— Hé! là... protesta machinalement Emile en essayant de reculer.
Il venait en effet de recevoir dans ses bras un corps inerte.
Au cri qu'il avait poussé, la jeune étudiante était sortie de sa chambre et elle questionnait, un demi-croissant à la main:
— Qu'est-ce que vous faites?
— Comme vous voyez... J'essaie de me dégager de...
Il parvint à étendre le corps sur le plancher. L'étudiante n'était pas une femmelette sensible, car elle s'approcha tranquillement se pencha sur le visage:
— Tiens... C'est M. Saft!... Qu'est-ce qu'il faisait dans le placard aux balais?...
En effet, dans le placard ouvert, on voyait encore des balais et des seaux.
— On dirait qu'il est mort... poursuivait-elle.
— Il est déjà froid... grogna Emile.
— Vous n'appelez pas la police?... Pauvre M. Saft!...
— Vous le connaissiez?
— De vue... Il occupait la chambre à côté de la mienne... Je me demande pourquoi on l'a mis dans ce placard... De quoi est-il mort?...
Une large plaie à la poitrine expliquait clairement que M. Saft était mort d'un coup de couteau.
— Dites-moi, mademoiselle... Cet homme paraît trente-cinq ans... Je suppose donc que ce n'était pas un étudiant...
— Je ne sais pas...
— Il y a longtemps qu'il habitait cette maison?
— Peut-être deux mois?... Si je le connais un tout petit peu, c'est qu'il est venu une fois ou deux, comme vous, frapper à ma porte pour me demander des allumettes...
— Il recevait beaucoup?
— Vous ne pensez pas, répéta-t-elle, que vous feriez mieux d'appeler la police?
— Cela ne vous dérangerait pas trop de le faire?
Elle hésita. La preuve qu'elle se méfiait quand même du nouveau locataire qui faisait, dès son arrivée, des découvertes aussi extraordinaires, c'est qu'elle ferma sa porte à clé avant de descendre.
Cela donna à Emile le temps de fouiller les poches de M. Saft. Il n'y trouva pas de portefeuille. Rien que des choses banales, un paquet de cigarettes, des allumettes, un mouchoir et trois bouts de crayons.
Olga gravissait les marches quatre à quatre.
— Qu'est-ce qu'elle raconte?... M. Saft a été...
— assassiné, oui, mademoiselle...
— Comment se fait-il que vous ayez ouvert ce placard?
— Pourquoi me demandez-vous ça? Etait-il d'habitude fermé à clé?
— Jamais... Justement!... Tout à l'heure, en faisant mes chambres, j'ai voulu l'ouvrir pour prendre un balai... La porte était fermée et la clé n'était pas sur la serrure... J'ai pensé qu'un de ces messieurs avait voulu me faire une farce... Cela leur arrive assez souvent de me jouer des tours... Je suis allée prendre un balai au premier et je n'y pensais déjà plus...
— M. Saft recevait-il parfois quelqu'un pour la nuit?
— La patronne ne le permettrait pas... La maison est sérieuse et...
— De la journée, recevait-il des amis?
— C'est peut-être arrivé... Je ne sais pas... De jour, on ne fait pas attention... Ça va, ça vient...
La patronne montait à son tour, les chairs tremblantes comme de la gélatine, en compagnie d'un sergent de ville et de la petite étudiante, qui n'avait pas lâché son croissant.
— Ainsi, vous prétendez qu'il est mort... grommela comiquement l'agent, les mains sur son ceinturon.
— Vous pouvez vous en assurer vous-même...
— Ce que je voudrais bien savoir, jeune homme, c'est de quel droit vous l'avez sorti de ce placard... Vous savez cependant que, dans des cas semblables, il est absolument interdit de...
— Il est tombé sur moi, murmura Emile
— Tiens! Tiens! Il est tombé sur vous! Et autrement, qu'alliez-vous faire dans ce placard? Vous faites partie du personnel de la maison?
— Si cela vous est égal, sergent, je répondrai à ces messieurs de la Police judiciaire, que je vous conseille vivement d'avertir au plus tôt...
— Un instant!... Des fois que vous voudriez en profiter pour vous éloigner...
