La locution a fait florès dans le milieu : elle s’applique parfaitement à l’aptitude du monte-en-l’air, genre Lupin, qui, comme par enchantement, parvient toujours à échapper à la police.
En maintes occasions, il fallait faire fissa : quand nous avions traîné au lit et qu’approchait l’heure d’aller à l’école, quand, ayant déballé tous nos jouets, il nous fallait les ranger avant que les parents reviennent, quand nous étions en promenade et qu’un gros orage menaçait, etc.
Cette manière de se dépêcher nous vient d’Afrique du Nord puisque ce mot sabir est issu de l’arabe algérien fis-saâ , « à l’heure même, tout de suite ». Esnault nous précise que l’expression était courante dans les chambrées d’Afrique avant 1870.
Faire fissa a connu une certaine vogue chez les auteurs de polars : « […] j’ai tout juste eu le temps de boire un Nescafé avant de partir. Fallu faire fissa… On m’a prévenu encore dans les toiles » (Alphonse Boudard, Les Matadors , 1966).
Du verbe papillonner , Delvau (1866) propose une jolie définition : « Aller de belle en belle, comme un papillon de fleur en fleur. » C’est une manière bien agréable de butiner. Elle est, par définition, superficielle : volage est celui qui en use et, à jouer avec le feu, il risque bien de s’y brûler les ailes. Au-delà de l’amour inconstant, on peut papillonner , non d’un cœur à l’autre mais d’une chose à l’autre, sans but véritable, un peu gratuitement, par jeu, oisiveté ou incapacité à se fixer, à rester calme et seul pour prendre du recul. Pascal n’a-t-il pas dit que « tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre » ( Pensées , fragment 126, Divertissement ) ? « S’agiter comme des ailes de papillon » est une autre acception de papillonner .
Frivolité, frénésie, frétillement et, au final, fragilité, fr…fr…fr…, mots dont l’assonance même évoque des battements vains et futiles. C’est à tous ces fiévreux, tous ces agités qui courent sans but, qui parlent sans raison, qui répondent sans réfléchir, que l’on a envie de dire, les invitant à l’attente : « Minute, papillon ! »
Grand-mère n’aimait pas qu’on la bouscule. Elle faisait tout à petits pas. Alors, quand elle voulait se joindre à nos équipées et que nous essayions de lui faire presser l’allure, nous avions droit à « Minute, papillon ! », immédiatement suivi de « On n’est pas aux pièces ! ». Qu’elle estimât avoir ainsi tout son temps nous exaspérait. Se vengeait-elle d’avoir dû, dans son passé de petite main, coudre à n’en plus finir pour gagner son pain ?
Telle est bien l’origine de l’expression être aux pièces , « être rémunéré en fonction du nombre de pièces produites ». Ramené à l’heure, le salaire ainsi gagné était souvent dérisoire : « Il a d’abord travaillé aux pièces. Faute d’entraînement, il a eu beaucoup de peine au début à dépasser un gain de soixante-dix, ou quatre-vingts centimes de l’heure […] » (Jules Romains, Montée des périls in Les Hommes de bonne volonté , 1935).
Aujourd’hui, seuls les marchands du 1 ermai ont le droit de vendre leur muguet à la sauvette . Dans tous les autres cas, ce mode de vente est illégal puisque tout commerçant doit payer une patente pour exercer sa profession. Les marchands ambulants sont souvent des marchands clandestins : quand ils voient la maréchaussée se profiler à l’horizon, il doivent remballer la camelote dare-dare et se sauver, d’où le qualificatif à la sauvette .
De nos jours, certains escrocs tentent de revendre des tickets de métro à la sauvette en faisant, bien sûr, un bénéfice. Des voyageurs pressés se laissent parfois estamper, surtout quand les guichets sont encombrés de files d’attente mais R.A.T.P. et S.N.C.F. veillent au grain.
Par extension, l’expression a revêtu le sens de « vite fait » et, comme ce qui est vite fait ne saurait être bien fait, à la sauvette signifie aussi « sans soin, de façon bâclée » : « Je vis à la sauvette, je travaille à la sauvette, je fais les courses à la sauvette, je mange à la sauvette quand il n’est pas dans la chambre » (Violette Leduc, Ravages , Gallimard, 1955).
