Le repas put enfin commencer. À eux tous, ils incarnaient parfaitement la famille classique réunie autour de la dinde de Thanksgiving. Mais pour qui savait qu’un vampire se tenait dans l’assemblée, le dîner n’était pas si ordinaire que cela. Elena ne percevait que trop l’atmosphère surnaturelle qui régnait dans la pièce. Quant à Bonnie, elle était tellement occupée à lancer des regards interrogateurs à son amie qu’elle ne toucha pas au contenu de son assiette.
Elena ne savait absolument pas comment réagir face à l’intrusion de Damon. Elle se remettait à peine de l’humiliation. Se faire piéger sous son propre toit ! Et pour compléter le fiasco, tante Judith et Robert étaient visiblement charmés du tour agréable de sa conversation. Même Margaret avait fini par lui sourire, et Bonnie, malgré ses craintes, pouvait très bien succomber à son tour.
— Fell’s Church commémore sa fondation la semaine prochaine, annonça tante Judith à l’invité. Ce serait l’occasion de revenir nous voir.
— Avec grand plaisir ! répondit-il d’un ton affable qui horripila Elena.
Tante Judith, en revanche, lui adressa un sourire ravi.
— D’autant plus que, cette année, Elena y jouera un rôle de premier plan, elle a été choisie pour représenter Fell’s Church.
— Vous devez être fiers d’elle.
— Et comment ! Alors, on peut compter sur vous ?
— J’ai eu des nouvelles de Vickie, interrompit Elena en beurrant rageusement un bout de pain. La fille qui s’est fait agresser, ça vous dit quelque chose ?
Elle regardait Damon droit dans les yeux. Celui-ci laissa passer un silence avant de répondre :
— J’ai bien peur de ne pas la connaître.
— Mais si, je suis sûre que vous l’avez déjà croisée. Elle a à peu près ma taille, les yeux noirs et les cheveux châtains… Son état s’est beaucoup aggravé.
La pauvre ! s’apitoya tante Judith.
— Et les médecins n’y comprennent rien, poursuivit Elena sans quitter Damon des yeux. C’est comme si, à chaque nouvelle crise, elle revivait l’agression, en pire.
— L’invité feignit un intérêt poli.
— Servez-vous donc une nouvelle fois, suggéra la jeune fille en poussant le plat de farce vers lui.
— Non merci. En revanche, je reprendrais bien un peu de cette excellente sauce.
Il leva une cuillerée pleine d’un liquide rouge vif vers l’un des chandeliers.
— Cette couleur est si appétissante…
Comme tous les convives, Bonnie avait suivi du regard, le geste de Damon. Mais au lieu de rebaisser la tête, elle gardait les yeux fixés sur la flamme de la bougie. Lentement, les traits de son visage se figèrent. Cette expression n’était pas inconnue à Elena, qui sentant le danger, tenta désespérément d’attirer l’attention de son amie. En vain : Bonnie semblait fascinée par la lueur dansante du chandelier.
— … ensuite, les élèves de primaire présenteront un spectacle, expliquait tante Judith à Damon. Puis ce sera la lecture des poèmes. Elena, combien de Terminales y participent, cette année ?
— On sera seulement trois, répondit-elle en se tournant vers sa tante.
Soudain une voix étrange la fit sursauter.
— La mort…
Tante Judith poussa un cri, la fourchette de Robert s’immobilisa en l’air, et tous les yeux se braquèrent sur Bonnie.
— … va s’abattre sur cette maison, continua celle-ci, le visage blême.
Elle tourna lentement la tête vers son amie, la fixant d’un regard vide.
— Elle viendra te chercher, Elena… Elle est… Les mots s’étranglèrent dans sa gorge, et elle s’affaissa sur sa chaise.
Il y eut un moment de stupeur. Puis Robert bondit pour redresser la jeune fille, et tante Judith se mit à lui tapoter énergiquement les tempes avec une serviette humide. Damon observait la scène d’un air songeur.
— Elle n’est qu’évanouie, annonça Robert, rassuré. C’est sans doute une crise de spasmophilie.
