Malgré que la raison sommeille, quelle activité de pensée ! et dans l'irréel, quels voyages !
1 eraoût.
Schopenhauer.
Perdre le sentiment de son rapport avec les choses, de sorte que la représentation se dégage toute pure et qu'aucune connaissance extérieure ne distraie de la connaissance intuitive et de la vision commencée tout à coup ne s'éveille.
Si j'arrivais à contempler la chimère avec assez de fixité pour que mes yeux éblouis du mirage n'aient plus un seul regard pour les réalités ambiantes, la chimère inventée m'apparaîtrait réelle ; et si c'est une image évoquée d'autrefois, j'oublierais que c'est autrefois, je la ferais toute présente, usurpatrice des réalités. Ce qui manque, c'est la puissance d'attention continue : elle est trop souvent défaillante, et l'image évoquée redevient aussitôt mirage.
Il faut que la musique intervienne.
Hier soir, j'ai joué, longtemps, jusqu'aux heures silencieuses où seules les cordes frémissantes faisaient tressaillir l'air tranquille. Peu à peu, sans y penser, je m'enivrais d'extase et la nuit s'éclairait devant mon œil visionnaire. « Ici chimère ; arrête-toi ! »
La musique est évocatrice ; c'est la souveraine enchanteresse ; elle soutient l'essor du rêve.
Et je me figurais ceci : tu serais venue m'écouter, comme un soir, – et puis tu restais là, pensive et sans rien dire ; en arrière, en me penchant un peu, je sentais sur mon front ton haleine. Et tu disais, mais sans paroles, car c'était moins qu'une pensée : « Pourquoi pleurais-tu ? Me voici. Les jours passés s'en sont allés ; – ce qui est maintenant demeure. »
Dans la mélodie ailée, malgré les larmes écoulées, rayonnaient les nouveaux sourires. Les souffles du printemps venaient par la fenêtre ouverte. Si je m'étais retourné, je t'aurais vue...
Sur les bois endormis la nuit s'est étendue.
Tout repose ; les chansons du soir se sont tues.
Les oiseaux sont couchés ; tout sommeille... La nuit...
Sur les lisières abritées et les clairières enchantées.
Dans les clartés silencieuses,
Les âmes défuntes s'en sont allées
Par les sentiers qu'elles avaient suivis
Lorsqu'elles étaient amoureuses.
Lorsque les amants meurent, ils ne vont pas d'abord au ciel. Longtemps encore leur âme se promène, quand vient la nuit mystérieuse, par tous les lieux qu'elle avait aimés.
Quand vient la nuit, elles s'élancent, – par couples indistincts, immatériellement embrassées ou solitaires et désireuses. – Dans les clartés silencieuses, les âmes trépassées circulent comme des brises.
Sur la route du ciel, elles se sont attardées ; leurs amours passées les attirent. Comme des brises vagabondes, elles circulent – dans les campagnes par les sentiers d'autrefois ; et sans parler, elles se souviennent ; – les souvenirs qu'elles revivent leur font comme des amours nouvelles avec leurs anciennes amours.
La nuit, les prés ont des pentes plus douces, les bocages sont plus profonds ; les vallées s'argentent de brumes.
Oh ! que pour contempler, les nuits sont plus tranquilles, – les belles nuits, que les jours d'autrefois.
Les tendres lueurs des étoiles ont de plus secrètes caresses ; et, dans l'obscurité pâlie, leur amour luit comme une étoile.
Les âmes trépassées errent sur la bruyère ; d'autres, près des étangs, cueillent comme en un rêve des gerbes de fleurs endormies, ou bien, dans les allées solitaires, effeuillent d'imaginaires chrysanthèmes.
Les chères âmes amoureuses attardées loin du ciel promis, – elles ont trop aimé sur la terre, – elles ne peuvent plus se quitter.
... Où l'un est tout amour et l'autre toute grâce.
... Je me souviens qu'elle avait l'habitude – d'appuyer sur sa main sa tête, quand elle lisait. Elle était souvent inclinée – la tête un peu sur son épaule. – Mais je la vois aussi penchée sur moi et comme tutélaire. – Je levais les yeux pour la voir, et je rencontrais son regard abaissé.