Si l’on en croit Patrice Louis [32], l’expression ferait référence à Simone Louise de Pinet de Borde des Forest, agricultrice passionnée d’automobiles qui obtint son permis de conduire en 1929 et s’illustra dans plusieurs courses et rallyes entre 1930 et 1957. Les pilotes de courses étant plus nombreux parmi les hommes que chez les femmes et compte tenu de l’époque ou Simone de Borde des Forest acquit sa notoriété, la formule laisse transparaître une certaine incrédulité ironique quant à l’aptitude du sexe faible à tenir un volant. L’expression complète est en effet : « En voiture, Simone, c’est moi qui conduis, c’est toi qui klaxonnes. »
Associée à l’origine à l’excitation des voyages en automobile (grand-mère l’utilisait quand nous partions à la mer dans la 401 familiale), l’expression s’est ensuite généralisée pour exhorter tout un chacun à se mettre en route, en action, au travail.
Si l’huile est onctueuse et coule lentement, le vinaigre est vif et acide. Cette considération est sans doute à l’origine des injonctions « à l’huile ! » et « au vinaigre ! » associées depuis le début du XIX esiècle au jeu de la corde à sauter : dans les cours de récréation, quand une camarade criait « à l’huile ! », la fillette devait sauter lentement ; elle se mettait à accélérer quand elle entendait « au vinaigre ! »
Cette pratique semble pouvoir justifier le sens de faire vinaigre , « se dépêcher ».
Le vinaigre intervient dans d’autres locutions :
— son acidité explique qu’une personne triste et rabat-joie soit traitée de « pisse- vinaigre » (pour Oudin, en 1640, un pisse-vinaigre est un avare) ;
— la transformation du vin en vinaigre rend compte de l’expression « tourner vinaigre », « s’aigrir » donc, « devenir orageux, conflictuel ». Grand-mère disait plutôt : « Tourner en bouillon de moules » (voir infra).
Quand grand-mère croisait une connaissance qui, l’ignorant ou ne la voyant pas, manquait à la saluer, elle exprimait son dépit d’un « Regarde-moi un peu celui-là, il est fier comme Artaban ! ». Elle se moquait aussi de cette voisine bêtasse qui déformait l’expression en « fier comme un p’tit banc ». Mais savait-elle qui était Artaban ?
Le frère de Darius I er? Le capitaine des gardes de Xerxès I er? L’un des cinq rois de la dynastie parthe des Arsacides ? Le héros imaginaire de Cléopâtre , roman-feuilleton écrit de 1647 à 1658 par Gautier de Costes de La Calprenède ? L’un d’entre eux, à coup sûr, mais lequel ?
Se croire sorti de la cuisse de Jupiter
Si l’on s’en réfère à la mythologie, se croire sorti de la cuisse de Jupiter, c’est se prendre pour Bacchus. À l’origine, on trouve une histoire de coucherie et de jalousie olympiennes. Jupiter tombe amoureux de Sémélé et lui fait un enfant. Comme il se doit, Junon en conçoit jalousie et vengeance. Quand Jupiter demande à Sémélé ce qu’il peut faire pour la rendre heureuse, Junon souffle insidieusement la réponse suivante : « Te voir dans toute la splendeur de ta gloire. » Jupiter a juré par le Styx et ne peut se désavouer, tout dieu des dieux qu’il soit. Hélas ! car, pour le céleste souverain, se montrer dans sa gloire ne peut aller sans force déploiement d’éclairs, de tonnerre et de foudre. Laissons Ovide achever le récit : « Le corps d’une mortelle ne put supporter le fracas qui ébranlait les airs ; elle fut consumée par les présents de son époux. L’enfant imparfait est arraché du sein de sa mère et, tout frêle encore, cousu (s’il est permis de le croire) dans la cuisse de son père, où il achève le temps qu’il devait passer dans les flancs maternels. Ino, sœur de sa mère, entoura furtivement son berceau des premiers soins ; ensuite elle le confia aux nymphes de Nysa, qui le cachèrent dans leurs antres et le nourrirent de lait ». ( Les Métamorphoses , III, 308–315, traduction de Georges Lafaye).
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