Mais souvent on tend des pièges à autrui pour s’y prendre soi-même. Le soir, après son travail, il alla secrètement chez le roi et lui dit : « Sire, le tailleur est un homme orgueilleux, qui s’est vanté de retrouver la couronne d’or que vous avez perdue depuis si longtemps.
– J’en serais fort aise, » dit le roi ; et le lendemain il fit comparaître le tailleur devant lui, et lui ordonna de rapporter la couronne, ou de quitter la ville pour toujours.
« Oh ! se dit le tailleur, il n’y a que les fripons qui promettent ce qu’ils ne peuvent tenir. Puisque ce roi a l’entêtement d’exiger de moi plus qu’un homme ne peut faire, je n’attendrai pas jusqu’à demain, et je vais décamper dès aujourd’hui.
Il fit son paquet ; mais en sortant des portes, il avait du chagrin de tourner le dos à cette ville où tout lui avait réussi. Il passa devant l’étang où il avait fait connaissance avec les canards ; la vieille cane à laquelle il avait laissé ses petits était debout sur le rivage et lissait ses plumes avec son bec. Elle le reconnut tout de suite et lui demanda d’où venait cet air de tristesse. « Tu n’en seras pas étonnée quand tu sauras ce qui m’est arrivé, » répondit le tailleur ; et il lui raconta son affaire.
« N’est-ce que cela ? dit la cane ; nous pouvons te venir en aide. La couronne est tombée justement au fond de cet étang ; en un instant nous l’aurons rapportée sur le bord. Étends ton mouchoir pour la recevoir. »
Elle plongea dans l’eau avec ses douze petits, et, au bout de cinq minutes, elle était de retour et nageait au milieu de la couronne qu’elle soutenait avec ses ailes, tandis que les jeunes, rangés tout autour, aidaient à la porter avec leur bec. Ils arrivèrent au bord et déposèrent la couronne sur le mouchoir. Vous ne sauriez croire combien elle était belle : elle étincelait au soleil comme un million d’escarboucles. Le tailleur l’enveloppa dans son mouchoir et la porta au roi, qui, dans sa joie, lui passa une chaîne d’or autour du cou.
Quand le cordonnier vit que le coup était manqué, il songea à un autre expédient, et alla dire au roi : « Sire, le tailleur est retombé dans son orgueil ; il se vante de pouvoir reproduire en cire tout votre palais avec tout ce qu’il contient, le dedans et le dehors, les meubles et le reste. »
Le roi fit venir le tailleur et lui ordonna de reproduire en cire tout son palais avec tout ce qu’il contenait, le dedans et le dehors, les meubles et le reste, l’avertissant que, s’il n’en venait pas à bout et s’il oubliait seulement un clou à un mur, on l’enverrait finir ses jours dans un cachot souterrain.
Le pauvre tailleur se dit : « Voilà qui va de mal en pis ; on me demande l’impossible. » Il fit son paquet et quitta la ville.
Quand il fut arrivé au pied de l’arbre creux, il s’assit en baissant la tête. Les abeilles volaient autour de lui ; la reine lui demanda, en lui voyant la tête si basse, s’il n’avait pas le torticolis. « Non, dit-il, ce n’est pas là que le mal me tient ; » et il lui raconta ce que le roi avait demandé.
Les abeilles se mirent à bourdonner entre elles, et la reine lui dit : « Retourne chez toi, et reviens demain à la même heure avec une grande serviette ; tout ira bien. »
Il rentra chez lui, mais les abeilles volèrent au palais et entrèrent par les fenêtres ouvertes pour fureter partout et examiner toutes choses dans le plus grand détail ; et, se hâtant de regagner leur ruche, elles construisirent un palais en cire avec une telle promptitude qu’on aurait pu le voir s’élever à vue d’œil. Dès le soir tout était prêt, et quand le tailleur arriva le lendemain, il trouva le superbe édifice qui l’attendait, blanc comme la neige et exhalant une douce odeur de miel, sans qu’il manquât un clou aux murs ni une tuile au toit. Le tailleur l’enveloppa avec soin dans la serviette et le porta au roi, qui ne pouvait en revenir d’admiration. Il fit placer le chef-d’œuvre dans la grande salle de son palais, et récompensa le tailleur par le don d’une grande maison en pierres de taille.
