En dégustant l’infâme tord-boyaux, le prince dévisageait les consommateurs. L’un d’eux, un colosse barbu, était vêtu en fort de la Halle et son immense chapeau farineux lui donnait l’air d’un demi-dieu de la fable prêt à accomplir un travail héroïque.
Le prince crut reconnaître le visage sympathique du cambrioleur Cornaboeux. Tout à coup, il l’entendit demander un pétrole d’une voix tonitruante. C’était bien la voix de Cornaboeux. Mony se leva et se dirigea vers lui la main tendue:
«Bonjour, Cornaboeux, vous êtes aux Halles, maintenant?
– Moi, dit le fort surpris, comment me connaissez vous?
– Je vous ai vu au 114, rue de Prony, dit Mony d’un air dégagé.
– Ce n’est pas moi, répondit très effrayé Cornaboeux, je ne vous connais pas, je suis fort aux Halles depuis trois ans et assez connu. Laissez-moi tranquille!
– Trêve de sottises, répliqua Mony. Cornaboeux tu m’appartiens. Je puis te livrer à la police. Mais tu me plais et si tu veux me suivre, tu seras mon valet de chambre, tu me suivras partout. Je t’associerai à mes plaisirs. Tu m’aideras et me défendras au besoin. Puis, si tu m’es bien fidèle, je ferai ta fortune. Réponds de suite.
– Vous êtes bon zigue, et vous savez parler. Topez là, je suis votre homme.»
Quelques jours après, Cornaboeux, promu au grade de valet de chambre, bouclait les valises. Le prince Mony était rappelé en toute hâte à Bucarest. Son intime ami, le vice-consul de Serbie, venait de mourir, lui laissant tous ses biens qui étaient importants. Il s’agissait de mines d’étain, très productives depuis quelques années mais qu’il fallait surveiller de près sous peine d’en voir immédiatement baisser le rapport. Le prince Mony, comme on l’a vu, n’aimait pas l’argent pour lui-même; il désirait seulement le plus de richesses possibles, mais seulement pour les plaisirs que l’or seul peut procurer. Il avait sans cesse à la bouche cette maxime, prononcée par l’un de ses aïeux: «tout est à vendre; tout s’achète; il suffit d’y mettre le prix.»
Le prince Mony et Cornaboeux avaient pris place dans l’Orient Express; la trépidation du train ne manqua point de produire aussitôt son effet. Mony banda comme un cosaque et jeta sur Cornaboeux des regards enflammés. Au-dehors, le paysage admirable de l’Est de la France déroulait ses magnificences nettes et calmes. Le salon était presque vide; un vieillard podagre, richement vêtu, geignait en bavant sur le Figaro qu’il essayait de lire.
Mony qui était enveloppé dans un ample raglan, saisit la main de Cornaboeux et, la faisant passer par la fente qui se trouve à la poche de ce vêtement commode, l’amena à sa braguette. Le colossal valet de chambre comprit le souhait de son maître. Sa grosse main était velue, mais potelée et plus douce qu’on n’aurait supposé. Les doigts de Cornaboeux déboutonnèrent délicatement le pantalon du prince. Ils saisirent la pine en délire qui justifiait en tous point le distique fameux d’Alphonse Allais:
La trépidation excitante des trains
nous glisse des désirs dans la moelle des reins.
Mais un employé de la Compagnie des Wagons-Lits qui entra, annonça qu’il était l’heure de dîner et que de nombreux voyageurs se trouvaient dans le wagon-restaurant.
«Excellente idée, dit Mony. Cornaboeux, allons d’abord dîner.»
La main de l’ancien fort sortit de la fente du raglan. Tous deux se dirigèrent vers la salle à manger. La pine du prince bandait toujours, et comme il ne s’était pas reculotté, une bosse proéminait à la surface du vêtement. Le dîner commença sans encombre, bercé par le bruit de ferrailles du train et par les cliquetis divers de la vaisselle, de l’argenterie et de la cristallerie, troublé parfois par le saut brusque d’un bouchon d’Apollinaris.
