Juliette Benzoni - L’Intrus

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Automne 1802. Huit ans après la mort de son épouse, Agnès, tombée sur l’échafaud, après la séparation avec Marie-Douce, son unique amour, Guillaume Tremaine est tragiquement rattrapé par le passé : Marie-Douce, à l’agonie, le fait appeler en Angleterre pour lui confier Arthur, leur fils illégitime. Les choses n’iront pas sans mal. Le garçon rejette en bloc ce père prodigue, son autorité, sa protection, cette famille qui ne peut voir en lui qu’un
En effet, le paisible Adam, fils cadet de Guillaume, oppose une farouche résistance au nouveau venu. Mais Elisabeth, l’aînée, aussi impétueuse que généreuse, acceptera-t-elle ce demi-frère, cause indirecte du drame de sa mère ?
C’est alors qu’arrive Lorna, demi-sœur d’Arthur, éblouissante créature et dans son sillage les projets les plus troubles : séduire Guillaume, régner sur sa fortune et semer la discorde aux Treize Vents. Parviendra-t-elle à ses fins ? Le maître des lieux sauvera-t-il sa famille jusque-là préservée contre tous ? Devra-t-il sacrifier l’amour de sa fille à l’honneur ?...

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Le jeune précepteur, il le savait, ne fermait jamais sa porte. Cette fois, le vantail bougea sans s’ouvrir. Arthur vit alors la cale et comprit que l’on était en train d’essayer de les assassiner tous...

Sortir Brent de son lit, lui expliquer ce qui se passait et le nantir d’un pistolet fut l’affaire d’un instant :

— Il doit y avoir des cales sous toutes les portes, chuchota Arthur. Allez vite les enlever et rejoignez-moi en bas, mais surtout pas de bruit avant que vous ne m’entendiez !

Prenant tout juste le temps de glisser ses pieds dans des pantoufles, le précepteur fit signe qu’il avait compris et suivit son élève dans un envol de chemise de nuit blanche. Arthur retourna vers l’escalier qui s’emplissait d’une épaisse fumée. Elle lui servit à masquer son arrivée et lui permit de tomber comme la foudre à bonne portée de l’incendiaire sans presque respirer.

— Les mains en l’air ! cria-t-il. Et ne fais pas l’imbécile : je tire très bien.

En face de la gueule noire de l’arme, le misérable sursauta, mais constatant qu’elle était entre les mains d’un enfant, il eut un petit rire et tourna les talons. Il ouvrait la porte quand Arthur tira. Atteint au genou, Colas s’effondra avec un cri de douleur.

Ce fut comme un signal. La maison reprit vie. A la suite de Jeremiah, une théorie de fantômes blancs qui toussaient à s’arracher la gorge descendait l’escalier : Adam, Élisabeth, Potentin menant au bout d’un fusil l’autre valet Valentin qui, titubant de sommeil, protestait de son innocence d’une voix lamentable, enfin Béline, Lisette et Kitty.

Affolées par les flammes, les femmes se ruèrent dans la cuisine pour y chercher de l’eau. Élisabeth en ressortit épouvantée : Mme Bellec gisait sur les dalles, sa coiffe blanche tachée de sang. Il fallait le docteur et vite ! Béline ne suffirait peut-être pas à la tâche...

Soudain, par la porte principale ouverte, Arthur aperçut la langue rouge d’une flamme et poussa un cri étranglé :

— L’écurie !... Elle aussi...

Jetant son pistolet inutile, il arracha le fusil des mains de Potentin et se rua sur le perron. L’incendie commençait seulement mais les bêtes enfermées à l’intérieur hennissaient déjà de terreur. Arthur vit aussi un homme armé d’une torche qui allumait un tas de paille contre un mur. Alors, sans plus réfléchir, le jeune garçon épaula et fit feu. La balle frappa l’incendiaire en pleine tête. Il s’écroula sans un cri...

— Bravo ! applaudit farouchement Élisabeth qui rejoignait son frère. Tu l’as tué net et je crois...

— Pas le temps de causer ! Va libérer Daguet et les autres. On a dû coincer aussi leurs portes si j’en crois le sabbat qu’ils mènent. Moi, je sors les chevaux...

Abandonnant son arme, il fonça tête baissée vers l’entrée de l’écurie obstruée par la fumée sans souci du danger que les chevaux fous de peur allaient lui faire courir, mais il les aimait trop pour ménager sa peine et même sa vie... Heureusement Daguet et deux garçons le rejoignirent rapidement. Alors, voyant que l’on n’avait plus besoin d’elle — les gens de la ferme accouraient avec des seaux d’eau — , Élisabeth revint vers la maison d’où s’échappaient des vagues de fumée noire, pour aider ceux qui à l’intérieur s’efforçaient de circonscrire le sinistre. En haut du perron Potentin faillit la renverser : emporté par la plus violente fureur qu’il eût jamais éprouvé, il traînait après lui le valet qui, le genou fracassé, hurlait de douleur. Arrivé au bas des marches, il le laissa s’étaler sur le sable et l’y cloua d’un pied posé sur sa poitrine. Puis il tira de sa ceinture le pistolet qu’il venait de prendre à Jeremiah Brent.

