Demain, je mettrais sa bague. Si Mme Grimesby, veut me la faire enlever sous prétexte, qu’elle est anachronique, je lui dirais qu’elle remonte à la Renaissance ! Elle va en faire une tête !
Je vais essayer de dormir maintenant. En espérant que je ne rêve pas…
Bonnie transie de froid, montait la garde devant la maison de Caroline. Il avait gelé la nuit précédente et les premiers rayons du soleil avaient du mal à percer à travers le ciel brumeux.
Elle battait la semelle pour se réchauffer lorsque la porte des Forbes s’ouvrit Bonnie plongea aussitôt derrière te buisson qui lui servait de cachette : la famille au grand complet se dirigeait vers la voiture. M. Forbes emportait un appareil photo ; sa femme, son sac à main et un pliant ; Daniel le frère cadet de Caroline, un autre siège. Quand à Caroline…
Bonnie jeta un nouveau coup d’œil, et étouffa une expression de triomphe. Vêtue d’un jean et d’un gros pull de laine, elle tenait à ta main un petit sac blanc fermé par un cordon. Il était assez grand pour contenir un journal.
Bonnie en oublia le froid. Elle attendit que la voiture disparaisse pour se hâter vers le lieu du rendez-vous à quelques rues de là.
— La voilà ! dit Elena.
Tante Judith se gara le long du trottoir pour permette à Bonnie de se glisser sur la banquette arrière, à côté de son amie.
— Elle a un sac blanc, lui murmura-t-elle à l’oreille tandis que la voiture démarrait.
Elena lui pressa la main, tout excitée.
— Génial ! Il faut qu’on vérifie si elle l’emporte chez Mme Grimesby. Dans le cas contraire, dis à Meredith de fouiller la voiture.
Bonnie lui fit un signe approbatif.
Quand elles arrivèrent devant la maison de l’habilleuse, elles aperçurent Caroline s’y engouffrer, le fameux sac à la main. Elles échangèrent un regard entendu : c’était à Elena de jouer !
— Je descends aussi, annonça Bonnie à tante Judith.
Elle attendrait dehors avec Meredith jusqu’à ce qu’Elena vienne leur dire où se trouvait le journal.
Mme Grimesby vint leur ouvrir. Elle ne jouait à l’habilleuse que pour la circonstance. En réalité, c’était la bibliothécaire de Fell’s Church et les deux amies ne furent pas étonnées de découvrir en entrant des montagnes de livres un peu partout. La maison abritait gaiement la petite collection d’objets historiques de la ville, dont plusieurs costumes d’époque sur lesquels elle veillait jalousement.
L’étage résonnait de voix d’enfants en train de s’habiller. Sans même avoir à le demander, Elena fut conduite dans la pièce où Caroline se préparait. Celle-ci, assise à la coiffeuse en sous-vêtements de dentelle, lui décocha un regard mauvais, pour prendre ensuite un air faussement détaché.
Mme Grimesby alla chercher un vêtement sur le lit.
— Tiens, Elena. Je t’ai réservé notre plus belle pièce. Elle est d’époque, même les rubans, et elle est en excellent état. Cette robe aurait appartenu à Honoria Fell.
— Elle est magnifique, reconnut Elena tandis que la bibliothécaire en secouait les délicats jupons blancs. C’est quoi comme tissu ?
— Mousseline et gaze de soie. Et comme il ne fait pas chaud, tu mettras ça par-dessus, ajouta son interlocutrice en désignant une veste de velours vieux rose.
Elena glissa un regard à Caroline en se changeant. Le sac était là, à ses pieds. Si seulement Mme Grimesby se décidait à quitter la pièce ! Elle pourrait mettre la main dessus…
Au lieu de cela, Elena fut conduite devant le miroir. La robe était d’une grande simplicité, sobrement ornée de rubans roses, l’un qui ceinturait la poitrine, les autres nouant les manches bouffantes au niveau des coudes.
— Elle a vraiment appartenu à Honoria Fell ? demanda Elena en songeant, avec un frisson, au gisant de marbre.
— Parfaitement : elle l’évoque dans son journal intime !
— Elle tenait un journal ? s’étonna la jeune fille.
— Oui Je le garde précieusement dans une vitrine du salon. Je te le montrerai ai sortant, si tu veux. Et maintenant, la veste… tiens, qu’est-ce que c’est !