Emile dut le suivre dans le bureau de l'hôtel et, pendant qu'il téléphonait à ses chefs, l'agent le tenait gravement àl’œil, tressaillait chaque fois qu'Emile faisait un mouvement.
— Je vous prie, en attendant que ces messieurs arrivent, de vous considérer comme prisonnier... Et d'abord, vos papiers... Que je sache si vous avez seulement des papiers en règle...
Bien entendu, comme la plupart des honnêtes gens, Emile n'avait pas une pièce d'identité sur lui. Et il eut de la peine à obtenir qu'en attendant l'arrivée de la PJ Olga allât lui chercher un sandwich chez un traiteur du quartier.
— Vous me permettrez bien de donner un coup de téléphone?
— A qui?
— A l'Agence O...
— Ha! Ha! Vous avez donc besoin de vous défendre, que vous faites déjà appel à l'Agence O?...
Emile put téléphoner. Torrence était par hasard au bureau.
— Barbet n'est pas rentré? Il n'a envoyé aucun message? Bon! Ecoutez, patron. Il faudrait que vous veniez à toute vitesse au 22, rue Blomet. Oui... Si c'est important?... C'est-à-dire que, si vous n'êtes pas ici dans quelques minutes, je risque fort d'aller passer la nuit au Dépôt...
Pendant ce temps, l'agent de police souriait d'un air entendu en lissant ses moustaches.
II
Où un petit jeune homme, aussi sage que modeste, répond
poliment aux questions des grandes personnes, mais où,
cependant, il ne dit pas toute la vérité
La nature avait-elle prévu ce que le hasard ferait d'Emile, c'est-à-dire un des détectives les plus extraordinaires qui fussent? Si oui, la nature avait été bonne fée, car elle l'avait doté d'un physique admirablement banal. Long et maigre, il n'avait pas d'âge et, passé la trentaine, paraissait encore un petit jeune homme qui faisait ses débuts dans quelque bureau. A part ses cheveux roux et ses taches de son, Emile n'avait aucun signe particulier.
Or Emile avait soin d'accentuer encore ce que son physique avait d'anodin. Il portait des vêtements de confection de teinte neutre et semblait toujours demander pardon aux gens de les déranger.
A trois heures de l'après-midi, au milieu de l'effervescence qui régnait du haut en bas de l'hôtel meublé de la rue Blomet, il paraissait tellement dépassé par les événements qu'on le prenait en pitié. Quelqu'un du Quai des Orfèvres dit même à Torrence, qui passait pour le grand patron de l'Agence O:
— Drôle d'idée de choisir un collaborateur aussi nul! Et Torrence répondit évasivement, en s'efforçant de ne pas sourire:
— Que voulez-vous?... Il m'a été recommandé par un ami et je n'ai pas osé refuser...
Le Parquet était sur les lieux. Le commissaire Lucas ainsi qu'une demi-douzaine d'inspecteurs et les spécialistes de l'Identité judiciaire transformaient l'hôtel en une ruche bourdonnante. Enfin, à mesure que des locataires se présentaient, ils étaient réunis, malgré leurs protestations, dans la salle à manger du rez-de-chaussée, d'où on les empêchait de sortir.
C'était la chambre de M. Saft qui était transformée en GQG, et c'est là que le substitut s'adressa à Emile:
— On me dit, jeune homme, que c'est vous qui avez découvert le corps... On m'apprend aussi que vous êtes un des employés de l'Agence O, avec qui, ma foi, nous n'avons que de bons rapports... Ce que je voudrais savoir, c'est pourquoi vous étiez ici aujourd'hui et si c'est par hasard que vous avez ouvert ce placard...
Emile, comme un bon écolier qui récite sa leçon, murmura:
— Je prenais un verre à une terrasse des boulevards quand j'ai entendu un message en morse...
— Vous dites?... A une terrasse?... Il y avait donc la TSF?
— Non... C'était une jeune femme qui faisait du morse avec son talon... Quelqu'un lui a répondu en frappant sa soucoupe avec une cuiller ou un autre objet métallique... Quand la jeune femme, qui avait transmis simplement « 22, rue Blomet, troisième étage », s'est levée, je l'ai suivie.
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