À midi, le spectacle avec la mélodie.
Pourquoi jouer Plautus la nuit? La comédie
Est une belle fille, et rit mieux au grand jour.
Or, on avait bâti, comme un temple d’amour,
Près d’un bassin dans l’ombre habité par un cygne,
Un théâtre en treillage où grimpait une vigne.
Un cintre à claire-voie en anse de panier,
Cage verte où sifflait un bouvreuil prisonnier,
Couvrait toute la scène, et, sur leurs gorges blanches,
Les actrices sentaient errer l’ombre des branches.
On entendait au loin de magiques accords;
Et, tout en haut, sortant de la frise à mi-corps,
Pour attirer la foule aux lazzis qu’il répète,
Le blanc Pulcinella sonnait de la trompette.
Deux faunes soutenaient le manteau d’Arlequin;
Trivelin leur riait au nez comme un faquin.
Parmi les ornements sculptés dans le treillage,
Colombine dormait dans un gros coquillage,
Et, quand elle montrait son sein et ses bras nus,
On eût cru voir la conque, et l’on eût dit Vénus.
Le seigneur Pantalon, dans une niche, à droite,
Vendait des limons doux sur une table étroite,
Et criait par instants: «Seigneurs, l’homme est divin.
Dieu n’avait fait que l’eau, mais l’homme a fait le vin!»
Scaramouche en un coin harcelait de sa batte
Le tragique Alcantor, suivi du triste Arbate;
Crispin, vêtu de noir, jouait de l’éventail;
Perché, jambe pendante, au sommet du portail,
Carlino se penchait, écoutant les aubades,
Et son pied ébauchait de rêveuses gambades.
Le soleil tenait lieu de lustre; la saison
Avait brodé de fleurs un immense gazon,
Vert tapis déroulé sous maint groupe folâtre.
Rangés des deux côtés de l’agreste théâtre,
Les vrais arbres du parc, les sorbiers, les lilas,
Les ébéniers qu’avril charge de falbalas,
De leur sève embaumée exhalant les délices,
Semblaient se divertir à faire les coulisses,
Et, pour nous voir, ouvrant leurs fleurs comme des yeux,
Joignaient aux violons leur murmure joyeux;
Si bien qu’à ce concert gracieux et classique,
La nature mêlait un peu de sa musique.
Tout nous charmait, les bois, le jour serein, l’air pur,
Les femmes tout amour, et le ciel tout azur.
Pour la pièce, elle était fort bonne, quoique ancienne.
C’était, nonchalamment assis sur l’avant-scène,
Pierrot, qui haranguait, dans un grave entretien,
Un singe timbalier à cheval sur un chien.
Rien de plus. C’était simple et beau. – Par intervalles,
Le singe faisait rage et cognait ses timbales;
Puis Pierrot répliquait. – Écoutait qui voulait.
L’un faisait apporter des glaces au valet;
L’autre, galant drapé d’une cape fantasque,
Parlait bas à sa dame en lui nouant son masque;
Trois marquis attablés chantaient une chanson;
Thérèse était assise à l’ombre d’un buisson:
Les roses pâlissaient à côté de sa joue,
Et, la voyant si belle, un paon faisait la roue.
Moi, j’écoutais, pensif, un profane couplet
Que fredonnait dans l’ombre un abbé violet.
La nuit vint, tout se tut; les flambeaux s’éteignirent;
Dans les bois assombris les sources se plaignirent;
Le rossignol, caché dans son nid ténébreux,
Chanta comme un poëte et comme un amoureux.
Chacun se dispersa sous les profonds feuillages;
Les folles en riant entraînèrent les sages;
L’amante s’en alla dans l’ombre avec l’amant;
Et, troublés comme on l’est en songe, vaguement,
Ils sentaient par degrés se mêler à leur âme,
À leurs discours secrets, à leurs regards de flamme;
À leur cœur, à leurs sens, à leur molle raison,
Le clair de lune bleu qui baignait l’horizon.
