1 ...6 7 8 10 11 12 ...20 Il se lève en s’aidant de mon bureau, et après avoir sournoisement observer mes papiers sur le plateau. Il se dirige, ensuite, vers la porte, et remonte son pantalon au niveau des jambes, prisonnier de ses cuisses dodues qui s’entrechoquent à chacun de ses pas. « Non, non, ce n’est pas nécessaire, » lui dis-je avec précipitation. « Gabriela va s’occuper de cela, ce n’est pas la peine de déranger Susana. Je vais lui en parler tout de suite. » Avant qu’il ne puisse dire quoi que ce soit, j’appuie sur le bouton de l’interphone : « Gabi, tu veux bien aller voir Susana s’il te plaît, et lui demander toutes les informations concernant une réservation pour Funchal qu’elle a faite, et nous en parlons plus tard. Merci. »
Au moins je suis sûr de ne pas avoir des billets en classe éco ni une réservation dans un hôtel deux étoiles du côté plus bas d’une colline quelconque. En fin de compte, c’est toujours le cabinet qui paye et pour Gomez, moins de dépenses pour les autres signifie plus de sous pour ses dépenses et dans ses poches. Ce n’est pas difficile de lire sur son visage que c’était pour cette raison qu’il voulait que ce soit Susana qui s’occupe de cela. Malheureusement pour lui je connaissais déjà cette facette de sa personnalité. Bien que, pour lui il aime le luxe, cet homme est d’une radinerie légendaire avec tous les autres. Voyant alors qu’il n’a aucun moyen de reprendre le contrôle, il me fait un petit signe de la main et sort de mon bureau, les chaussettes à damiers lui tombant sur les mollets et le pantalon remonté sur ses cuisses imposantes.
Je reviens au fax de Neil, je vois qu’il n’est pas compliqué et prends note mentalement de lui répondre aujourd’hui. Je me penche, en suivant, sur l’autre qui a l’air d’être véritablement un premier contact, au sujet d’une succession on dirait. Cependant, il est adressé à mon père – Gabriela n’a pas dû faire attention – et fait référence à une lettre que je n’ai jamais reçu ainsi qu’à un nom qui me rappelle des souvenirs lointains, mais comme cela n’a pas l’air urgent, je la mets sur la pile de choses que je dois faire et retourne m’occuper de ce que j’étais en train d’écrire avant que Gomez n’entre dans mon bureau.
Contrairement à ce que je pensais, comme je n’ai pas eu d’appel téléphonique et que personne ne m’a interrompu, je réussis à expédier la réponse au fax de vendredi avant onze heures et demie. Gabriela vient alors toquer à la porte pour me dire que c’est l’heure, mais je suis déjà en train de mettre mon manteau. Elle me passe mon sac en toile lorsque nous nous croisons dans le couloir et je sors rapidement par le hall. Lorsque je vois que l’ascenseur est au rez-de-chaussée, je me décide à prendre les escaliers, et descends les marches quatre par quatre, attirant l’attention de João, l’agent de sécurité qui, lui, monte. « Eh bien, tu es pressé aujourd’hui. C’est toi qui donnes le cours ? » Me lance-t-il d’en haut après s’être agrippé à la rampe pour ne pas tomber. Je lui réponds que oui, lui dis à plus tard, et continue à descendre sans m’arrêter.
Je sors dans la rue en courant, je tourne à gauche en direction du Chiado et après avoir tourné à droite au coin de la librairie Soares da Costa, je remonte la rue jusqu’en haut et entre dans le troisième immeuble à droite. Je monte au deuxième étage où se trouve le dojo d’Aïkido dans lequel je m’entraîne depuis plus de dix ans. J’ouvre la porte avec la clé et laisse rentrer les personnes qui étaient déjà en train d’attendre. Je cours dans les vestiaires, et change alors, les vêtements du bureau pour le keikogi . Je passe alors les soixante minutes suivantes à transpirer et à faire transpirer les dix autres enthousiastes – pas mal pour un lundi – qui ont choisi d’employer l’heure du déjeuner à perdre des calories plutôt qu’à en accumuler. Le maître Takeda est au Japon pour un séminaire et le maître-adjoint nous a demandé, à moi ainsi qu’à un autre gradé, si nous pouvions l’aider lors de quelques entrainements à l’heure du déjeuner. Toutefois, je vais devoir leur dire que je ne peux pas venir ni le mercredi ni le vendredi. C’est dommage, j’aime bien ces entrainements en milieu de journée, car ils coupent la routine des horaires de bureau et même si ce n’est que deux jours, je sais que je vais en ressentir le manque.
