Lorsqu’il parut dans le premier salon de l’ambassade, il semblait transformé; ce n’était plus la physionomie tapageuse, la démarche alerte et hardie du peintre d’éventails vainqueur du Chourineur; ce n’était plus le commis goguenard qui sympathisait si gaiement aux infortunes de M mePipelet…
C’était un prince dans l’idéalité poétique du mot.
Rodolphe porte la tête haute et fière; ses cheveux châtains, naturellement bouclés, encadrent son front large, noble et ouvert; son regard est empli de douceur et de dignité; s’il parle à quelqu’un avec la spirituelle bienveillance qui lui est naturelle, son sourire, plein de charme et de finesse, laisse voir des dents d’émail que la teinte foncée de sa légère moustache rend plus éblouissantes encore; ses favoris bruns, encadrant l’ovale parfait de son visage pâle, descendent jusqu’au bas de son menton à fossette et un peu saillant.
Rodolphe est vêtu très-simplement. Sa cravate et son gilet sont blancs; un habit bleu boutonné très-haut, et au côté gauche duquel brille une plaque de diamants, dessine sa taille, aussi fine qu’élégante et souple; enfin quelque chose de mâle, de résolu dans son attitude, corrige ce qu’il y a peut-être de trop agréable dans ce gracieux ensemble.
Rodolphe allait si peu dans le monde, il avait l’air si prince, que son arrivée produisit une certaine sensation; tous les regards s’arrêtèrent sur lui lorsqu’il parut dans le premier salon de l’ambassade, accompagné de Murph et du baron de Graün, qui se tenaient à quelques pas derrière lui!
Un attaché, chargé de surveiller sa venue, alla aussitôt en avertir la comtesse ***; celle-ci, ainsi que son mari, s’avança au-devant de Rodolphe en lui disant:
– Je ne sais comment exprimer à Votre Altesse toute ma reconnaissance pour la faveur dont elle daigne nous honorer aujourd’hui.
– Vous savez, madame l’ambassadrice, que je suis toujours très-empressé de vous faire ma cour, et très-heureux de pouvoir dire à M. l’ambassadeur combien je lui suis affectionné; car nous sommes d’anciennes connaissances, monsieur le comte.
– Votre Altesse est trop bonne de vouloir bien se le rappeler, et de me donner un nouveau motif de ne jamais oublier ses bontés.
– Je vous assure, monsieur le comte, que ce n’est pas ma faute si certains souvenirs me sont toujours présents; j’ai le bonheur de ne garder la mémoire que de ce qui m’a été très-agréable.
– Mais Votre Altesse est merveilleusement douée, dit en souriant la comtesse de ***.
– N’est-ce pas, madame? Ainsi, dans bien des années, j’aurai, je l’espère, le plaisir de vous rappeler ce jour, et le goût, l’élégance extrêmes qui président à ce bal… Car, franchement, je puis vous dire cela tout bas, il n’y a que vous qui sachiez donner des fêtes.
– Monseigneur…!
– Et ce n’est pas tout; dites-moi donc, monsieur l’ambassadeur, pourquoi les femmes me paraissent toujours plus jolies ici qu’ailleurs.
– C’est que Votre Altesse étend jusqu’à elles la bienveillance dont elle nous comble.
– Permettez-moi de ne pas être de votre avis, monsieur le comte; je crois que cela dépend absolument de madame l’ambassadrice.
– Votre Altesse voudrait-elle avoir la bonté de m’expliquer ce prodige? dit la comtesse en souriant.
– Mais c’est tout simple, madame: vous savez accueillir toutes ces belles dames avec une urbanité si parfaite, avec une grâce si exquise, vous leur dites à chacune un mot si charmant et si flatteur, que celles qui ne méritent pas tout à fait… tout à fait cette louange si aimable, dit Rodolphe en souriant avec malice, sont d’autant plus radieuses d’être distinguées par vous, tandis que celles qui la méritent sont non moins radieuses d’être appréciées par vous. Ces innocentes satisfactions épanouissent toutes les physionomies; le bonheur rend attrayantes les moins agréables, et voilà pourquoi, madame la comtesse, les femmes semblent toujours plus jolies chez vous qu’ailleurs. Je suis sûr que M. l’ambassadeur dira comme moi.
