La valeur des êtres et des choses est usuellement d'une précision extrême
Et quand on dit: "Je t'aime"
On établit une critique,
Une approximation quantique,
On écrit un poème.
Usuellement, en arrivant en gare de Dijon, j'atteignais un état de parfait désespoir. Rien, cependant, ne s'était encore produit; il semblait encore flotter dans l'atmosphère, dans les bâtiments, comme une espèce d'hésitation ontologique. Les mouvements encore mal assurés du monde pouvaient s'arrêter d'un seul coup. Je pouvais, moi aussi, m'arrêter; je pouvais rebrousser chemin, je pouvais repartir. Ou bien je pouvais tomber malade; d'ailleurs, je me sentais malade. Le lundi matin, en traversant les rues en général brumeuses de cette ville à d'autres égards agréable, je pouvais encore croire que la semaine n'aurait pas lieu.
C'est vers huit heures moins dix que je passais devant l'église Saint-Michel. Il me restait quelques rues a parcourir, quelques centaines de mètres pendant lesquelles j'étais à peu près sûr de ne rencontrer personne. J'en profitais, sans cependant flâner. Je marchais lentement, mais sans détours, vers un espace de plus en plus restreint, vers un lieu de mieux en mieux délimité où allait se jouer pour moi, comme chaque semaine, l'enfer répétitif de la survie matérielle.
La machine à écrire pesait plus de vingt kilos,
Avec une grosse touche en forme d'éclair pour indiquer le retour chariot.
C'est je crois Jean-Luc Faure qui m'avait aidé à la transporter;
"Pour écrire tes mémoires", se moquait-il sans méchanceté.
À Dourdan, les gens crèvent comme des rats. C'est du moins ce que prétend Didier, un secrétaire de mon service. Pour rêver un peu, je m'étais acheté les horaires du RER – ligne C. J'imaginais une maison, un bull-terrier et des pétunias. Mais le tableau qu'il me traça de la vie à Dourdan était nettement moins idyllique: on rentre le soir à huit heures, il n'y a pas un magasin ouvert; personne ne vient vous rendre visite, jamais; le week-end, on traîne bêtement entre son congélateur et son garage. C'est donc un véritable réquisitoire anti-Dourdan qu'il conclut par cette formule sans nuance: "À Dourdan, tu crèveras comme un rat."
Pourtant j'ai parlé de Dourdan à Sylvie, quoique à mots couverts et sur un ton ironique. Cette fille, me disais-je dans l'après-midi en faisant les cent pas, une cigarette à la main, entre le distributeur de café et le distributeur de boissons gaseuses, est tout à fait le genre à désirer habiter Dourdan; s'il y a une fille que je connaisse qui puisse avoir envie d'habiter Dourdan, c'est bien elle; elle a tout à fait la tête d'une pro-dourdannaise.
Naturellement ce n'est là que l'esquisse d'un premier mouvement, d'un tropisme lent qui me porte vers Dourdan et qui mettra peut-être des années à aboutir, probablement même qui n'aboutira pas, qui sera contrecarré et anéanti par le flux des choses, par l'écrasement permanent des circonstances. On peut supposer sans grand risque d'erreur que je n'atteindrai jamais Dourdan; sans doute même serais-je brisé avant d'avoir dépassé Brétigny. Il n'empêche, chaque homme a besoin d'un projet, d'un horizon et d'un ancrage. Simplement, simplement pour survivre.
Je suis difficile à situer…
Je suis difficile à situer
Dans ce café (certains soirs, bal);
Ils discutent d'affaires locales,
D'argent à perdre, de gens à tuer.
Je vais prendre un café et la note;
On n'est pas vraiment à Woodstock.
Les clients du bar sont partis,
Ils ont fini leurs Martinis,
Hi hi!
La promenade des Anglais est envahie de Noirs américains
Qui n'ont même pas la carrure des basketteurs;
Ils croisent des Japonais partisans de la "voie du sabre"
Et des joggers semi-californiens;
Tout cela vers quatre heures de l'après-midi,
Dans la lumière qui décline.
Impression de paix dans la cour,
Vidéos trafiquées de la guerre du Liban
Et cinq mâles occidentaux
Discutaient de sciences humaines.
Recréer des cérémonies…
Psychologies effilochées.
Un jour nos visages vont lâcher,
Nous aurons des mornes agonies.
Les traits construits par l'existence
Éloignent du visage de Dieu.
Moments ratés, faussement intenses…
Nous ironisons, devenons vieux.
Rediffusés par satellite,
Les marathons caritatifs
Maintiennent un niveau émotif
Pas trop intense, mais un peu vif;
Plus tard, il y a des films de bite.
Des touristes danoises glissaient leurs yeux de biche
Le long de la rue des Martyrs;
Une concierge promenait ses caniches;
La nuit avait de l'avenir.
Captés par le pinceau des phares,
Quelques pigeons paralysés
Achevaient leur vie, épuisés;
La ville vomissait ses barbares.
On se décide à se distraire,
La nuit est bien chaude et bien moite
Tout à coup l'envie de se taire
Vous casse en deux. La vie étroite
Reprend ses droits. On ne peut plus.
Comment font ces gens pour bouger?
Comment font tous ces inconnus?
Je me sens seul, découragé.
Quatre fillettes montraient leurs seins
Sur la pelouse des Invalides
Et j'avais beaucoup trop de bide
Pour leur tenir un discours sain.
C'étaient sans doute des Norvégiennes,
Elles venaient sauter des Latins
Elles avaient de très jolis seins
Plus loin, il y avait trois chiennes
Au comportement placide
(En déhors des périodes de rut,
Les chiennes n'ont pas vraiment de but;
Mais elles existent, douces et limpides.)
Retrournerai-je en discothèque?
Cela me paraît peu probable;
À quoi bon de nouveaux échecs?
Je préfère pisser sur le sable
Et tendre ma petite quéquette
Dans le vent frais de Tunisie,
Il y a des Hongroises à lunettes
Et je me branle par courtoisie.
Je plaisante au bord du suicide
Comme un fil près d'un trou d'aiguille
Et si j'étais un peu lucide
Je sauterais sur toutes les filles
Et je ferais n'importe quoi
Pour passer au moins une nuit,
Pour arracher un peu de joie
Auprès de ces corps qui s'enfuient.
Mon sexe est toujours là, il gonfle
Je le retrouve entre les draps
Comme un vieil animal, il ronfle
Quand je réutilise mon bras.
Que ma main connaît bien mon sexe!
Ce sont de très anciens rapports
Rien ne la fâche, rien ne la vexe,
Ma main me conduit à la mort.
Je me masturbe au Martini
En attendant demain matin
Je sais très bien que c'est fini,
Mais je ne comprends pas la fin
Et tout seul, dans la nuit, je bande
Autour d'un halo de douceur
J'ai envie de poser ma viande;
Je me réveille, je suis en pleurs.
Créature aux lèvres accueillantes…
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