Théorie des Couleurs parut en 1810 : il y combattit les opinions de Newton sur la lumière ; après avoir donné, sous le titre de
Morphologie , une nouvelle édition augmentée de la
Métamorphose des plantes , il rédige paisiblement ses
Mémoires , de 1810 à 1813, et les publie sous le titre de
Vérité et Poésie ; il doit les continuer sous le titre d’
Annales . Il ne vit plus que par l’esprit, il semble de plus en plus étranger aux événements qui remuaient alors tous les cœurs ; il rédige son
Voyage en Italie , et fonde en 1815 un recueil intitulé
l’Art et l’Antiquité , qu’il continue jusqu’en 1828 ; il écrit une foule d’articles sur toutes sortes de sujets de littérature et de science, en même temps qu’il compose de nouvelles ballades, pleines de jeunesse et de grâce (
la Cloche qui marche, la Danse des Morts , etc.),
le Divan oriental-occidental , la seconde partie de
Wilhelm Meister , la suite de
Faust , etc. Il suit avec l’attention la plus curieuse le mouvement intellectuel de l’Europe ; il s’efforce d’élever la littérature allemande par le goût d’une critique supérieure, de faire comprendre à l’esprit germanique, pour qu’il puisse se les assimiler, les beautés, les chefs-d’œuvre des autres nations ; le mouvement littéraire de l’époque de la Restauration en France excite surtout l’intérêt du poëte et du penseur.
Faust résume le travail de cette vie si remplie ; il a publié, en 1790, les premières scènes de cette œuvre ; c’est une légende populaire dont il a fait un drame d’un sens naïvement profond ; c’est une poésie franche et pleine de vie ; il la complète en 1807 ; c’est déjà un drame symbolique, qui renferme autant d’idées que de sentiments, autant de métaphysique que de poésie. Dans la seconde partie, publiée en 1831, c’est l’allégorie qui domine ; les personnages vivants ont disparu ; sous les figures mythologiques, les sorciers, les fantômes du moyen âge, sous les noms d’Hélène et de Méphistophélès, de Marguerite et de Faust, au milieu des obscurités les plus bizarres, et malgré de magnifiques épisodes, on ne découvre plus avec peine que des systèmes philosophiques, esthétiques, scientifiques, mêlés à la satire et aux épigrammes ; c’est comme un miroir, souvent resplendissant, souvent couvert de nuages poétiques, qui reproduit les transformations de la pensée de l’écrivain. — En 1830, la grande lutte scientifique de Geoffroy Saint-Hilaire et de Cuvier, au sujet de cette loi d’unité dominant la composition des corps vivants, que soutenait le premier de ces illustres savants, passionne Gœthe, qui trouve là la consécration éclatante des études d’une partie de sa vie ; et c’est après avoir rendu compte pour l’Allemagne de ce mémorable débat, que Gœthe meurt sans souffrance, à Weimar, plein d’années et plein de gloire. On était aux premiers jours du printemps ; les rideaux de sa fenêtre interceptaient la lumière et attristaient le poëte ; il les fit écarter : «
De la lumière ! encore plus de lumière ! » Tels furent les derniers cris de l’homme qui avait toujours cherché à mieux voir et à mieux comprendre, dont l’intelligence sympathique, avide, dominant la passion, s’était toujours efforcée de connaître le monde et de se mettre en harmonie avec la vaste nature. — Parmi les nombreuses éditions des
Œuvres de Gœthe, citons celles de Stuttgart, 40 vol. in-8°, avec un supplément en 15 vol. ; de Paris, 1835-37, 4 vol. grand in-8° ; de Stuttgart et Tubingue, 1845-47, 3 vol. grand in-8°. Ses principaux ouvrages ont été plusieurs fois traduits en français :
Werther , par Pierre Leroux ;
Hermann et Dorothée , par X. Marmier ;
Faust , par Gérard de Nerval et H. Blaze de Bury, qui a aussi traduit les
Poésies ; Wilhelm Meister , par Toussenel, Mme de Carlowitz, qui a aussi traduit
les Affinités électives , les
Mémoires , etc. ; le
Théâtre a été traduit par X. Marmier, la
Correspondance avec Bettina d’Arnim par Séb. Albin, les
Œuvres d’histoire naturelle par Marlins. M. Caro a publié, 1867, un livre remarquable sur la
Philosophie de Gœthe .
