Simenon, Georges - Le petit docteur

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Nouvelles figurant également dans le recueil :
L'Amiral a disparu
L'amoureux aux pantoufles
La bonne fortune du Hollandais
Le château de l'arsenic
La demoiselle en bleu pâle
Le fantôme de Monsieur Marbe
Le flair du Petit Docteur
Les mariés du 1er décembre
Le mort tombé du ciel
Le passager et son nègre
La piste de l'homme roux
Rendez-vous avec un mort
La sonnette d'alarme
Une femme a crié
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— Attendez, Jef… Il lisait… Il buvait… Et tout à coup… Donnez-moi un autre porto…

Et le barman de s’émerveiller :

— Juste comme lui !

— Que voulez-vous dire ?

— Que, tout à coup, il a levé la tête. Il n’était plus le même. Il avait une idée. Il me regardait sans me voir. Et il a lancé :

« — Un whisky…

« Il ne jurait plus que c’était le dernier. Il n’y pensait plus. Il cherchait quelque chose sur les tables et enfin, nerveux, il a réclamé de quoi écrire.

— À deux heures du matin ?

— Il était au moins ça… J’ajoute que ce ne fut pas brillant. Il n’était pas ce qu’on peut appeler fin soûl, mais enfin il avait un joli pompon… Peut-être aurait-il pu marcher à peu près droit !… Mais écrire ! Je le voyais hésiter… Il traçait des lettres trop grandes et de toutes petites… Il Passait un bout de langue entre les lèvres comme un gamin qui s’applique à ses devoirs…

— Et il vous a donné la lettre à poster ?

— Non… Il l’a emportée…

— Il est sorti de l’hôtel ?

— Pas davantage. Il est monté chez lui en me disant d’inscrire le tout sur sa note…

— Il a pris l’ascenseur ?

— Non ! Il s’est engagé dans l’escalier… Sa chambre est au troisième…

Et celle de la demoiselle en bleu au second !

— Vous souvenez-vous du journal qu’il a lu ?

— Voilà ce qui est plus embêtant… Si vous étiez venu une demi-heure plus tôt avant que je commence le mastic Maintenant, tous les journaux que j’ai ramassés sont en tas dans un seau…

— Vous pouvez me les donner ?

Une lueur amusée passa dans les yeux du barman.

— Vous savez, ils ne sont plus très frais. Je les ai ramassés pêle-mêle avec les noyaux d’olives, les écorces de cacahuètes et les mégots… Enfin ! Si cela peut vous faire plaisir…

Il y avait un peu de tout, des quotidiens français et anglais, des hebdomadaires et des illustrés.

— Essayez de vous rappeler, Jef… Le journal était-il grand ? Était-il en couleurs ?…

— Attendez… M. Bernard était sur ce tabouret… Je me souviens que le shaker était devant lui et que j’ai dû soulever le journal pour le prendre… C’était un journal anglais… J’en suis sûr… Avec beaucoup de pages…

Il y en avait trois dans le lot, tous trois épais comme des magazines, et le Petit Docteur soupira en les emportant.

Se mettre à la place des gens… Bernard boit avec ses amis… On fête sa victoire sportive, mais il refuse d’aller se coucher en même temps qu’eux… Il est lugubre, abattu… Il est sur le point, faute de mieux, de faire des confidences au barman…

Mais, à ce moment-là, il n’a aucunement l’idée d’écrire une lettre !

Pour écrire cette lettre, il faut une raison. À deux heures du matin, la raison n’existe pas encore.

Or, dès ce moment, il ne parle à personne, personne ne lui parle. Par contre, il lit un journal, farouchement, comme chez le coiffeur, selon le mot du barman.

Donc, c’est le journal qui lui a donné l’idée d’écrire, et décrire tout de suite.

— Pardon, monsieur le directeur… C’est encore moi…

Cette fois, le directeur de l’hôtel fronça les sourcils, trouvant sans doute que le Petit Docteur devenait bien encombrant.

— Quand on a découvert le blessé, je suppose qu’on l’a déshabillé avant de le hisser dans l’ambulance… Vous étiez présent… S’il avait eu une lettre sur lui… Une lettre sur papier à en-tête de l’hôtel, je suppose que vous l’auriez vue…

— Il n’y avait pas de lettre ! affirma le directeur. Il espérait en être quitte, mais Dollent se raccrochait.