Le cordonnier ne se tint pas pour battu. Il alla une troisième fois trouver le roi, et lui dit : « Sire, il est revenu aux oreilles du tailleur qu’on avait toujours tenté vainement de creuser un puits dans la cour de votre palais ; il s’est vanté d’y faire jaillir un jet d’eau haut comme un homme et clair comme le cristal. »
Le roi fit venir le tailleur et lui dit : Si demain il n’y a pas un jet d’eau dans la cour comme tu t’en es vanté, dans cette même cour mon bourreau te raccourcira la tête. »
L’infortuné tailleur gagna sans plus tarder les portes de la ville, et comme cette fois il s’agissait de sa vie, les larmes lui coulaient le long des joues. Il marchait tristement, quand il fut accosté par le poulain auquel il avait accordé la liberté, et qui était devenu un beau cheval bai brun. « Voici le moment arrivé, lui dit-il, où je peux te montrer ma reconnaissance. Je connais ton embarras, mais je t’en tirerai ; enfourche-moi seulement ; maintenant j’en porterais deux comme toi sans me gêner. »
Le tailleur reprit courage ; il sauta sur le cheval, qui galopa aussitôt vers la ville et entra dans la cour du palais. Il y fit trois tours au galop, rapide comme l’éclair, et au troisième il s’arrêta court 1. Au même instant on entendit un craquement épouvantable ; une motte de terre se détacha et sauta comme une bombe par dessus le palais, et il jaillit un jet d’eau haut comme un homme à cheval et pur comme le cristal ; les rayons du soleil s’y jouaient en étincelant. Le roi, en voyant cela, fut au comble de l’étonnement ; il prit le tailleur dans ses bras et l’embrassa devant tout le monde.
Mais le repos du bon petit homme ne fut pas de longue durée. Le roi avait plusieurs filles, plus belles les unes que les autres, mais pas de fils. Le méchant cordonnier se rendit une quatrième fois près du roi, et lui dit : « Sire, le tailleur n’a rien rabattu de son orgueil ; à présent, il se vante que, quand il voudra, il vous fera venir un fils du haut des airs. »
Le roi manda le tailleur, et lui dit que s’il lui procurait un fils dans huit jours, il lui donnerait sa fille aînée en mariage. « La récompense est honnête, se disait le petit tailleur, on peut s’en contenter ; mais les cerises sont trop hautes ; si je monte à l’arbre, la branche cassera et je tomberai par terre. »
Il alla chez lui et s’assit, les jambes croisées, sur son établi, pour réfléchir à ce qu’il devait faire.
« C’est impossible s’écria-t-il enfin, il faut que je m’en aille ; il n’y pas ici de repos pour moi. » Il fit son paquet et se hâta de sortir de la ville.
En passant par la prairie, il aperçut sa vieille amie la cigogne, qui se promenait en long et en large comme un philosophe, et qui de temps en temps s’arrêtait pour considérer de tout près quelque grenouille qu’elle finissait par gober. Elle vint au-devant de lui pour lui souhaiter le bonjour. « Eh bien ! lui dit-elle, te voilà le sac au dos, tu quittes donc la ville ? »
Le tailleur lui raconta l’embarras où le roi l’avait mis, et se plaignit amèrement de son sort. « Ne te fais pas de mal pour si peu de choses, répliqua-t-elle. Je te tirerai d’affaire. J’ai assez apporté de petits enfants 2; je peux bien, pour une fois, apporter un petit prince. Retourne à ta boutique et tiens-toi tranquille. D’aujourd’hui en neuf jours, sois au palais du roi ; je m’y trouverai de mon côté.
Le petit tailleur revint chez lui, et le jour convenu il se rendit au palais. Un instant après, la cigogne arriva à tire d’aile et frappa à la fenêtre. Le tailleur lui ouvrit, et la commère aux longs pieds entra avec précaution et s’avança gravement sur le pavé de marbre. Elle tenait à son bec un enfant beau comme un ange, qui tendait ses petites mains à la reine. Elle le lui posa sur les genoux, et la reine se mit à le baiser et à le presser contre son cœur, tant elle était joyeuse.
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