– Mais comment sais-tu tout cela ? demanda l’enfant.
– Je le sais, répondit l’ange, parce que j’étais moi-même ce petit garçon malade qui marchait avec des béquilles. Je reconnais bien ma fleur. »
Et l’enfant, ouvrant tout à fait les yeux, regarda le visage éclatant et superbe de l’ange. Au même instant, ils entrèrent dans le ciel du Seigneur, où la joie et la félicité sont éternelles. Lorsque le bon Dieu eut pressé l’enfant mort sur son cœur, il poussa des ailes à l’enfant comme à l’autre ange, et se tenant par la main, tous deux s’envolèrent ensemble. Le bon Dieu serra aussi sur son cœur toutes les fleurs, mais il donna un baiser à la pauvre fleur des champs fanée, et aussitôt elle fut douée de la voix et chanta avec les anges qui flottent autour du Seigneur, formant des cercles jusqu’à l’infini, et tous également heureux. Oui, ils chantaient tous, grands et petits, le bon enfant béni, et la pauvre fleur des champs qui avait été jetée toute fanée parmi les ordures, dans la ruelle sombre et étroite.
Petit Claus et grand Claus
Dans une ville demeuraient deux hommes qui s’appelaient du même nom, Claus ; mais l’un avait quatre chevaux, et l’autre n’en avait qu’un seul : donc, pour les distinguer, l’on appelait le premier grand Claus, et l’autre petit Claus. Écoutez bien maintenant ce qui leur arriva, car c’est une histoire véritable !
Pendant toute la semaine, petit Claus était obligé de labourer la terre de grand Claus et de lui prêter son unique cheval ; en revanche, grand Claus l’aidait avec ses quatre chevaux une fois par semaine, c’est-à-dire tous les dimanches seulement. Hutsch ! comme petit Claus faisait alors claquer son fouet au-dessus des cinq chevaux ! Il les regardait comme les siens. Le soleil brillait si magnifique ! Toutes les cloches appelaient le monde à l’église ; les hommes et les femmes revêtus de leurs plus beaux habits passaient devant petit Claus, qui, labourant la terre d’un air joyeux, faisait claquer son fouet en s’écriant : « Hue donc, mes chevaux !
– Ne dis donc pas mes chevaux , lui cria une fois grand Claus, il n’y en a qu’un qui est à toi. »
Mais petit Claus oublia bientôt cet avertissement, et, en voyant quelques autres personnes passer, il ne put s’empêcher de s’écrier de nouveau : « Hue donc, mes chevaux !
– Pour la dernière fois, lui dit grand Claus, ne répète plus ces paroles ! Si cela t’arrive encore, je porterai un tel coup au front de ton cheval, qu’il tombera mort sur-le-champ.
– Je ne le dirai plus », répondit petit Claus.
Mais lorsqu’il passa encore du monde qui le saluait amicalement de la tête, il devint bien content ; et fier, de pouvoir labourer son champ avec cinq chevaux, il fit claquer son fouet en s’écriant : « Hue donc, mes chevaux !
– J’apprendrai le hue donc ! à tes chevaux », dit le grand Claus ; puis il prit une massue, et appliqua un coup si fort au front du cheval de petit Claus qu’il tomba mort sur-le-champ.
Son maître se prit à pleurer et à se lamenter ; ensuite il écorcha la bête morte, fit sécher la peau au vent, la mit dans un sac, et se rendit à la ville pour la vendre.
Le chemin était long et passait par une grande forêt ; il faisait un temps affreux. Petit Claus s’égara, et avant qu’il eût retrouvé le bon chemin, la nuit survint ; il lui fallut renoncer à rentrer en ville.
Près de la route se trouvait une grande ferme, et, quoique les volets fussent fermés, on y voyait briller de la lumière. « Peut-être j’y pourrai passer la nuit », pensa-t-il, et il frappa à la porte.
La femme lui ouvrit ; mais, lorsqu’elle apprit ce qu’il voulait, elle lui dit de passer son chemin ; son mari était sorti, et elle ne recevait pas d’étrangers.
« Soit, je coucherai dehors », répondit-il. Et la femme referma la porte.