Après avoir terminé l’entrainement, je retourne dans les vestiaires, j’enlève le keikogi , ouvre le casier où se trouvent mes affaires de bain et saute sous la douche. Je me lave presque à l’eau froide et en me dépêchant, me sèche avec une grande serviette que je laisse toujours pendre sur le séchoir puis me mets une nouvelle dose de déodorant sous les bras et deux pschitt de parfum sur le torse.
Je remets ensuite mon uniforme d’avocat et sors avec le dernier de mes équipiers. Il me parle avec engouement de la trilogie Matrix, qu’ils trouvent être les meilleurs films jamais réalisés, et décrit avec détails les bonus inclus dans une énième édition spéciale de la série destinée aux collectionneurs, qui vient juste de sortir – quinze ans et le sens critique d’un nouveau-né.
Je me décide à ne pas le contredire, il y a des choses que nous devons découvrir par nous-même.
Nous nous séparons dans la rue Garrett, et partons, lui en haut, et moi en bas, en direction du centre commercial. Je monte jusqu’au dernier étage et achète un déjeuner léger composé d’une soupe, d’un steak grillé avec du riz, d’un fruit et d’un verre de lait. Je mange seul, sans précipitation, assis sur une table de l’espace commun à tous les restaurants, pendant que je pense aux choses que je vais devoir faire cet après-midi. Quand je finis, je descends les escaliers et sors à nouveau dans la rue en direction du bureau. J’y arrive un peu avant quatorze heures. À part la radio de Gabriela, branchée comme toujours sur la Voxx, on entend aucun autre bruit, je crois qu’aujourd’hui tout le monde est allé déjeuner à la même heure. C’est mieux ainsi. Je m’assieds à mon bureau et attrape le deuxième et le troisième fax de vendredi que j’expédie en moins d’une heure. J’inscris mon temps de travail pour ce matin sur ma feuille d’heure puis je retourne sur le fax de Neil Allard. Comme je l’espérais, cela ne me prend pas trop de temps. Je pense aussi à mentionner dans ma réponse que je me rends à Funchal, où, même si je ne lui dis pas, je pense qu’il sera avec certitude. Je prends aussi note du temps passé au nom de Neil pour l’ajouter à d’autres tâches déjà effectuées pour le même client. Comme je n’ai rien de plus urgent à traiter, j’en profite pour passer en revue le courrier que Gabriela m’a apporté ce matin. Une notification de l’Ordre des Avocats, accompagnée d’un énorme prospectus, imprimé en couleurs et avec de nombreuses photographies, pour un séminaire qui me paraît aussi cher qu’ennuyant, sur un sujet dont je n’ai jamais entendu parler. Je crois que ça ne m’intéresse pas et place donc la lettre et le prospectus dans le classeur tubulaire qui se trouve au sol à ma droite. Deux avis du tribunal avec des convocations aux audiences de deux procès en cours. Une carte postale de ma cousine Filipa qui est en Australie afin de conclure son diplôme en Biologie Maritime et qui est partie en vacances en Tasmanie ; ça a l’air intéressant, peut-être qu’un jour j’irai y faire un tour. Deux relevés de compte de cartes de crédit, à zéro. Je me demande pourquoi se donnent-ils encore la peine de les envoyer. Une enveloppe C5 grisâtre en provenance de Suisse et adressée à Herr Dr. Nebuloni. Qui est-ce que je connais en Suisse qui pourrait m’envoyer une si grosse enveloppe ? Un certain G. Beauchamp à en juger le nom de l’expéditeur, mais cela ne me dit absolument rien.
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