Un bout de papier violet s’était échappé du vêtement Le cœur d’Elena fit un bond. Elle se précipita pour le ramasser. Le message ne comportait qu’une seule phrase. Elle se rappelait l’avoir écrite dans son journal le 4 septembre, le jour de la rentrée. Sauf qu’elle l’avait barrée. Mais sur le billet, elle était intacte et s’étalait en grandes lettres majuscules :
JE SENS QU’IL VA SE PASSER QUELQUE CHOSE D’HORRIBLE AUJOURD’HUI.
Elena eut beaucoup de mal à ne pas balancer le message au visage de Caroline. Ça aurait tout gâché. S’efforça de garder son calme, elle se contenta de froisser le papier et de le jeter négligemment dans la corbeille.
— Juste une saleté, dit-elle en se tournant vers la bibliothécaire.
Son ennemi lui lança un regard triomphant. « Tu feras moins la maline une fois que j’aurai récupéré mon journal, pensa Elena. Quand je l’aurai brûlé, toi et moi, on aura une petite conversation. »
— Je suis prêtes, déclara-t-elle. Moi aussi, dit Caroline d’un ton innocent.
Elena la toisa : sa robe vert pâle, ainsi que la large ceinture, était moins belle que la sienne.
— Parfait, conclut Mme Grimesby, Vous pouvez y aller ah, oui « Caroline, n’oublie pas ton réticule. »
— Pas de danger, répondit-elle avec un grand sourire en prenant le petit sac blanc.
Elle ne vit pas l’air sidéré de sa rivale, sur lequel Mme Grimesby se méprit :
— Il s’agit d’un réticule, l’ancêtre de notre sac à main, expliqua-t-elle ! Les femmes y mettaient leurs gants et leur éventail Caroline est passée le prendre en début de semaine pour rattacher quelques pertes décousues. Très serviable de sa part, n’est-ce pas ?
Elena marmonna une vague réponse. Elle devait immédiatement sortir de cette pièce ou, effectivement, quelque chose d’horrible allait se produire : elle allait piquer une crise de nerfs et mettre une baffe à Caroline…
— J’ai besoin de prendre l’air, lâcha-t-elle en s’enfuyant.
Bonnie et Meredith l’attendaient dans la voiture de cette dernière.
— Cette garce de Caroline a pris ses précautions, leur souffla-t-elle. Le sac fait partie de son costume. Elle va le trimballer toute la journée.
Bonnie et Meredith ouvrirent des yeux ronds, puis échangèrent un regard consterné.
— Mais… qu’est-ce qu’on va faire ? se lamenta Bonnie.
— J’en sais rien. On est mal.
— Il faut continuer à la surveiller, proposa Meredith sans grande conviction. Elle posera peut-être son sac à un moment ou à un autre…
Mais les trois amies n’avaient plus guère d’espoir. C’était fichu. Bonnie jeta un coup d’œil dans le rétroviseur.
— Voilà ton équipage.
Une calèche tirée par deux chevaux blancs s’avança dans la rue. Les roues étaient ornées de guirlandes en crépon et les sièges tapissés de fougères. Une banderole, sur le côté, portait cette inscription : « Voici l’esprit de Fell’s Church ».
— Surveillez-la bien, murmura Elena en montant dans la calèche. Et, dès qu’elle sera seule…
Malheureusement, Caroline ne se trouva pas un instant à l’écart tout au long de cette interminable matinée. Comment aurait-il pu en être autrement ? Toute la ville assistait à la cérémonie.
Le défilé fut un véritable calvaire pour Elena. Assise dans la calèche aux côtés du maire et de sa femme, et rongée par l’angoisse, elle fut bien obligée de sourire à la foule.
Cette peste de Caroline devait se trouver quelque part devant elle, entre la fanfare et les majorettes. Mais sur quel char ? Peut-être sur celui où paradaient les écoliers en costume ? De toute façon, elle s’était sûrement arrangée pour être bien en vue… Après, le défilé, tout le monde se dirigea vers la cafétéria du lycée où avait lieu le déjeuner. Coincée à une table entre le maire et sa femme, Elena observait à distance Caroline et Tyler. Celui-ci avait passé un bras autour des épaules de sa voisine.
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