Эжен Сю - Les mystères du peuple, Tome V
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– Duk, appelle mes pages, qu'ils chassent d'ici à coups de houssine ce vieux fou qui se dit abbé du monastère de Charolles, et qui vient s'agenouiller devant mes médailles antiques, en leur adressant je ne sais quelles invocations insensées; mais je ferai rudement châtier ceux qui ont laissé ce vagabond s'introduire ici.
Brunehaut parlait encore lorsqu'un de ses pages entra par la porte de la grande salle, et après avoir fléchi le genou lui dit:
– Glorieuse reine… un messager arrive à l'instant de l'armée, il est porteur de lettres urgentes pour le seigneur Warnachaire.
– Cela est important, duk, va recevoir ce messager, reviens promptement m'instruire des nouvelles qu'il apporte. – Puis s'adressant au page et lui montrant Loysik qui, le front haut, le regard ferme, s'avançait vers elle: – Va chercher quelques-uns de tes compagnons et chasse d'ici, à coups de houssine, ce vieux moine fou; la perte de sa raison lui épargne un autre châtiment. – La reine se levant alors se dirigea vers sa chambre à coucher, disant au maire du palais: – Warnachaire, reviens au plus tôt m'instruire des nouvelles apportées par le messager.
– Je vais, madame, le recevoir à l'instant; mais ce fou…
– Cela regarde mes pages… Allons, aux houssines… aux houssines!
Le maire du palais sortit; au moment où la porte se trouvait ainsi ouverte, le page, sans quitter la salle, appela plusieurs de ses compagnons rassemblés dans la pièce voisine. Loysik voyant la reine, sans s'occuper plus de lui que l'on ne s'occupe d'un insensé, rentrer dans sa chambre, Loysik courut vers Brunehaut, et lui présentant un parchemin qu'il venait de tirer de sa robe, il lui dit d'une voix forte: – Je ne suis pas fou… Cette charte du feu roi Clotaire I ervous prouvera que je suis le supérieur du monastère de Charolles, où votre chambellan et ses soldats sont à cette heure, je vous le répète, retenus prisonniers par mon ordre.
– Loysik! – s'écria l'un des jeunes pages qui venaient d'accourir à la voix de leur compagnon, – le frère Loysik ici?
– Quoi! ce moine! – s'écria Brunehaut stupéfaite, – c'est Loysik?.. l'abbé du monastère de Charolles?
– Oui, glorieuse reine!
– D'où le connais-tu?
– On me l'a montré et nommé au dernier marché d'esclaves; il achetait des captifs pour les affranchir; ce matin je l'ai vu traverser une des cours du palais en compagnie du juif Samuel, que tout le monde connaît à Châlons.
Brunehaut fit signe aux pages de sortir, et après un instant de réflexion, s'adressant à l'un d'eux: – Va dire à l'ami Pog de se rendre dans sa cave avec ses garçons; il allumera son brasier, ses lanternes et il attendra.
Le page s'inclina en pâlissant; mais avant de s'éloigner il jeta sur le vieillard un regard de commisération et d'épouvante. La reine, restée seule avec Loysik, marcha quelques instants silencieuse et d'un pas agité; puis elle dit à l'ermite laboureur d'une voix sourde et brève: – Donc, tu es Loysik, toi?
– Je suis Loysik, supérieur du monastère de Charolles.
– Et d'abord, comment as-tu pénétré ici?
– J'ai rencontré ce matin aux abords de ce château un marchand d'esclaves nommé Samuel; dernièrement encore je lui avais acheté plusieurs captifs: il m'a appris qu'il se rendait ici; sachant que l'on entrait difficilement dans ce palais, j'ai demandé à Samuel de l'accompagner; il a d'abord hésité, deux pièces d'or l'ont décidé.
– Ces juifs! Et comme les gardiens des portes avaient l'ordre d'introduire Samuel et des esclaves, tu as passé avec sa marchandise?
– C'est la vérité.
– De sorte que pendant que le juif m'a amené ici les deux jeunes filles, tu attendais dans la salle basse?
Loysik fit un signe de tête affirmatif.
– Mais ensuite, lorsque Samuel a quitté le palais?
– Le juif m'ayant dit que de la salle basse on montait ici par cet escalier, j'y suis monté tout à l'heure, et, caché derrière le rideau, j'ai entendu votre entretien avec une de vos femmes.