À une table, au fond opposé de celui où dînait Mony, se trouvaient deux femmes blondes et jolies. Cornaboeux qui les avait en face les désigna à Mony. Le prince se retourna et reconnu en l’une d’elles, vêtue plus modestement que l’autre, Mariette, l’exquise femme de chambre du Grand-Hôtel. Il se leva aussitôt et se dirigea vers ces dames. Il salua Mariette et s’adressa à l’autre jeune femme qui était jolie et fardée. Ses cheveux décolorés à l’eau oxygénée lui donnaient une allure moderne qui ravit Mony:
«Madame, lui dit-il, je vous prie d’excuser ma démarche. Je me présente moi-même eu égard à la difficulté de trouver dans ce train des relations qui nous seraient communes. Je suis le prince Mony Vibescu, hospodar héréditaire. Mademoiselle qui voici, c’est à dire Mariette, qui, sans doute, a quitté le service du Grand-Hôtel pour le vôtre, m’a laissé contracter envers elle une dette de reconnaissance dont je veux m’acquitter aujourd’hui même. Je veux la marier à mon valet de chambre et je leur constitue à chacun une dot de cinquante mille francs.
– Je n’y vois aucun inconvénient, dit la dame, mais voici quelque chose qui n’a pas l’air d’être mal constitué. À qui le destinez-vous?»
La bitte de Mony avait trouvé une issue et montrait sa tête rubiconde entre deux boutons, devant le prince qui rougit en faisant disparaître l’engin. La dame se prit à rire.
«Heureusement que vous êtes placé de façon à ce que personne ne vous ait vu… ça en aurait fait du joli… Mais répondez donc, pour qui est cet engin redoutable?
– Permettez-moi, dit galamment Mony, d’en faire l’ouvrage à votre beauté souveraine.
– Nous verrons ça, dit la dame, en attendant et puisque vous vous êtes présenté, je vais me présenter aussi… Estelle Ronange…
– La grande actrice du Français ?»
La dame inclina la tête.
Mony, fou de joie, s’écria:
«Estelle, j’eusse dû vous reconnaître. Depuis longtemps j’étais votre admirateur passionné. En ai-je passé des soirées au théâtre français, vous regardant dans vos rôles d’amoureuse? et pour calmer mon excitation, ne pouvant me branler en public, je me fourrais les doigts dans le nez, j’en tirais de la morve consistante et je la mangeais! C’était bon! C’était bon!
– Mariette, allez dîner avec votre fiancé, dit Estelle. Prince, dînez avec moi.»
Dès qu’ils furent en face l’un de l’autre, le prince et l’actrice se regardèrent amoureusement:
«Où allez-vous? demanda Mony.
– À Vienne, jouer devant l’Empereur.
– Et le décret de Moscou?
– Le décret de Moscou, je m’en fous; je vais envoyer demain ma démission à Claretie… On me met à l’écart… On me fait jouer des pannes… on me refuse le rôle d’Eorakâ dans la nouvelle pièce de notre Mounet-Sully… Je pars… On n’étouffera pas mon talent.
– Récitez-moi quelque chose… des vers,» demanda Mony.
Elle lui récita, tandis qu’on changeait les assiettes, L’invitation au voyage . Tandis que se déroulait l’admirable poème où Baudelaire a mis un peu de sa tristesse amoureuse, de sa nostalgie passionnée, Mony sentit que les petits pieds de l’actrice montaient le long de ses jambes: ils atteignirent sous le raglan le vit de Mony qui pendait tristement hors de la braguette. Là, les pieds s’arrêtèrent et, prenant délicatement le vit entre eux, ils commencèrent un mouvement de va-et-vient assez curieux. Durci subitement, le vit du jeune homme se laissait branler par les souliers délicats d’Estelle Ronange. Bientôt, il commença à jouir et improvisa ce sonnet, qu’il récita à l’actrice dont le travail pédestre ne cessa pas jusqu’au dernier vers:
ÉPITHALAME
Tes mains introduiront mon beau membre asinin
Dans le sacré bordel ouvert entre tes cuisses
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