Nous errions ; elle et moi, dans les monts de Sicile.
Elle est fière pour tous et pour moi seul docile.
Les cieux et nos pensers rayonnaient à la fois.
Oh ! comme aux lieux déserts les cœurs sont peu farouches !
Que de fleurs aux buissons, que de baisers aux bouches,
Quand on est dans l’ombre des bois !
Pareils à deux oiseaux qui vont de cime en cime,
Nous parvînmes enfin tout au bord d’un abîme.
Elle osa s’approcher de ce sombre entonnoir ;
Et, quoique mainte épine offensât ses mains blanches,
Nous tâchâmes, penchés et nous tenant aux branches,
D’en voir le fond lugubre et noir.
En ce même moment, un titan centenaire,
Qui venait d’y rouler sous vingt coups de tonnerre,
Se tordait dans ce gouffre où le jour n’ose entrer ;
Et d’horribles vautours au bec impitoyable,
Attirés par le bruit de sa chute effroyable,
Commençaient à le dévorer.
Alors, elle me dit : « J’ai peur qu’on ne nous voie !
Cherchons un autre afin d’y cacher notre joie !
Vois ce pauvre géant ! nous aurions notre tour !
Car les dieux envieux qui l’ont fait disparaître,
Et qui furent jaloux de sa grandeur, peut-être
Seraient jaloux de notre amour ! »
Septembre 18…
Viens ! – une flûte invisible
Soupire dans les vergers. –
La chanson la plus paisible.
Est la chanson des bergers.
Le vent ride, sous l’yeuse,
Le sombre miroir des eaux. –
La chanson la plus joyeuse
Est la chanson des oiseaux.
Que nul soin ne te tourmente.
Aimons-nous ! aimons toujours ! –
La chanson la plus charmante
Est la chanson des amours.
Les Metz, août 18…
Si les liens des cœurs ne sont pas des mensonges,
Oh ! dites, vous devez avoir eu de doux songes,
Je n’ai fait que rêver de vous toute la nuit.
Et nous nous aimions tant ! vous me disiez : « Tout fuit,
Tout s’éteint, tout s’en va ; ta seule image reste. »
Nous devions être morts dans ce rêve céleste ;
Il semblait que c’était déjà le paradis.
Oh ! oui, nous étions morts, bien sûr ; je vous le dis.
Nous avions tous les deux la forme de nos âmes.
Tout ce que, l’un de l’autre, ici-bas nous aimâmes
Composait notre corps de flamme et de rayons,
Et, naturellement, nous nous reconnaissions.
Il nous apparaissait des visages d’aurore
Qui nous disaient : « C’est moi ! » la lumière sonore
Chantait ; et nous étions des frissons et des voix.
Vous me disiez : « Écoute ! » et je répondais : « Vois ! »
Je disais : « Viens-nous-en dans les profondeurs sombres,
Vivons ; c’est autrefois que nous étions des ombres. »
Et, mêlant nos appels et nos cris : « Viens ! oh ! viens !
Et moi, je me rappelle, et toi, tu te souviens. »
Éblouis, nous chantions : – C’est nous-mêmes qui sommes
Tout ce qui nous semblait, sur la terre des hommes,
Bon, juste, grand, sublime, ineffable et charmant ;
Nous sommes le regard et le rayonnement ;
Le sourire de l’aube et l’odeur de la rose,
C’est nous ; l’astre est le nid où notre aile se pose ;
Nous avons l’infini pour sphère et pour milieu,
L’éternité pour âge ; et, notre amour, c’est Dieu.
Paris, juin 18…
Elle disait : C’est vrai, j’ai tort de vouloir mieux ;
Les heures sont ainsi très doucement passées ;
Vous êtes là ; mes yeux ne quittent pas vos yeux,
Où je regarde aller et venir vos pensées.
Vous voir est un bonheur ; je ne l’ai pas complet.
