Eugène Sue - Les Mystères De Paris Tome V

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Voici un roman mythique, presque à l'égal du Comte de Monte-Cristo ou des Trois mousquetaires, un grand roman d'aventures, foisonnant, qui nous décrit un Paris mystérieux et inconnu, dévoilé dans ses recoins les plus secrets, un Paris exotique où les apaches de Paris remplacent ceux de l'Amérique.
Errant dans les rues sombres et dangereuses de la Cité, déguisé en ouvrier, le prince Rodolphe de Gérolstein sauve une jeune prostituée, Fleur-de-Marie, dite la Goualeuse, des brutalités d'un ouvrier, le Chourineur. Sans rancune contre son vainqueur, le Chourineur entraîne Rodolphe et Fleur-de-Marie dans un tripot, Au Lapin Blanc. Là, le Chourineur et Fleur-de-Marie content leur triste histoire à Rodolphe. Tous deux, livrés dès l'enfance à l'abandon et à la misère la plus atroce, malgré de bons instincts, sont tombés dans la dégradation: le meurtre pour le Chourineur, dans un moment de violence incontrôlée, la prostitution pour Fleur-de-Marie. Rodolphe se fait leur protecteur et entreprend de les régénérer en les arrachant à l'enfer du vice et de la misère où ils sont plongés…

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Et il secoua légèrement l’épaule de M llede Fermont pour l’éveiller.

La jeune fille tressaillit et ouvrit ses grands yeux creusés par la maladie.

Que l’on juge de sa stupeur, de son épouvante…

Pendant qu’une foule d’hommes entouraient son lit et la couvaient des yeux, elle sentit la main du docteur écarter sa couverture et se glisser dans son lit, afin de lui prendre la main pour lui tâter le pouls.

M llede Fermont, rassemblant toutes ses forces dans un cri d’angoisse et de terreur, s’écria:

– Ma mère!… Au secours!… Ma mère!…

Par un hasard presque providentiel, au moment où les cris de M llede Fermont faisaient bondir le vieux comte de Saint-Remy sur sa chaise, car il reconnaissait cette voix, la porte de la salle s’ouvrit, et une jeune femme, vêtue de deuil, entra précipitamment, accompagnée du directeur de l’hospice.

Cette femme était la marquise d’Harville.

– De grâce, monsieur, dit-elle au directeur avec la plus grande anxiété, conduisez-moi auprès de M llede Fermont.

– Veuillez vous donner la peine de me suivre, madame la marquise, répondit respectueusement le directeur. Cette demoiselle est au numéro 17 de cette salle.

– Malheureuse enfant!… ici… ici…, dit M med’Harville en essuyant ses larmes. Ah! c’est affreux.

La marquise, précédée du directeur, s’approchait rapidement du groupe rassemblé auprès du lit de M llede Fermont, lorsqu’on entendit ces mots prononcés avec indignation:

– Je vous dis que cela est un meurtre infâme, vous la tuerez, monsieur.

– Mais, mon cher Saint-Remy, écoutez-moi donc…

– Je vous répète, monsieur, que votre conduite est atroce. Je regarde M llede Fermont comme ma fille; je vous défends d’en approcher; je vais la faire immédiatement transporter hors d’ici.

– Mais, mon cher ami, c’est un cas de fièvre lente nerveuse, très-rare… Je voulais essayer du phosphore… C’était une occasion unique. Promettez-moi au moins que je la soignerai, n’importe où vous l’emmeniez, puisque vous privez ma clinique d’un sujet aussi précieux.

– Si vous n’étiez pas un fou… vous seriez un monstre, reprit le comte de Saint-Remy.

Clémence écoutait ces mots avec une angoisse croissante; mais la foule était si compacte autour du lit qu’il fallut que le directeur dît à haute voix:

– Place, messieurs, s’il vous plaît, place à M mela marquise d’Harville qui vient voir le numéro 17.

À ces mots, les élèves se rangèrent avec autant d’empressement que de respectueuse admiration, en voyant la charmante figure de Clémence, que l’émotion colorait des plus vives couleurs.

– Madame d’Harville! s’écria le comte de Saint-Remy en écartant rudement le docteur et en se précipitant vers Clémence. Ah c’est Dieu qui envoie ici un de ses anges. Madame… je savais que vous vous intéressiez à ces deux infortunées. Plus heureuse que moi, vous les avez trouvées… tandis que moi, c’est… le hasard… qui m’a conduit ici… et pour assister à une scène d’une barbarie inouïe. Malheureuse enfant! Voyez, madame… voyez. Et vous, messieurs, au nom de vos filles ou de vos sœurs, ayez pitié d’une enfant de seize ans, je vous en supplie… laissez-la seule avec madame et ces bonnes religieuses. Lorsqu’elle aura repris ses sens… je la ferai transporter hors d’ici.

