Revenons à notre jour sans pain : il est déjà mentionné chez Oudin (1640) mais avec une signification temporelle, « long comme un jour sans pain , fort long, fort lent ».
Pigacé, picassé ou pigeassé s’emploie en Saintonge et Poitou pour dire « tacheté, moucheté, marqueté, piqué », notamment de blanc et de noir. L’occitan a picassa, picata . Une étymologie propose le latin pica , « pie », oiseau dont le plumage est bien blanc et noir : « Pigeassée au meillou quem plume d’Ajasse » (Jean Boiceau de la Borderie, Gente Poitevin’rie , 1605), « ajasse » étant l’un des noms régionaux de la pie. Pigacé a également eu le sens de « bariolé » : « Nous les mettrons hors de ces villes / Nous les envoierons promener / Avec leur drapeau pigacé » (Chanson royaliste du Bas-Poitou, 1793).
Grand-mère employait le mot pigacé pour décrire la cosse de certains haricots ou un visage constellé de taches de rousseurs.
Le pharmacien Antoine Quinquet (1745–1803) perfectionna en 1785 la lampe à huile inventée trois ans plus tôt par le physicien suisse Aimé Argand (1755–1803). On parla d’abord de « lampe à la Quinquet ». Le nom propre se lexicalisa et les quinquets éclairèrent les estaminets, les hôtels, les théâtres, etc. : « Le bonheur n’est pas un quinquet de taverne », nous dit Aragon dans Prose du bonheur et d’Elsa (1956). Une amusante expression apparut alors dans l’argot de l’opéra : cracher sur les quinquets se disait d’un chanteur qui se produisait trop près de la rampe.
Par comparaison, le mot, devenu populaire, désigna les yeux à partir de 1808. Delvau (1866) cite Belle paire de quinquets pour des « yeux émerillonnés », Allumer ses quinquets pour « regarder avec attention », Éteindre les quinquets pour « crever les yeux ».
Esnault (1965) donne la forme argotique abrégée, quinq’s , et le verbe quinqser , « regarder ».
Quand un enfant ouvrait les yeux au sortir du sommeil, grand-mère disait : « Il a ouvert ses quinquets. »
La beauté ne se mange pas en salade
L’expression est encore en usage : « Sa petite amie n’est pas très belle. — Et alors ? La beauté ne se mange pas en salade ! »
Salade a de nombreux sens argotiques : mélange, mensonge, boniment, etc. Selon Esnault (1965), le mot a désigné chez les pickpockets le « mélange d’or et de billon [monnaie de faible valeur] que la “main” retire de la poche fouillée ».
Ne pas se manger en salade signifie « ne rapporter aucun avantage, ne procurer aucun profit » : « La grandeur nationale ne se mange pas en salade » (Jacques Sapir, Le Nouveau XXI e siècle , Seuil, 2008).
L’expression nous fait donc comprendre que la beauté n’est ni nécessaire ni suffisante pour faire vivre un ménage : « Certes, il n’était pas beau. Mais la beauté ne se mange pas en salade, et il était si brave. Elle tenait à lui qui tenait à elle. Est-ce autre chose, l’amour ? » (Albert Camus, La Mort heureuse , 1936-38.)
Elle a regardé le soleil à travers une passoire
« Éphélides » est le nom scientifique des taches de rousseur, du grec hélios , « soleil » et épi , « à cause de ». Il est vrai que les taches de rousseur s’accentuent après une longue exposition au soleil. Pourquoi taches de « rousseur » ? Parce qu’elles sont plus fréquentes chez les roux. On les appelle aussi « taches de son », expression adoptée par François Coppée pour intituler un poème de son recueil Arrière-saison (1887) dont voici le premier quatrain :
« Sur ta peau si tendre et si lisse,
Dont ma bouche sait la douceur,
Le soleil d’été, par malice,
A mis des taches de rousseur. »
Éphélides, taches de son ou de rousseur sont de jolis noms, mais ces petites pigmentations génétiques donnent aussi lieu à des quolibets : on fait référence au Poil de carotte de Jules Renard, on évoque des « chiures de mouches » ou (moquerie et imagination font souvent bon ménage) on imagine une observation de l’astre solaire à travers une passoire . Grand-mère avait parfois recours à cette image mais, plus souvent, elle parlait d’un visage « tout pigacé » (voir supra).
Décaniller , c’est d’abord « décamper, ficher le camp » : « […] en avant marche, décanillons ; j’ai besoin de prendre l’air, ça empoisonne ici » (Eugène Sue, Les Mystères de Paris, seconde partie, ch. V, 1842).
Décaniller , c’est ensuite « se lever, sortir du lit » (Virmaître, 1894, dit aussi, « se lever de sa chaise ») : « Est-ce que tu te moques des paroissiens, sacré faignante ? Allons, houp ! décanillons ! Il faisait déjà claquer le fouet au-dessus du lit » (Émile Zola, L’Assommoir , ch. XII, 1878).
L’origine étymologique est sujette à controverse. Pour certains, le verbe serait issu de quenis, quenil , formes nordiques de « chenil », décaniller signifiant alors, à l’origine, « sortir du chenil, de la niche » (on trouve dans la Sarthe les variantes déch’niller et décanicher ). Pour d’autres, il faut y voir canille , « jambe » dans le Lyonnais (cf. canne , de même sens dans le langage populaire). Décaniller serait donc « jouer des cannes », « prendre ses jambes à son cou ». On peut enfin supposer une influence de cagne , « indolence, paresse », dans le Midi.
En Aunis et Saintonge, on décanille quand on se lève de bonne heure. En Vendée, on décanige plutôt.
C’est une façon familière d’exprimer la fuite, la disparition soudaine. Qui est donc cette fille de l’air ? Une légende allemande nous la présente comme une jeune et belle meunière qui, pour ne pas épouser le marchand de farine que lui impose son père, appelle le vent à la rescousse et en devient la fiancée, se transformant en une sylphide évanescente, vaporeuse et légère. Jules Verne lui consacre un long poème intitulé La Fille de l’air . En voici la première strophe :
« Je suis blonde et charmante,
Ailée et transparente,
Sylphe, follet léger, je suis fille de l’air,
Que puis-je avoir à craindre ?
Une nuit de m’éteindre ?
Qu’importe de mourir comme meurt un éclair ! »
C’est toutefois par le biais d’une autre fille de l’air , rôle titre d’une « féerie » à succès écrite en 1836 par Provost et les frères Cogniard, que l’expression s’est popularisée : La Fille de l’air , opérette en trois actes, fut représentée en août 1837 au Folies-Dramatiques. Elle met en scène une fée baptisée Azurine qui, pour s’être laissé séduire par un villageois du nom de Rutland, est condamnée à perdre ses ailes et à ne plus jamais quitter la terre. Comment expliquer alors qu’ayant perdu la faculté de s’esquiver, cette fille de l’air-là ait pu faire naître une locution exprimant justement la dérobade ? La chose paraît peu logique. C’est que la véritable justification se trouve dans un autre vaudeville, joué quelques mois après dans le même théâtre et avec autant de succès. Il a pour titre La Fille de l’air dans son ménage et propose une suite à l’opérette. Les auteurs, Honoré et Delaporte, y dépeignent le couple malheureux que forment Azurine et Rutland. Mais, miracle ! Grâce à un propice talisman, Azurine retrouve ses ailes et peut fort heureusement quitter le monde d’ici-bas où nul bonheur ne l’attendait.
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