— Écoute-moi bien. saloperie de vermine ! Ou tu me racontes tout et vite ou je te loge une balle dans le ventre. Ça fait très mal et tu mettras longtemps à crever.

— Si je parle... les autres... me feront mon affaire.

— Si tu te dépêches, ils n’en auront pas le temps. Dis-moi tout et je tâcherai de t’éviter la corde. Mais n’essaies pas de mentir !

L’interrogatoire commença : serré, brutal, précis, ne laissant aucun détail au hasard, mais rapide. Colas, épouvanté par la figure du vieux majordome devenue vraiment démoniaque, ne cacha rien, se hâtant même de révéler que la fin de l’incendie serait le signal pour la mort de Tremaine.

— Vaudrait mieux laisser brûler au moins l’écurie, hasarda-t-il dans l’espoir d’attendrir un peu son bourreau, sans ça vous l’retrouverez pas vivant, le maître !

Du monde arrivait de partout. Il en venait du hameau de la Pernelle d’abord dont l’église appelait à l’aide par la voix du tocsin, de Rideauville, d’Anneville, du Vicel et même de Saint-Vaast avec, en tête, le docteur Annebrun qui avait vu l’incendie au moment où il rentrait chez lui. En même temps apparurent M. de Rondelaire et ses gens. Il organisa aussitôt l’expédition pour secourir Tremaine tandis que l’on allumait le bûcher destiné à tromper les assassins. Manœuvre curieuse pour qui regardait de loin, comme les vieux de Saint-Vaast qui ne comprenaient pas pourquoi les gens des Treize Vents, au lieu d’éteindre leur feu, en allumaient un autre. Il est vrai qu’avec les étonnants Tremaine, on pouvait s’attendre à tout et à n’importe quoi ! L’histoire eut d’ailleurs la vie dure : même quand on sut la vérité, on en parla longtemps autour des cheminées, à la veillée...

Le jour se leva enfin, pâle et gris, timide comme s’il avait honte d’éclairer ce qui était tout de même un désastre. Murs encore fumants, poutres calcinées, ferronneries tordues, il ne restait presque rien des belles écuries dont Tremaine était si fier. La vague des amis, des sauveteurs bénévoles, de tous les braves gens venus au secours des Treize Vents se retirait lentement, presque à regret, comme si tous ces cœurs dévoués déploraient de ne pouvoir faire plus...

Étayé comme autrefois sur ses béquilles retrouvées — Pierre Annebrun avait diagnostiqué et bandé une superbe entorse — , Guillaume Tremaine faisait le tour des décombres entre son médecin résigné à le laisser marcher et Rose de Varanville. Elle aussi était accourue dans la nuit, à cru sur un cheval qu’elle n’avait pas pris le temps de seller, emmenant avec elle ses paysans et ceux de ses écuries qui, à présent, ramenaient au château la cavalerie des Treize Vents désormais sans toit.

Après ses enfants, c’était elle que Guillaume avait vu la première, pâle et belle dans sa tenue d’amazone noire sur laquelle flottait sa chevelure dénouée. La voir lui avait causé une joie d’une infinie douceur parce que ses grands yeux couleur de jeunes feuilles étaient noyés de larmes lorsqu’elle vint à lui. Alors, il l’avait prise dans ses bras sans dire un mot, simplement heureux de sentir contre ses lèvres la fraîcheur de sa peau, la senteur légère de sa chevelure après toute cette horreur. Elle était la vie, elle était la vérité ! A cet instant il connut la certitude de l’aimer vraiment, de n’aimer qu’elle, de ne vouloir qu’elle par-delà les tentations basses et les appétits vulgaires. Aucune femme ne la valait sur cette Terre et, s’il ne pouvait la conquérir, aucune femme n’occuperait auprès de lui la place qu’il brûlait à présent de lui offrir. La mort qu’il venait de voir de si près donnait le prix exact des années à venir... si Dieu voulait bien lui prêter vie !

— Tu devrais rentrer, conseilla le médecin. Cette inspection pouvait attendre quelques heures...

— Peut-être mais je tenais à me rendre compte dès maintenant. Les dégâts sont sérieux, les écuries en ruine et la maison abîmée, mais c’est au fond sans importance puisque tout le monde est sauf. Je vais réparer, reconstruire, replanter... Vous m’aiderez, Rose ? murmura-t-il à la jeune femme qui lui offrit son rayonnant sourire :

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