– Soit… je signerai sa sortie! s’écria le docteur; mais je m’attacherai à ses pas… mais je me cramponnerai à vous. C’est un sujet qui m’appartient… et vous aurez beau faire… je la soignerai… je ne risquerai pas le phosphore, bien entendu, mais je passerai les nuits s’il le faut… comme je les ai passées auprès de vous, ingrat Saint-Remy… car cette fièvre est aussi curieuse que l’était la vôtre. Ce sont deux sœurs qui ont le même droit à mon intérêt.

– Maudit homme, pourquoi avez-vous tant de science? dit le comte sachant qu’en effet il ne pourrait confier M llede Fermont à des mains plus habiles.

– Eh! mon Dieu, c’est tout simple! lui dit le docteur à l’oreille, j’ai beaucoup de science parce que j’étudie, parce que j’essaye, parce que je risque et pratique beaucoup sur mes sujets… soit dit sans calembour. Ah çà! j’aurai donc ma fièvre lente, vilain bourru?

– Oui… mais cette jeune fille est-elle transportable?

– Certainement.

– Alors… pour Dieu… retirez-vous.

– Allons, messieurs, dit le prince de la science, notre clinique sera privée d’une étude précieuse… mais je vous tiendrai au courant.

Et le docteur Griffon, accompagné de son auditoire, continua sa visite, laissant M. de Saint-Remy et M med’Harville auprès de M llede Fermont.

IX Fleur-de-Marie

Pendant la scène que nous venons de raconter, M llede Fermont, toujours évanouie, était restée livrée aux soins empressés de Clémence et des deux religieuses; l’une d’elles soutenait la tête pâle et appesantie de la jeune fille, pendant que M med’Harville, penchée sur le lit, essuyait avec son mouchoir la sueur glacée qui inondait le front de la malade.

Profondément ému, M. de Saint-Remy contemplait ce tableau touchant, lorsqu’une funeste pensée lui traversant tout à coup l’esprit, il s’approcha de Clémence et lui dit à voix basse:

– Et la mère de cette infortunée, madame?

La marquise se retourna vers M. de Saint-Remy et lui répondit avec une tristesse navrante:

– Cette enfant… n’a plus de mère… monsieur.

– Grand Dieu!… morte!!!

– J’ai appris seulement hier soir, à mon retour, l’adresse de M mede Fermont… et son état désespéré. À une heure du matin, j’étais chez elle avec mon médecin. Ah! monsieur!… quel tableau!… La misère dans toute son horreur… et aucun espoir de sauver cette pauvre mère expirante!

– Oh! que son agonie a dû être affreuse, si la pensée de sa fille lui était présente!

– Son dernier mot a été: «Ma fille!»

– Quelle mort… mon Dieu!… Elle, mère si tendre, si dévouée. C’est épouvantable!

Une des religieuses vint interrompre l’entretien de M. de Saint-Remy et de M med’Harville, en disant à celle-ci:

– La jeune demoiselle est bien faible… elle entend à peine; tout à l’heure peut-être elle reprendra un peu de connaissance… cette secousse l’a brisée. Si vous ne craigniez pas, madame, de rester là… en attendant que la malade revienne tout à fait à elle, je vous offrirais ma chaise.

– Donnez… donnez, dit Clémence en s’asseyant auprès du lit; je ne quitterai pas M llede Fermont; je veux qu’elle voie au moins une figure amie lorsqu’elle ouvrira les yeux… ensuite je l’emmènerai avec moi, puisque le médecin trouve heureusement qu’on peut la transporter sans danger.

– Ah! madame, soyez bénie pour le bien que vous faites, dit M. de Saint-Remy; mais pardonnez-moi de ne pas vous avoir encore dit mon nom; tant de chagrins tant d’émotions… Je suis le comte de Saint-Remy, madame… le mari de M mede Fermont était mon ami le plus intime. J’habitais à Angers… J’ai quitté cette ville dans mon inquiétude de ne recevoir aucune nouvelle de ces deux nobles et dignes femmes; elles avaient jusqu’alors habité cette ville, et on les disait complètement ruinées: leur position était d’autant plus pénible que jusqu’alors elles avaient vécu dans l’aisance.

– Ah! monsieur… vous ne savez pas tout… M mede Fermont a été indignement dépouillée.

– Par son notaire, peut-être? Un moment j’en avais eu le soupçon.

– Cet homme était un monstre, monsieur. Hélas! ce crime n’est pas le seul qu’il ait commis. Mais heureusement, dit Clémence avec exaltation en songeant à Rodolphe, un génie providentiel en a fait justice, et j’ai pu fermer les yeux de M mede Fermont en la rassurant sur l’avenir de sa fille. Sa mort a été ainsi moins cruelle.

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