L'homme, alors, toujours à pied, se dirige vers un petit hôtel confortable du boulevard Montparnasse. C'est un hôtel situé près de la gare, où règne un va-et-vient permanent.
— Voici votre clé, monsieur Vladimir...
— Mon ami Sacha est en haut?
— Je ne sais pas... Sa clé n'est pas au tableau...
Barbet préfère ne pas poser de questions, mais un peu plus tard il s'est glissé au second étage, où l'homme au melon est entré dans une chambre. C'est la chambre 13.
Dix minutes paissent et un homme sort de la chambre 15, la chambre voisine. Barbet a juste le temps de se coller dans une encoignure.
L'homme qui descend l'escalier est blond, vêtu de gris clair, chapeauté de clair, et il porte un élégant pardessus de demi-saison sur le bras.
Heureusement que Barbet le voit de dos et même, en descendant l'escalier derrière lui, de haut en bas. De face, en effet, il s'y tromperait peut-être. Tout à l'heure, il a remarqué une cicatrice à la nuque de l'homme au melon, sans doute la trace d'un furoncle. Or la même cicatrice, exactement...
— Tiens! s'écrie la caissière. Votre ami Vladimir vient justement de monter...
— Je l'ai vu... Merci...
L'homme s'est ainsi transformé en un élégant touriste qui ne flâne plus dans les rues. Il saute dans un taxi. Barbet a la chance d'en attraper un autre.
Les deux taxis s'arrêtent en face du Bristol, un palace du boulevard Malesherbes.
Le portier reconnaît le voyageur et le salue.
— Bonjour, monsieur Gorskine...
La porte a tourné. Barbet, qui a entendu le nom, est resté dehors. Il s'éloigne, tire une enveloppe de sa poche.
— Pour M. Gorskine, s'il vous plaît...
— Je vais lui faire monter ce message par le chasseur... Il vient justement de rentrer...
— C'est que c'est à remettre en main propre...
— Le 543, au cinquième étage...
Barbet se promène quelques instants dans les couloirs du palace et repasse devant le portier, qui ne se méfie pas de ce commissionnaire.
Son coup de téléphone se termine par ces mots:
— Je suis en face, au Vieux-Beaujolais... Il vaudrait peut-être mieux que quelqu'un vienne jeter un coup d'œil?
Emile a écouté calmement.
— Et voilà, patron... Vous, vous allez faire un tour dans ce petit hôtel de la gare Montparnasse...
Torrence grogne. Donc il marchera!
— Et vous?
C'est assez comique d'entendre Emile le Rouquin murmurer avec sa délicieuse humilité:
— Moi, je vais me mettre en homme du monde...
Et c'est vrai. Quand il sort de l'appartement qu'il occupe avec sa mère boulevard Raspail, il est aussi élégant que n'importe lequel de ces jeunes gens gominés qui passent leur vie accoudés dans les grands bars de Paris.
III
Où il est évident qu'un hall de palace est favorable
aux rencontres, et où Emile se félicite de s'être transformé
en gentleman
Emile, en faisant arrêter son taxi en face du Bristol, a pu apercevoir la bonne tête de Barbet, aux poils hirsutes, derrière les vitres du Vieux-Beaujolais. Avant que le voiturier de l'hôtel se précipite, il souffle au chauffeur:
— Vous irez en face et vous direz à ce bonhomme au visage couvert de poils qu'Emile lui recommande de rester là...
L'homme du taxi est bien un peu étonné, mais il en a vu d'autres.
— Bien, patron...
Quant à Emile, il paraît aussi à son aise au Bristol que dans les bureaux peu élégants de l'Agence O. Il est arrivé sans bagages, intentionnellement. Il va recommencer le coup du matin, mais les concierges de palaces sont moins méfiants que les tenancières de maisons meublées.
— Dites-moi... Je vais probablement descendre chez vous pour quelque temps... Auparavant je dois savoir si mes amis sont arrivés... Voulez-vous me passer la liste des voyageurs?...