Enfin, Bonnie battit faiblement des paupières, au grand soulagement d’Elena.
L’incident mit un terme au dîner, car Robert insista pour ramener immédiatement Bonnie chez elle. Et elle profita des allées et venues qui s’ensuivirent pour s’approcher de Damon.
— Va-t’en ! lui souffla-t-elle.
Il haussa les sourcils.
— Pardon ?
— Si tu ne pars pas immédiatement, je leur dis que c’est toi l’assassin !
— Tu ne crois pas qu’un invité mérite davantage de considération ? répliqua-t-il d’un air ironique.
L’air buté de son interlocutrice l’amusait visiblement.
— Merci pour ce délicieux repas, lança-t-il finalement à tante Judith, qui enveloppait Bonnie dans une couverture. J’espère pouvoir vous rendre l’invitation sans tarder. A très bientôt, murmura-t-il à Elena avant de s’en aller.
Accompagné de Matt, Robert emmena Bonnie jusqu’à sa voiture, où elle s’endormit aussitôt. Puis ils démarrèrent en trombe, tandis que tante Judith téléphonait à Mme McCullough :
— Moi non plus, je n’apprends pas ce qu’elles ont toutes en ce moment. D’abord Vickie maintenant Bonnie… et Elena n’a pas l’air dans son assiette…
Pendant ce temps, celle-ci faisait les cent pas dans le salon. Elle ne s’inquiétait pas outre mesure pour Bonnie : les autres fois, ces visions ne lui avaient laissé aucune séquelle. Et Damon, aurait mieux à faire que de s’en prendre à ses amies. En en effet, ses dernières paroles ne laissait aucun doute sur son emploi du temps immédiat : Elena craignaient fort de le voir revenir chercher sa « récompense »la nuit même.
Elle envisagea un instant d’appeler Stefan pour tout lui raconter. Seulement, le jeune homme n’avait retrouvé toutes ses forces. Il risquait gros face à Damon. Et pas question de passer la nuit chez. Bonnie !
Quand à Meredith, elle était partie… Il n’y avait donc personne pour l’aider… La perspective de se retrouver seule avec Damon, lui était insupportable.
Lorsqu’elle entendit sa tante raccrocher le combiné, elle se dirigea vers le téléphone, décidée à contacter Stefan. Soudain, elle retourna dans le salon qu’elle venait de quitter.
Son regard se promena sur les hautes fenêtres, puis sur la somptueuse cheminée surplomber de moulures. Elle songea que cette pièce, ainsi que sa chambre, juste au-dessus, avaient été les seules épargnés par l’incendie qui avait ravagés la maison, très longtemps auparavant. Alors, une lueur de génie lui traversa l’esprit, et elle se précipita, le cœur battant, vers sa tante qui gravissait l’escalier.
— Tante Judith, tu te souviens si Damon est allé dans le salon ?
— Comment ?
— Est-ce que Robert a d’abord emmené Damon dans le salon ? Réfléchis s’il te plait c’est très important !
— Euh… non je ne crois pas. Non non, ils sont allés directement dans la salle à manger ; Elena, pourquoi tiens-tu tant à…
Sa nièce lui sauta au cou.
— Merci, tante Judith, tu ne peux pas savoir comme ça me fait plaisir ! dit-elle en dévalant les marches.
— Eh bien, je me réjouis de voir enfin quelqu’un de bonne humeur. Surtout après ce drôle de dîner ! Pourtant, ce gentil garçon, Damon, a eu l’air de passer une bonne soirée. Tu sais, Elena, je crois que tu ne l’as pas laissé indifférent.
La jeune fille fit volte-face.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Tu devrais peut-être lui laisser sa chance, non ? Je ne vois pas pourquoi tu t’es conduite comme ça avec lui il est charmant. C’est tout à fait le genre de garçons que j’aimerais voir à la maison !
Elena la contempla avec stupeur, puis réprima un rire nerveux. Sa tante lui suggérait de laisser tomber Stefan pour Damon ! Elle l’imaginait plus recommandait ! Elle était complètement à côté de ses pompes !
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