— Un mot encore… Je suppose aussi que vous avez visité sa chambre ?

— Je viens de la visiter avec le commissaire de police, à qui j’ai été obligé de signaler l’accident…

— Parfait !

Le directeur, lui, ne partageait pas l’enthousiasme du Petit Docteur.

— Vous trouvez que c’est parfait, vous ? riposta-t-il, presque hargneux.

— Je veux dire que, s’il y avait eu une lettre de ce genre dans la chambre, vous l’auriez aperçue…

— Il n’y en avait pas…

— J’en étais sûr !

— Pourquoi ?

— Pour rien… Tout va très bien, monsieur le directeur… Peut-être garderai-je encore une chambre cette nuit ?… Ce qui fut loin d’enchanter l’hôtelier.

… Bernard écrit une lettre au bar, passé deux heures du matin… Il remonte chez lui par l’escalier… On le retrouve à cinq heures du matin étendu sur la terrasse et la lettre a disparu.

Donc, elle a été remise à destination !

Donc, c’est cette lettre qui…

À la rigueur, tout cela se tenait. Mais qu’est-ce qui prouvait que la lettre en question n’était pas celle, précisément, qu’un inconnu était venu placer dans la chambre de Dollent ?

Bernard était mis au courant de l’attitude de ce dernier pendant l’après-midi… Il le voyait à l’hôtel le soir, non loin de la demoiselle en bleu… Il était jaloux… Il le menaçait… Il lui promettait au surplus un cadeau s’il acceptait de s’éloigner et de lui laisser le terrain libre…

— Hum !… Hum !… toussotait le Petit Docteur en suivant la promenade, ses journaux sous le bras, et en dévisageant les jeunes filles et les vieilles dames sous les tentes multicolores de la plage. Mais le journal ?

Que devenait, en effet, dans ce cas, le rôle du journal ? Pourquoi est-ce en lisant un quotidien anglais de trente-deux pages que le jeune homme avait eu l’idée de menacer celui qu’il considérait comme son rival ?

Et qui lui avait appris, tout sportif qu’il était, à se hisser le long des façades, ce qui est généralement le fait d’un très petit nombre de spécialistes qu’on appelle avec à propos des monte-en-l’air ?

Jean Dollent portait son habituel complet grisâtre, celui avec lequel il faisait ses visites dans les campagnes, et, ma foi, il n’était pas trop fier dans la foule demi-nue qui encombrait la plage. Il lui semblait qu’il sentait pousser sa barbe, qu’il avait terriblement drue.

Tant pis ! Il n’était plus l’amoureux de la jeune fille en bleu pâle. Il était un homme tout à sa passion de déchiffreur d’énigmes humaines.

Les deux femmes étaient là ! Il faillit, tant il était préoccupé, marcher sur la jeune fille, car elle était étendue de tout son long, à plat ventre, dans le sable doré. Elle portait un maillot bleu clair comme sa robe et elle faisait brunir au soleil ses épaules et ses cuisses.

À deux mètres, à l’ombre d’un parasol rayé de rouge et de jaune, la gouvernante était installée dans un fauteuil transatlantique et elle lisait… elle lisait un journal anglais, justement un des trois que le Petit Docteur avait sous le bras.

Elle ne le vit pas approcher. Décemment, il aurait dû aller s’asseoir ailleurs, car il y avait assez de place sur la plage. Avec un cynisme tranquille, il s’installa par terre, à trois mètres à peine de la vieille Anglaise, à moins de deux mètres de la jeune fille.

Il avait l’air ainsi de ces gens qui viennent passer quelques heures sur les plages, entre deux trains, et qui font tache parce qu’ils ne sont pas dans la même tenue que les autres. Pour comble, ne portait-il pas des souliers noirs, alors qu’autour de lui c’était une débauche de pieds nus et d’espadrilles plus fantaisistes les unes que les autres ?

« À quelle page en est-elle ? » se demanda-t-il.

Et il penchait la tête, aussi cynique que ces spectateurs qui, au théâtre, vous écrasent l’épaule pour lire votre programme.

« Quatrième page… Bon !…»

Il ouvrit le sien à la même page. Il lui aurait fallu des heures, avec un dictionnaire, pour traduire correctement un article anglais. Mais ce qui l’intéressait surtout, puisque Lina avait le visage dans le sable, c’était la physionomie de la gouvernante.

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