– Votre Altesse me donne de trop bonnes raisons de penser comme elle pour que je ne m’y rende pas.
– Et moi, monseigneur, dit la comtesse de ***, au risque de devenir aussi jolie que les belles dames qui ne méritent pas tout à fait… tout à fait les louanges qu’on leur donne, j’accepte la flatteuse explication de Votre Altesse avec autant de reconnaissance et de plaisir que si c’était une vérité.
– Pour vous convaincre, madame, que rien n’est plus réel, faisons quelques observations à propos des effets de la louange sur la physionomie.
– Ah! monseigneur, ce serait un piège horrible, dit en riant la comtesse de ***.
– Allons, madame l’ambassadrice, je renonce à mon projet, mais à une condition, c’est que vous me permettrez de vous offrir un moment mon bras. On m’a parlé d’un jardin de fleurs vraiment féerique au mois de janvier… Est-ce que vous seriez assez bonne pour me conduire à cette merveille des Mille et Une Nuits?
– Avec le plus grand plaisir, monseigneur; mais on a fait un récit très-exagéré à Votre Altesse. Elle va d’ailleurs en juger, à moins que son indulgence habituelle ne l’abuse.
Rodolphe offrit son bras à l’ambassadrice, et entra avec elle dans les autres salons, pendant que le comte de *** s’entretenait avec le baron de Graün et Murph, qu’il connaissait depuis longtemps.
Rien en effet de plus féerique, de plus digne des Mille et Une Nuits, que le jardin dont Rodolphe avait parlé à M mela comtesse de ***.
Qu’on se figure, aboutissant à une longue et splendide galerie, un emplacement de quarante toises de longueur sur trente de largeur; une cage vitrée, d’une extrême légèreté et façonnée en voûte, recouvre à une hauteur de cinquante pieds environ ce parallélogramme; ses murailles, recouvertes d’une infinité de glaces sur lesquelles se croisent les petits losanges verts d’un treillage de joncs à mailles très-serrées, ressemblent à un berceau à jour, grâce à la réflexion de la lumière sur les miroirs; une palissade d’orangers, aussi gros que ceux des Tuileries, et de camélias de même force, les premiers chargés de fruits brillants comme autant de pommes d’or sur un feuillage d’un vert lustré, les seconds émaillés de fleurs pourpres, blanches et roses, tapisse toute l’étendue de ces murs.
Ceci est la clôture de ce jardin.
Cinq ou six énormes massifs d’arbres et d’arbustes de l’Inde ou des tropiques, plantés dans de profonds encaissements de terre de bruyère, sont environnés d’allées marbrées d’une charmante mosaïque de coquillage, et assez larges pour que deux ou trois personnes puissent s’y promener de front.
Il est impossible de peindre l’effet que produisait en plein hiver, et pour ainsi dire au milieu d’un bal, cette riche et brillante végétation exotique.
Ici des bananiers énormes atteignent presque les vitres de la voûte, et mêlent leurs larges palmes d’un vert lustré aux feuilles lancéolées des grands magnoliers, dont quelques-uns sont déjà couverts de grosses fleurs aussi odorantes que magnifiques: de leur calice en forme de cloche, pourpre au-dehors, argenté en dedans, s’élancent des étamines d’or; plus loin, des palmiers, des dattiers du Levant, des lataniers rouges, des figuiers de l’Inde, tous robustes, vivaces, feuillus, complètent ces immenses massifs de verdure: verdure crue, lustrée, brillante comme celle de tous les végétaux des tropiques qui semblent emprunter l’éclat de l’émeraude, tant les feuilles de ces arbres, épaisses, charnues, vernissées, sont revêtues de teintes étincelantes et métalliques.
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