il devait y avoir une fête intime pour tout le personnel de l'usine et des bureaux...
La silhouette de Barbet se profile dans l'encadrement de la porte.
— Eh bien?...
— J'ai fait ma petite enquête dans la cité Bergère... Le coiffeur du rez-de-chaussée était sur son seuil, à contempler le brouillard... Il a fort bien entendu des pas qui se rapprochaient, mais il n'y a pas fait attention... Il affirme qu'à un certain moment, comme l'homme était peut-être à vingt mètres de la maison, il y a eu un bruit comme l'éclatement d'un pneu... Il ne s'en est pas inquiété, car cela arrive souvent... Un peu après, il a aperçu une silhouette qui se glissait dans l'immeuble...
— Tu as téléphoné au Parquet? demande Torrence à Lucas.
— J'y étais bien obligé...
Une descente du Parquet à l'Agence O! Un crime à l'Agence O! Drôle de publicité pour une agence de police privée!
On envoie Barbet, avec le revolver à barillet, chez Gastinne-Renette, l'armurier, pour expertise. Barbet est chargé d'attendre et d'apporter tous les renseignements possibles.
Une journée qui s'annonçait si calme, comme feutrée de brume!
— Je reste? Questionne le docteur Marie.
— Il vaudrait mieux, en effet, que vous attendiez ces messieurs du Parquet...
Dix minutes ne se sont pas écoulées que la sonnerie du téléphone retentit. C'est Saint-Etienne. Une voix de femme...
— Allô!... Ce n'est pas possible, n'est-ce pas?... Mon mari...
Bon! Le directeur des Tréfileries a déjà eu le temps de faire un saut au domicile de Duhourcin et d'annoncer la mauvaise nouvelle à la famille.
— Dites-moi tout, monsieur... supplie-t-elle. Je vous jure que ce n'est pas possible... Mon mari n'avait pas un ennemi au monde... C'était l'homme le meilleur, le plus juste, le plus...
On entend une autre voix, une voix d'homme.
— Laisse-moi parler, maman... Allô!... Ici, Jean Duhourcin... Il n'y a un train qu’à midi... Je serai plus vite là-bas en voiture... Etes-vous sûr que c'est mon père?... Si c'est lui, il a une petite cicatrice à la nuque... Regardez vite, de grâce... Maman ne peut pas encore y croire...
Le docteur se penche, hoche affirmativement la tête.
— Hélas! M. Duhourcin...
Un cri, là-bas, dans la maison du mort. Torrence, lugubre, raccroche. Des voitures se sont arrêtées dans la cité Bergère. C'est le Parquet. Et, derrière lui, arriveront les reporters de journaux, les photographes, toute la lyre!
— Tu n'as pas de chance, fait Lucas.
Et Mlle Berthe, plus sensible, de s'indigner:
— Il me semble que c'est surtout ce pauvre homme qui n'a pas de chance!... Et sa famille!... Et le couple qui devait se marier demain!...
Dix, quinze personnes dans les bureaux. Puis les photographes de l'Identité judiciaire qui prennent toute la place avec leurs appareils encombrants. On ne sait où se mettre, Pour ces messieurs, c'est presque une aubaine de venir voir de près l'organisation de l'Agence 0 qui a si souvent damé le pion à la police officielle.
Bon! Voilà le premier journaliste, alerté par Dieu sait qui, sans doute par le coiffeur du rez-de-chaussée.
— Dites-moi, monsieur Torrence, quand cet homme est arrivé et...
Téléphone. Cette fois, c'est Barbet. Il est avenue Montaigne, dans le bureau de M. Gastinne-Renette, le célèbre armurier.
— Je vous le passe, patron... C'est très intéressant...
— Allô !... M. Torrence?... J'ai examiné l'arme, oui... Aucun doute n'est possible... Un coup de feu a été tiré avec ce revolver ce matin même... Non... Vous m'en demandez trop... Mettons que le coup ait été tiré, autant que j'en juge par le degré d'oxydation, plutôt à neuf heures qu'à dix...
Torrence se précipite sur le spécialiste en empreintes digitales.
— On va vous apporter un revolver dont personne, depuis ce matin, n'a touché la crosse sans s'entourer la main d'un linge... J'ai besoin de savoir qui a manié cette arme...
A midi, les plus importants personnages du Parquet sont partis, mais il reste dans les locaux quelques spécialistes qui s'affairent sous la direction de Lucas.
Les résultats tombent les uns après les autres.
D'abord, le revolver du mort. C'est bien l'arme d'un bon bourgeois de province qui se contente de garder un revolver dans sa table de nuit sans jamais le porter sur lui. Le revolver, en effet, est lourd et encombrant.
D'ailleurs, Torrence a téléphoné à la femme de chambre des Duhourcin. Le revolver à barillet, qui se trouvait toujours dans le tiroir de la table de nuit, a disparu. Son patron ne l'avait jamais en poche.
Or, le revolver ne porte que les empreintes du mort.
— Autrement dit, déclare Torrence après s'être consulté à voix basse avec Emile, M. Duhourcin savait qu'il courait un danger. Donc, il ne venait pas seulement à Paris pour acheter un cadeau à son fils et à sa belle-fille. Il est arrivé un peu après sept heures du matin.
» L'enquête, à la Gare de Lyon, établit qu'un homme répondant à son signalement a fait sa toilette à la gare dans les locaux nouvellement aménagés dans ce but...
» On l'a vu ensuite au buffet, où il a mangé trois croissants et bu une tasse de café... Au moment de payer, il s'est ravisé et a commandé un rhum... Il a exigé un verre à dégustation... Il était plus de huit heures et demie quand il a quitté le buffet de la gare...
Les journalistes prenaient des notes. Il avait été impossible de les écarter.
— Donc, entre huit heures et demie et dix heures dix, heure à laquelle il est arrivé ici, blessé à mort, M. Duhourcin a tiré un coup de revolver...
Читать дальше