Sans doute, c’est encor bien charmant de la sorte !
Je veille, car je sais tout ce qui vous déplaît,
À ce que nul fâcheux ne vienne ouvrir la porte ;
Je me fais bien petite, en mon coin, près de vous ;
Vous êtes mon lion, je suis votre colombe ;
J’entends de vos papiers le bruit paisible et doux ;
Je ramasse parfois votre plume qui tombe ;
Sans doute, je vous ai ; sans doute, je vous voi.
La pensée est un vin dont les rêveurs sont ivres,
Je le sais ; mais, pourtant, je veux qu’on songe à moi.
Quand vous êtes ainsi tout un soir dans vos livres,
Sans relever la tête et sans me dire un mot,
Une ombre reste au fond de mon cœur qui vous aime ;
Et, pour que je vous voie entièrement, il faut
Me regarder un peu, de temps en temps, vous-même.
Paris, octobre 18…
L’hirondelle au printemps cherche les vieilles tours,
Débris où n’est plus l’homme, où la vie est toujours ;
La fauvette en avril cherche, ô ma bien-aimée,
La forêt sombre et fraîche et l’épaisse ramée,
La mousse, et, dans les nœuds des branches, les doux toits
Qu’en se superposant font les feuilles des bois.
Ainsi fait l’oiseau. Nous, nous cherchons, dans la ville,
Le coin désert, l’abri solitaire et tranquille,
Le seuil qui n’a pas d’yeux obliques et méchants,
La rue où les volets sont fermés ; dans les champs,
Nous cherchons le sentier du pâtre et du poëte ;
Dans les bois, la clairière inconnue et muette
Où le silence éteint les bruits lointains et sourds.
L’oiseau cache son nid, nous cachons nos amours.
Fontainebleau, juin 18…
Ils marchaient à côté l’un de l’autre ; des danses
Troublaient le bois joyeux ; ils marchaient, s’arrêtaient,
Parlaient, s’interrompaient, et, pendant les silences,
Leurs bouches se taisant, leurs âmes chuchotaient.
Ils songeaient ; ces deux cœurs, que le mystère écoute,
Sur la création au sourire innocent
Penchés, et s’y versant dans l’ombre goutte à goutte,
Disaient à chaque fleur quelque chose en passant.
Elle sait tous les noms des fleurs qu’en sa corbeille
Mai nous rapporte avec la joie et les beaux jours ;
Elle les lui nommait comme eût fait une abeille,
Puis elle reprenait : « Parlons de nos amours.
Je suis en haut, je suis en bas », lui disait-elle,
« Et je veille sur vous, d’en bas comme d’en haut. »
Il demandait comment chaque plante s’appelle,
Se faisant expliquer le printemps mot à mot.
Ô champs ! il savourait ces fleurs et cette femme.
Ô bois ! ô prés ! nature où tout s’absorbe en un,
Le parfum de la fleur est votre petite âme,
Et l’âme de la femme est votre grand parfum !
La nuit tombait ; au tronc d’un chêne, noir pilastre,
Il s’adossait pensif ; elle disait : « Voyez
Ma prière toujours dans vos cieux comme un astre,
Et mon amour toujours comme un chien à tes pieds. »
Juin 18…
Je sais bien qu’il est d’usage
D’aller en tous lieux criant
Que l’homme est d’autant plus sage
Qu’il rêve plus de néant ;
D’applaudir la grandeur noire,
Les héros, le fer qui luit,
Et la guerre, cette gloire
Qu’on fait avec de la nuit ;
D’admirer les coups d’épée,
Et la fortune, ce char
Dont une roue est Pompée,
Dont l’autre roue est César ;
Et Pharsale et Trasimène,
Et tout ce que les Nérons
Font voler de cendre humaine
Dans le souffle des clairons !
Je sais que c’est la coutume
D’adorer ces nains géants
Qui, parce qu’ils sont écume,
Se supposent océans ;
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