Près de la maison était une grange au toit de chaume remplie de foin. « J’y coucherai bien, dit petit Claus ; le lit est bon, et il n’y a pas de danger que la cigogne me morde les jambes. »
Sur le toit perchait une cigogne à côté de son nid.
Il rampa dans la grange, où il se coucha. Il se retourna plusieurs fois pour bien dormir. Les volets de la maison ne se fermant pas entièrement, il put voir ce qui se passait dans la chambre.
Au milieu, se dressait une grande table ornée d’un rôti, d’un poisson et de plusieurs bouteilles de vin. La paysanne et le chantre étaient assis joyeusement et se régalaient.
« Comme ils sont heureux ! » dit petit Claus. Et il allongea la tête pour mieux voir. La femme servit un gâteau délicieux. Grand Dieu, quel festin !
Tout à coup un homme à cheval s’approcha de la maison ; c’était le mari de la paysanne qui rentrait chez lui.
Tout le monde l’estimait comme un brave homme, mais il avait une maladie étrange : il ne pouvait apercevoir un chantre sans entrer en fureur. Connaissant cette particularité, le chantre avait profité de l’occasion pour rendre une visite à la femme et lui dire bonjour, pendant que le mari était absent ; et la bonne femme lui avait fait honneur en lui servant un délicieux repas. Pour éviter des désagréments, lorsqu’elle entendit son mari qui venait, elle pria son convive de se cacher dans un grand coffre vide ; ce qu’il fit volontiers, connaissant la maladie du paysan. Puis la femme serra promptement le manger et le vin dans le four, pour que son mari ne lui adressât pas de question embarrassante.
« Quel dommage ! soupira petit Claus dans la grange en voyant disparaître le gâteau.
– Qui est là-haut ? s’écria le paysan en se tournant, et il aperçut petit Claus. Pourquoi te coucher là ? Viens plutôt dans la chambre. »
Petit Claus lui raconta comment il s’était égaré, et lui demanda l’hospitalité pour la nuit.
« Très volontiers ! répondit le paysan, mais mangeons d’abord un morceau. »
La femme les reçut tous deux avec amabilité, prépara de nouveau la table, et servit un grand plat de riz. Le paysan, qui avait faim, en mangea de bon appétit ; mais petit Claus pensait au délicieux rôti, au gâteau et au vin cachés dans le four.
Il avait jeté sous la table le sac contenant la peau de cheval ; comme il ne pouvait supporter le riz, il appuya ses pieds sur le sac, et fit craquer la peau sèche.
« Chut ! dit-il à son sac ; mais, au même moment, il le fit craquer plus fort.
– Qu’y a-t-il dans le sac ? demanda le paysan.
– Un sorcier, répondit Claus ; il ne veut pas que nous mangions du riz. Il me dit que, par un effet de sa magie, il se trouve dans le four un rôti, du poisson et un gâteau.
– Ce n’est pas possible », dit le paysan en ouvrant promptement le four ; il découvrit les mets superbes que sa femme y avait serrés, et crut que le sorcier avait fait ce prodige. La femme, sans oser rien dire, posa tout sur la table, et ils se mirent à manger du poisson, du rôti et du gâteau.
Claus fit de nouveau craquer sa peau.
« Que dit-il à présent ? demanda le paysan.
– Il dit que, près du four, il a fait venir trois bouteilles de vin. »
La femme leur servit le vin, et son mari se mit à boire en s’égayant de plus en plus. Il eût bien voulu posséder un sorcier pareil à celui du sac de petit Claus.
« Je voudrais qu’il me montrât le diable, dit le paysan ; cela me ferait plaisir, car je suis tout à fait en train.
– Mon sorcier peut tout ce que je lui demande. » Puis il fit craquer le sac : « Entends-tu ? il dit que oui. Mais le diable est bien terrible à voir.
– Oh ! je n’ai pas peur. Quelle mine a-t-il ?
– Il paraîtra devant nous sous la forme d’un chantre.
– Ouf ! que c’est vilain ! je ne peux pas supporter la vue d’un chantre. N’importe ; comme je saurai que c’est le diable, j’aurai du courage. Seulement, qu’il ne m’approche pas ! »
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