Octobre 18…
Je respire où tu palpites,
Tu sais; à quoi bon, hélas!
Rester là si tu me quittes,
Et vivre si tu t’en vas?
À quoi bon vivre, étant l’ombre
De cet ange qui s’enfuit?
À quoi bon, sous le ciel sombre,
N’être plus que de la nuit?
Je suis la fleur des murailles,
Dont avril est le seul bien.
Il suffit que tu t’en ailles
Pour qu’il ne reste plus rien.
Tu m’entoures d’auréoles;
Te voir est mon seul souci.
Il suffit que tu t’envoles
Pour que je m’envole aussi.
Si tu pars, mon front se penche;
Mon âme au ciel, son berceau,
Fuira, car dans ta main blanche
Tu tiens ce sauvage oiseau.
Que veux-tu que je devienne,
Si je n’entends plus ton pas?
Est-ce ta vie ou la mienne
Qui s’en va? Je ne sais pas.
Quand mon courage succombe,
J’en reprends dans ton cœur pur;
Je suis comme la colombe
Qui vient boire au lac d’azur.
L’amour fait comprendre à l’âme
L’univers, sombre et béni;
Et cette petite flamme
Seule éclaire l’infini.
Sans toi, toute la nature
N’est plus qu’un cachot fermé,
Où je vais à l’aventure,
Pâle et n’étant plus aimé.
Sans toi, tout s’effeuille et tombe;
L’ombre emplit mon noir sourcil;
Une fête est une tombe,
La patrie est un exil.
Je t’implore et te réclame;
Ne fuis pas loin de mes maux,
Ô fauvette de mon âme
Qui chantes dans mes rameaux!
De quoi puis-je avoir envie,
De quoi puis-je avoir effroi,
Que ferai-je de la vie,
Si tu n’es plus près de moi?
Tu portes dans la lumière,
Tu portes dans les buissons,
Sur une aile ma prière,
Et sur l’autre mes chansons.
Que dirai-je aux champs que voile
L’inconsolable douleur?
Que ferai-je de l’étoile?
Que ferai-je de la fleur?
Que dirai-je au bois morose
Qu’illuminait ta douceur?
Que répondrai-je à la rose
Disant: «Où donc est ma sœur?»
J’en mourrai; fuis, si tu l’oses.
À quoi bon, jours révolus!
Regarder toutes ces choses
Qu’elle ne regarde plus?
Que ferai-je de la lyre,
De la vertu, du destin?
Hélas! et, sans ton sourire,
Que ferai-je du matin?
Que ferai-je, seul, farouche,
Sans toi, du jour et des cieux,
De mes baisers sans ta bouche,
Et de mes pleurs sans tes yeux!
Août 18…
L’étang mystérieux, suaire aux blanches moires,
Frissonne; au fond du bois, la clairière apparaît;
Les arbres sont profonds et les branches sont noires;
Avez-vous vu Vénus à travers la forêt?
Avez-vous vu Vénus au sommet des collines?
Vous qui passez dans l’ombre, êtes-vous des amants?
Les sentiers bruns sont pleins de blanches mousselines;
L’herbe s’éveille et parle aux sépulcres dormants.
Que dit-il, le brin d’herbe? et que répond la tombe?
Aimez, vous qui vivez! on a froid sous les ifs.
Lèvre, cherche la bouche! aimez-vous! la nuit tombe;
Soyez heureux pendant que nous sommes pensifs.
Dieu veut qu’on ait aimé. Vivez! faites envie,
Ô couples qui passez sous le vert coudrier.
Tout ce que dans la tombe, en sortant de la vie,
On emporta d’amour, on l’emploie à prier.
Les mortes d’aujourd’hui furent jadis les belles.
Le ver luisant dans l’ombre erre avec son flambeau.
Le vent fait tressaillir, au milieu des javelles,
Le brin d’herbe, et Dieu fait tressaillir le tombeau.
La forme d’un toit noir dessine une chaumière;
On entend dans les prés le pas lourd du faucheur;
L’étoile aux cieux, ainsi qu’une fleur de lumière,
Ouvre et fait rayonner sa splendide fraîcheur.
Aimez-vous! c’est le mois où les fraises sont mûres.
L’ange du soir rêveur, qui flotte dans les vents,
Mêle, en les emportant sur ses ailes obscures,
Les prières des morts aux baisers des vivants.
Chelles, août 18…
XXVII. La nichée sous le portail
Oui, va prier à l’église,
Va; mais regarde en passant,
Sous la vieille voûte grise,
Ce petit nid innocent.
Aux grands temples où l’on prie,
Le martinet, frais et pur,
Suspend la maçonnerie
Qui contient le plus d’azur.
La couvée est dans la mousse
Du portail qui s’attendrit;
Elle sent la chaleur douce
Des ailes de Jésus-Christ.
L’église, où l’ombre flamboie,
Vibre, émue à ce doux bruit;
Les oiseaux sont pleins de joie,
La pierre est pleine de nuit.
Les saints, graves personnages
Sous les porches palpitants,
Aiment ces doux voisinages
Du baiser et du printemps.
Les vierges et les prophètes
Se penchent dans l’âpre tour,
Sur ces ruches d’oiseaux faites
Pour le divin miel amour.
L’oiseau se perche sur l’ange;
L’apôtre rit sous l’arceau.
«Bonjour, saint!» dit la mésange.
Le saint dit: «Bonjour, oiseau!»
Les cathédrales sont belles
Et hautes sous le ciel bleu;
Mais le nid des hirondelles
Est l’édifice de Dieu.
Lagny, juin 18…
XXVIII. Un soir que je regardais le ciel
Elle me dit, un soir, en souriant:
– Ami, pourquoi contemplez-vous sans cesse
Le jour qui fuit, ou l’ombre qui s’abaisse,
Ou l’astre d’or qui monte à l’orient?
Que font vos yeux là-haut? je les réclame.
Quittez le ciel; regardez dans mon âme!
Dans ce ciel vaste, ombre où vous vous plaisez,
Où vos regards démesurés vont lire,
Qu’apprendrez-vous qui vaille mon sourire?
Qu’apprendras-tu qui vaille nos baisers?
Oh! de mon cœur lève les chastes voiles.
Si tu savais comme il est plein d’étoiles!
Que de soleils! vois-tu, quand nous aimons,
Tout est en nous un radieux spectacle.
Le dévouement, rayonnant sur l’obstacle,
Vaut bien Vénus qui brille sur les monts.
Le vaste azur n’est rien, je te l’atteste;
Le ciel que j’ai dans l’âme est plus céleste!
C’est beau de voir un astre s’allumer.
Le monde est plein de merveilleuses choses.
Douce est l’aurore, et douces sont les roses.
Rien n’est si doux que le charme d’aimer!
La clarté vraie et la meilleure flamme,
C’est le rayon qui va de l’âme à l’âme!
L’amour vaux mieux, au fond des antres frais,
Que ces soleils qu’on ignore et qu’on nomme.
Dieu mit, sachant ce qui convient à l’homme,
Le ciel bien loin et la femme tout près.
Il dit à ceux qui scrutent l’azur sombre:
«Vivez! aimez! le reste, c’est mon ombre!»
Aimons! c’est tout. Et Dieu le veut ainsi.
Laisse ton ciel que de froids rayons dorent!
Tu trouveras, dans deux yeux qui t’adorent,
Plus de beauté, plus de lumière aussi!
Aimer, c’est voir, sentir, rêver, comprendre.
L’esprit plus grand s’ajoute au cœur plus tendre.
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