C'est l'heure du coup de feu, celle qui précède de peu le dîner. Le concierge ne suffit pas à renseigner ceux qui l'interrogent dans toutes les langues imaginables et il est bien content de se débarrasser d'Emile en lui passant le carton sur lequel des noms s'inscrivent en regard des numéros d'appartements.
« 543... Serge Gorskine... Venant de Varsovie... »
— Dites-moi, concierge... Il y a longtemps que M. Gorskine est arrivé?
— Depuis trois jours, monsieur... Vous voulez que je vous le passe au téléphone?... Il est justement dans son appartement...
— Vous êtes sûr?
— Absolument!... Même que tout à l'heure un commissionnaire a apporté un message pour lui... Et, il y a quelques minutes, M. Gorskine m'a téléphoné pour faire monter les dernières éditions des journaux du soir...
— Sa femme est avec lui?
— Je ne savais, pas que ce monsieur était marié... Non... Il est seul ici...
Le concierge répond en anglais à un Anglais, en allemand à un Allemand. Emile reste là, hésitant, et soudain il décide:
— Passez-le-moi donc à l'appareil...
— Cabine N° 2.
A quelle impulsion Emile a-t-il obéi? Il serait bien incapable de le dire. C'est un principe, chez lui, de ne jamais contrarier un premier mouvement. Chaque fois qu'il l'a fait, en effet, il l'a regretté.
— Allô !... Allô !...
Tout en décrochant le récepteur, il ne perd pas de vue le hall du palace, qu'il aperçoit à travers le rectangle vitré de la porte de la cabine.
- Allô!... M. Gorskine?...
— Non, monsieur... Ici, c'est le standard... M. Gorskine ne répond pas... Je sonne encore...
Mais Emile n'écoute déjà plus. Il vient de bondir hors de la cabine et l'instant d'après il surgit devant une jeune fille qui demeure aussi interdite que si la foudre était tombée à ses pieds.
— Bonjour, mademoiselle Dora...
L'a-t-elle reconnu du premier coup? Son premier mouvement, en tout cas, est de se précipiter vers la porte, mais elle se rend compte qu'il lui est impossible d'échapper à l'importun. Elle s'efforce de reprendre ses esprits, de sourire.
— Il me semble que je vous ai déjà rencontré... murmure-t-elle, tandis que sa poitrine palpite encore sous le coup de l'émotion.
— Pas plus tard que ce matin, mademoiselle. Dans votre si charmante chambre d'étudiante, rue Blomet... Souvenez-vous... Vous mangiez des croissants tout en potassant vos cours...
C'est en effet la petite Roumaine du matin qui, venant de l'ascenseur, et par conséquent des étages supérieurs de l'hôtel, se dirigeait vers la sortie au moment où Emile téléphonait.
Elle fait encore un essai pour se libérer d'Emile.
— Vous m'excuserez, murmure-t-elle, mais je suis assez pressée et...
— Je suis persuadé, mademoiselle, que vous n'êtes pas si pressée que cela et que vous allez, au contraire, bavarder un moment avec moi...
— Par exemple!
— Qu'il me suffise de vous dire que, si vous sortez, un policier officiel ne manquera pas de vous accoster et de vous demander d'où vous venez...
Le bluff réussit. Elle écarquille les yeux.
— C'est impossible... murmure-t-elle.
— Vous en voulez la preuve?... Faites donc quelques pas dehors avec moi... Ou plutôt non... Venez seulement jusqu'à la porte... Ne vous montrez pas trop... Regardez dans le petit bar d'en face... Vous apercevez un homme au visage velu qui a le nez collé à la vitre et qui surveille la sortie de l'hôtel... Il a non seulement votre signalement, mais celui de la personne que vous êtes venue voir...
Brave Barbet! Il ne se doute pas du service qu'il vient de rendre à son patron.
— Mais vous? Questionne la jeune fille.
— Moi, c'est différent... Je n'appartiens pas à la police officielle, vous avez dû vous en rendre compte au moment de l'enquête, rue Blomet...
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