Se la représenter.
Et quoi de plus ? – Les souvenirs passés, la méditation, la prière, les joies douces de l'âme pieuse, et puis t'aimer toujours plus...
Oh ! si ton âme n'était captive !...
(La page suivante est laissée blanche dans le manuscrit.)
4 août.
*
Des larmes, des parfums, des prières, des fleurs.
O répandez des fleurs, des fleurs blanches.
Sur la terre remuée, effeuillez des guirlandes
Et puis, chantez, chantez ; je veux m'endormir.
, .. Les parfums montent comme des prières.
Pleurer sa forme aimée que je ne verrai plus...
... Ton âme échappée, maintenant libre...
Gefühl ist alles : Name ist Schall und Rauch Umbebelnd Himmelsgluth .
6 août.
Le silence plutôt : les mots sont profanes. Pourquoi parler ? Qu'importent les phrases ?
... Puis, en écrivant, je ne serais pas sincère, je grossirais une émotion aux dépens des autres ; ce que j'ai senti, ce que je sens encore, ne peut pas se dire. – Je simulerais involontairement des tristesses que je n'ai pas éprouvées. Il ne faut pas vouloir écrire quand même... Pourquoi fixer cette tendresse ? Il est beaucoup plus doux que l'émotion divague.
Je suis resté toute la nuit immobile, oublieux de mon corps, je n'étais ni triste ni gai, je ne pensais pas, mais j'avais des aperceptions extraordinaires.
Vers le matin, j'ai lu de ma Bible, je me suis approché du piano, mais je n'ai pas osé jouer : les harmonies sont trop précises.
Mercredi soir.
Le recueillement après la lecture pieuse, puis la prière, et la douceur de se sentir un cœur candide, la bonne paix et la sécurité d'une âme qui veut tout doucement croire. – A quoi bon, le reste ? A quoi bon ?
Puisque je t'aime encore malgré que disparue...
Jeudi matin.
Ce qu'il faut, c'est la foi très humble, crédule et toute simple. Après tout, est-ce bien sûr qu'elle s'aveugle et que croire en Jésus ce soit une folie ? Est-ce bien sûr qu'il faille s'aveugler pour te voir et qu'en regardant bien, au contraire, on ne te contemplerait pas, ô mon Dieu !
Thomas s'est convaincu quand il a voulu se convaincre. Pourquoi toujours chercher encore de nouveaux doutes ? Ils le connaissaient bien déjà, les Juifs, quand ils demandent à Jésus : « Si tu es le Christ, dis-nous-le franchement ? » Et Jésus répond : « Vous l'avez dit. »
C'est tout simple.
J. soir.
L'espérance et la charité, – le cœur attentif et qui veille, – l'âme fidèle, – la bonne volonté, et la pensée toute pieuse.
Le psaume – et l'espérance, après qu'on a prié, de voir exaucer sa prière.
Et sa pensée – vivre avec elle – l'aimer et se perdre en l'extase...
Vendredi 9.
Mon cœur est affermi, ô Dieu ! mon cœur est affermi. Je chanterai, je ferai retentir mes instruments d'harmonie.
Réveille-toi, mon âme ! réveillez-vous, mon luth et ma harpe ! Je réveillerai l'aurore !
... En toi, Seigneur, mon âme se confie. Je cherche un refuge à l'ombre de tes ailes.
... Espère en Dieu, car je le louerai encore. Il est mon salut et mon Dieu .
10 août.
La convoitise des yeux, la convoitise de la chair et l'orgueil de la vie...
ἡ ἑπιθυμία τῶν ὀφθαλμῶν, ἡ ἐπιθυμία τῆς σαρκός. – καὶ ἡ ἀλαςσνεία τοῦ βίου
– Le monde passe et sa convoitise... Pourquoi désirer autre chose ? Ce seraient encore des affections nouvelles, et de nouveaux deuils, des déboires, – et l'oubli du passé...., , · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
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