Avril 18…
L’enfant chantait; la mère au lit, exténuée,
Agonisait, beau front dans l’ombre se penchant;
La mort au-dessus d’elle errait dans la nuée;
Et j’écoutais ce râle, et j’entendais ce chant.
L’enfant avait cinq ans, et, près de la fenêtre,
Ses rires et ses jeux faisaient un charmant bruit;
Et la mère, à côté de ce pauvre doux être
Qui chantait tout le jour, toussait toute la nuit.
La mère alla dormir sous les dalles du cloître;
Et le petit enfant se remit à chanter…
La douleur est un fruit: Dieu ne le fait pas croître
Sur la branche trop faible encor pour le porter.
Paris, janvier 1835.
Heureux l’homme, occupé de l’éternel destin,
Qui, tel qu’un voyageur qui part de grand matin,
Se réveille, l’esprit rempli de rêverie,
Et, dès l’aube du jour, se met à lire et prie!
À mesure qu’il lit, le jour vient lentement
Et se fait dans son âme ainsi qu’au firmament.
Il voit distinctement, à cette clarté blême,
Des choses dans sa chambre et d’autres en lui-même;
Tout dort dans la maison; il est seul, il le croit;
Et, cependant, fermant leur bouche de leur doigt,
Derrière lui, tandis que l’extase l’enivre,
Les anges souriants se penchent sur son livre.
Paris, septembre 1842.
Par-dessus l’horizon aux collines brunies,
Le soleil, cette fleur des splendeurs infinies,
Se penchait sur la terre à l’heure du couchant;
Une humble marguerite, éclose au bord d’un champ,
Sur un mur gris, croulant parmi l’avoine folle,
Blanche, épanouissait sa candide auréole;
Et la petite fleur, par-dessus le vieux mur,
Regardait fixement, dans l’éternel azur,
Le grand astre épanchant sa lumière immortelle.
«Et, moi, j’ai des rayons aussi!» lui disait-elle.
Granville, juillet 1836
XXVI. Quelques mots à un autre
On y revient; il faut y revenir moi-même.
Ce qu’on attaque en moi, c’est mon temps, et je l’aime.
Certe, on me laisserait en paix, passant obscur,
Si je ne contenais, atome de l’azur,
Un peu du grand rayon dont notre époque est faite.
Hier le citoyen, aujourd’hui le poëte;
Le «romantique» après le «libéral». – Allons,
Soit; dans mes deux sentiers mordez mes deux talons.
Je suis le ténébreux par qui tout dégénère.
Sur mon autre côté lancez l’autre tonnerre.
Vous aussi, vous m’avez vu tout jeune, et voici
Que vous me dénoncez, bonhomme, vous aussi;
Me déchirant le plus allégrement du monde,
Par attendrissement pour mon enfance blonde.
Vous me criez: «Comment, Monsieur! qu’est-ce que c’est?
«La stance va nu-pieds! le drame est sans corset!
«La muse jette au vent sa robe d’innocence!
«Et l’art crève la règle et dit: C’est la croissance!»
Géronte littéraire aux aboiements plaintifs,
Vous vous ébahissez, en vers rétrospectifs,
Que ma voix trouble l’ordre, et que ce romantique
Vive, et que ce petit, à qui l’Art Poétique
Avec tant de bonté donna le pain et l’eau,
Devienne si pesant aux genoux de Boileau!
Vous regardez mes vers, pourvus d’ongles et d’ailes,
Refusant de marcher derrière les modèles,
Comme après les doyens marchent les petits clercs;
Vous en voyez sortir de sinistres éclairs;
Horreur! et vous voilà poussant des cris d’hyène
À travers les barreaux de la Quotidienne.
Vous épuisez sur moi tout votre calepin,
Et le père Bouhours et le père Rapin;
Et, m’écrasant avec tous les noms qu’on vénère,
Vous lâchez le grand mot: Révolutionnaire.
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