À la fin de chaque Bouillon de culture , je posais dix questions à l’invité principal. Toujours les mêmes, de sorte qu’il avait eu tout le temps de préparer ses réponses. Lors de la dernière émission, j’ai répondu à mon propre questionnaire.
Dix ans après, certaines réponses ont changé.
1. Votre mot préféré ? Aujourd’hui.
2. Le mot que vous détestez ? Alzheimer.
3. Votre drogue favorite ? La lecture.
4. Le son, le bruit que vous aimez ? Le clic de l’arrivée d’un texto.
5. Le son, le bruit que vous détestez ? La rumeur malveillante.
6. Votre juron, gros mot ou blasphème favori ? Oh ! putain…
7. Homme ou femme pour illustrer un nouveau billet de banque ? Charles Dullin dans le rôle d’Harpagon.
8. Le métier que vous n’auriez pas aimé faire ? Directeur d’une chaîne de télévision ou entraîneur d’un club de football professionnel.
9. La plante, l’arbre ou l’animal dans lequel vous aimeriez être réincarné ? Un cep de la romanée-conti.
10. Si Dieu existe, qu’aimeriez-vous, après votre mort, l’entendre vous dire ? « Ah, Pivot ! Expliquez-moi comment on accorde les participes passés des verbes pronominaux, car, Moi, tout Dieu que Je suis, Je n’y ai jamais rien compris. »
À propos…
À la question « Votre mot préféré ? », Michel Serres répondit : « La grande spécialité de la langue française, c’est le e muet. Le meilleur mot sera le mot dans lequel il y aura le plus de e . Donc, ce sera ensemencement . En plus, c’est un mot de fécondité, d’agriculture et d’amour. »
> Aujourd’hui, Lecture
Qui est sujet à des fâcheries subites. Il ou elle y cède comme à une quinte de toux. Quoique à notre connaissance il n’existe aucun sirop pour combattre l’adjectif quinteux , il a quasiment disparu. Léon Daudet, qui avait fait des études de médecine, l’employait volontiers : « Huysmans était excellent et atrabilaire, compatissant et féroce, railleur et quinteux (…). Aussi fine gueule qu’Huysmans, Mirbeau considérait celui-ci comme un vieil enfant quinteux… » ( Souvenirs littéraires ).
Les mots sont des farceurs. Ils changent de sens comme de chemise ou de bonnet. Inutile de leur demander leurs papiers : ils en ont plein les poches. Ne pas se fier à leur apparence, à leur réputation. Ils aiment bien égarer l’auditeur ou le lecteur.
Ainsi, cette malheureuse aventure érotique qui utilise à mesure qu’elle avance les mots suivez-moi-jeune-homme, gallant, embrasse, chambre à louer, pelotage, entrelacement, queue, fente passepoilée, trou-trou, mettre l’un dans l’autre, panne .
Au vrai, il s’agit de mots bien innocents qui relèvent du domaine de la mode et de la couture.
Un suivez-moi-jeune-homme est un chapeau dont les longs rubans flottaient dans le dos des femmes.
Le gallant (avec deux l ) est une embrasse de rideau.
La chambre à louer est un défaut de couture qui provoque une ouverture incongrue.
Le pelotage est un assemblage de fils sous la forme d’une pelote.
Entrelacement est un terme de tricotage.
La queue est la partie arrière, basse, de l’habit de cérémonie.
Quand elle est passepoilée , la fente , utilitaire ou ornementale, d’un vêtement est renforcée d’un cordonnet enveloppé dans du tissu.
Le trou-trou désigne en passementerie un galon dans lequel ont été pratiqués des petits jours.
Mettre l’un sur l’autre et mettre l’un dans l’autre sont deux expressions employées dans les travaux de couture.
Enfin, la panne est un tissu dont la confection imite celle du velours.
Ça y est, on est rhabillé ?
« C’est raccord », dit la scripte. Expression employée au cinéma et à la télévision pour indiquer que deux scènes qui n’ont pas été tournées à la suite ne présentent aucune différence dans le décor et l’apparence des personnages, et peuvent donc être raccordées au montage.
Au figuré, l’expression est pratique. On écrira du président de la République et de son Premier ministre que, sur telle affaire politique, ils sont raccord ou ne sont pas raccord. Les dissensions à la tête des entreprises viennent de ce que leurs dirigeants, après avoir adopté et mené ensemble une stratégie économique, divergent dans leurs conclusions et leurs nouveaux plans. Ils ne sont plus raccord. Ils ne sont plus d’accord.
C’est dans l’amour qu’ « être raccord » présente à la longue le plus de difficultés. Dans les premiers temps de la passion, on est raccord sur tout, matin et soir. Gestes et paroles s’enchaînent naturellement. Pas besoin d’une scripte pour signaler une anomalie, une bizarrerie. Il n’y en a pas. Je t’aime, tu m’aimes : c’est raccord !
Et puis, au fil du temps, s’installent peu à peu les nuances, les variantes, les écarts, les distances, les particularités, les différences. Le couple est de moins en moins raccord. Ils le constatent. Ils se le disent. Ça les navre. Ils vont faire un effort. Quand ils sont pour une fois à l’unisson, ils disent : « Là-dessus, on est raccord. » Pas bon signe. Il y a désormais entre eux une scripte qui les surveille. Le film ira-t-il jusqu’au bout ?
À la pétanque, le joueur qui tire à la raspaillette ne cherche pas à frapper directement la boule adverse, « en plein fer » comme disent les spécialistes. Il se contente de la lancer dans la direction souhaitée en la laissant rouler et rebondir et en espérant qu’au passage elle dégommera la boule visée. Tirer à la raspaillette (du provençal raspaieto , par ricochet) est autorisé, mais peu glorieux. Un tir à la raspaillette, même gagnant, est moqué par les « vrais » joueurs de pétanque.
J’ai entendu, de mes oreilles entendu, prononcer de nombreuses fois cette expression provençale à Addis-Abeba, sur la place de la gare, tandis que se déroulait un concours organisé par le club de pétanque du Cercle des cheminots. La France a construit la ligne de chemin de fer qui relie Djibouti à Addis-Abeba. Il en reste encore quelques vestiges qui rappellent que le français était la langue officielle de la compagnie et que la plupart des employés étaient tenus de la parler. Ce sont ces vieux cheminots qui lançaient leurs boules en s’exprimant soit dans un français un peu oublié, soit dans un amharique truffé de mots là-bas très exotiques comme « cochonnet », « pointer », « carreau ». Et le populaire « à la raspaillette » que des joueurs plus jeunes avaient appris de leurs aînés et qu’ils utilisaient pour moquer l’impossibilité de ceux-ci à désormais tirer avec force, en levant haut la main.
Il est bon que l’orthographe complexe du nom de certains animaux soit en concordance avec leur morphologie. Ainsi, la tête archaïque du rhinocéros s’accommode-t-elle bien de la première syllabe de son nom, la lettre h apparemment inutile s’intercalant entre le r et le i . Le rinocéros serait banal, sans mystère. Avec le rhinocéros , on voit pointer sur sa gueule ses deux défenses énigmatiques. La préhistoire s’inscrit dans son corps et dans son identité.
La tête de l’ hippopotame n’est pas mal non plus. Le h qui ouvre son nom en est le contrepoint écrit.
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