Gérard Labrunie, plus connu sous le nom de Gérard de Nerval, littérateur, né à Paris, 1808-1855, fils d’un officier de l’Empire, débuta, sous la Restauration, par des élégies nationales et par une traduction de Faust , moitié en vers, moitié en prose, que Gœthe admirait. Enrôlé dans l’école romantique, il fit jouer à l’Odéon la comédie de Tartufe chez Molière . Il revint ensuite à ses traductions de morceaux allemands, publia des contes, rédigea le feuilleton des théâtres dans le journal La Presse , dissipa son patrimoine en entassant toutes sortes de curiosités dans ses mansardes, et mena une vie bizarre et errante. Il voyagea plusieurs années en Europe et même en Orient, publiant dans plusieurs revues des récits piquants de ses excursions fantastiques. Atteint d’un mal étrange dès 1841, frappé d’attaques d’aliénation mentale, qui ne l’empêchaient ni de se souvenir, ni de raisonner, et qu’il a racontées avec verve, il finit par se pendre aux grilles d’un égout de la rue de la Vieille-Lanterne. Il a beaucoup écrit, et souvent avec délicatesse et originalité. Parmi ses œuvres dramatiques, citons : Piquillo , opéra-comique ; l’ Alchimiste , drame en vers ; Léo Burckart , drame en 5 actes ; les Monténégrins , opéra comique ; le Chariot d’Enfant , drame en vers, en 5 actes ; l’Imagier de Harlem , drame en 5 actes ; Misanthropie et Repentir ; parmi ses romans, nouvelles, etc. : les Nuits du Ramazan, les Faux-Saulniers, Lorély, Souvenirs d’Allemagne, les Illuminés ou les Précurseurs du socialisme, Petits châteaux de Bohême, les Filles de Feu, la Bohême galante, le Marquis de Fayolles, Voyage en Orient , etc. Il a fourni des articles à un très-grand nombre de journaux.
PRÉFACE
DE LA PREMIÈRE ÉDITION
(1828)
Voici une troisième traduction de Faust ; et ce qu’il y a de certain, c’est qu’aucune des trois ne pourra faire dire : « Faust est traduit ! » Non que je veuille jeter quelque défaveur sur le travail de mes prédécesseurs, afin de mieux cacher la faiblesse du mien, mais parce que je regarde comme impossible une traduction satisfaisante de cet étonnant ouvrage. Peut-être quelqu’un de nos grands poëtes pourrait-il, par le charme d’une version poétique, en donner une idée ; mais, comme il est probable qu’aucun d’eux n’astreindrait son talent aux difficultés d’une entreprise qui ne rapporterait pas autant de gloire qu’elle coûterait de peine, il faudra bien que ceux qui n’ont pas le bonheur de pouvoir lire l’original se contentent de ce que notre zèle peut leur offrir. C’est néanmoins peut-être une imprudence que de présenter ma traduction après celles de MM. de Saint-Aulaire et A. Stapfer. Mais, comme ces dernières font partie de collections chères et volumineuses, j’ai cru rendre service au public en en faisant paraître une séparée.
Il était, d’ailleurs, difficile de saisir un moment plus favorable pour cette publication ; Faust va être représenté incessamment sur tous les théâtres de Paris, et il sera curieux sans doute pour ceux qui en verront la représentation de consulter en même temps le chef-d’œuvre allemand, d’autant plus que les théâtres n’emprunteront du sujet que ce qui convient à l’effet dramatique, et que la scène française ne pourrait se prêter à développer toute la philosophie de la première partie, et beaucoup de passages originaux de la seconde.
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