Brunehaut bondit sur son siége, puis regardant le moine d'un air de doute effrayant: – Ainsi, cet entretien tu l'as entendu?
– Oui; j'allais entrer, vous croyant seule; les premiers mots de votre conversation avec votre confidente m'ont frappé… j'ai écouté; ailleurs je ne me serais jamais permis cette action basse et déloyale… mais…
– Mais dans le palais de Brunehaut, tout est permis, n'est-ce pas?
– Le palais de Brunehaut est hors de l'humanité; lorsqu'on met le pied ici, l'on sort du monde connu; ses lois n'existent plus. Lorsque je me suis approché de cette porte, il m'a semblé entendre deux damnées dans l'enfer des catholiques… Cette rencontre est rare… j'ai écouté.
– Vieillard… j'aime ton courage, tu supporteras vaillamment la torture, elle durera plus longtemps. Tu connais l'ami Pog et ses garçons, que j'ai tout à l'heure fait avertir par un de mes pages?
– Le bourreau et ses aides, je suppose…
– Justement… Dis-moi… quel âge as-tu?
– L'âge d'un homme qui va mourir.
– Tu t'attendais à la mort?
Loysik haussa les épaules sans répondre.
– C'est juste, – reprit Brunehaut avec un sourire affreux, – apporter de pareilles nouvelles, c'était courir au-devant du supplice…
– Je suis venu ici de mon plein gré, votre chambellan et ses hommes sont restés prisonniers dans le monastère; il ne leur sera fait aucun mal.
– Vieillard, tu te trompes… Oh! un châtiment terrible les attend. Infamie… lâcheté… honte et trahison! Un officier, des hommes de guerre de Brunehaut prisonniers d'une poignée de moines! L'ami Pog et ses garçons auront plus de besogne que je ne le croyais.
– Vos hommes de guerre n'ont pas été lâches; eussent-ils été deux fois plus nombreux, ils n'auraient pu résister aux gens du monastère et de la vallée de Charolles…
– Vraiment…
– Non, car mes frères ont résolu de vivre ou de mourir libres. Si vous méconnaissez les droits que leur garantit une charte du feu roi Clotaire I er.
– Et cette charte… tu l'invoques auprès de moi?..
– Pourquoi non?
– Tu le demandes? Une charte du père du mari de Frédégonde? une charte de l'aïeul de Clotaire II, fils de Frédégonde, mon plus mortel ennemi. Moine, je te croyais un homme dangereux et subtil, je me trompais; tu viens ici me parler d'une charte signée de l'aïeul de l'homme que je poursuivrai jusqu'à la tombe… Mais, vieillard insensé! un arbre qui aurait prêté son ombrage au fils de Frédégonde, je le ferais brûler, cet arbre! Une source où cet homme se serait désaltéré… je la ferais empoisonner, cette source… Et il s'agit, non plus d'objets inanimés, mais d'hommes, de femmes, d'enfants qui doivent leur liberté à l'aïeul du fils de Frédégonde! Je peux, ces affranchis de Clotaire I er, les faire souffrir dans leur âme, dans leur chair et dans leur race! Oh! merci! moine, merci; dès demain tous les habitants de cette vallée seront envoyés comme esclaves à ces farouches tribus qui me viennent de Germanie… Ce sera une avance sur le pillage promis.
– Soit, vous allez envoyer de nombreuses troupes dans la vallée; elles y pénétreront de vive force, elles écraseront nos habitants malgré leur résistance héroïque: hommes, femmes, enfants sauront mourir. Vos soldats, après un combat acharné, entrant dans la vallée n'y trouveront que cendres et cadavres; c'est dit; maintenant, écoutez ceci. La guerre est déclarée entre vous et le fils de Frédégonde; le moment est suprême, vous avez besoin de toutes vos forces. Exécrée du peuple, exécrée des grands, dont les plus considérables sont déjà dans le camp de Clotaire II, soupçonnant vos généraux, ne rêvant que trahison; à peine êtes-vous certaine de la fidélité de votre armée, puisqu'il vous faut appeler comme auxiliaires des tribus barbares et leur promettre le pillage… Écoutez encore… Notre malheureux peuple est énervé par l'esclavage, je le sais; mais, guidé par son instinct et voyant s'accroître de jour en jour la grandeur des maires du palais, il fait des vœux pour eux; songez-y, à leur voix il se soulèvera, parce que il voit en eux les ennemis des rois franks; et cette lutte sanglante nous profitera tôt ou tard, à nous peuple conquis!
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