Elle écarquillait les yeux comme si elle était en proie à une affreuse vision.
— Elena, elle est près du pont s’affola-t-elle en retrouvant sa voix habituelle. Stefan, elle est en danger. Il faut y aller, vite !
— Qu’est-ce que tu racontes ? s’étonna celui-ci.
— C’est vrai ! Elle est en train de se noyer ! Vite !
Des étoiles dansaient devant ses yeux. Ce n’était pourtant pas le moment de tomber dans les pommes.
Stefan et Meredith échangèrent un coup d’œil indécis. Soudain, Stefan força le passage, et ils s’élancèrent tous les trois vers le parking. Tyler se jeta aussitôt à leur poursuite. Mais dehors, la violence de la tempête le découragea.
— Qu’est-ce qu’elle peut bien faire dehors avec un temps pareil ? Cria Stefan en s’engouffrant dans la voiture de Meredith.
— Elle était furax, répondit celle-ci en reprenant son souffle. Matt nous a dit qu’elle avait emprunté sa voiture.
Bonnie eut à peine le temps de monter à l’arrière que Meredith faisait demi-tour sur les chapeaux de roue.
— Elle lui a dit qu’elle allait à la pension, reprit-elle en faisant face au vent.
— Non, elle est au pont ! intervint Bonnie. Plus vite, Meredith ! On va arriver trop tard…
Son visage ruisselant de larmes convainquit Meredith. Elle appuya à fond sur le champignon. La voiture, balayée par d’énormes rafales, dérapait sur la chaussée lassante. Un vrai cauchemar. Et Bonnie qui n’arrêtait pas de sangloter, les mains crispées sur le dossier du siège avant.
— Attention, à l’arbre ! hurla Stefan.
Meredith écrasa la pédale de frein. La voiture finit en crabe et s’arrêta à quelques mètres d’un énorme tronc couché en travers de la route. Ils sortiraient de la voiture et subirent aussitôt l’assaut des éléments déchaînés.
— Impossible de le déplacer, il est trop gros ! déclara Stefan. Il faut continuer à pied !
Sans blague ! songea Bonnie en escaladant tant bien que mal les branchages. Mais de l’autre côté, les rafales glacées eurent tôt fait d’engourdir son cerveau. En quelques minutes, Meredith et elle furent transformées en glaçons. Et cette route qui n’en finissait pas… Elles tentèrent d’accélérer leur marche en se soutenant, pensant pouvoir lutter plus facilement contre les coups de boutoir du vent Mais c’est à peine si elles y voyaient, et sans Stefan pour guide, elles se seraient dirigées droit dans la rivière. Bonnie était sur le point de s’effondrer de fatigue quand Stefan poussa un cri.
Meredith l’enserra davantage et elles se mirent à courir tant bien que mal. Quand elles arrivèrent enfin au pont, elles s’arrêtèrent net.
— Oh mon Dieu ! hurla Bonnie.
Un spectacle apocalyptique se jouait devant eux. Le pont Wickery n’était plus qu’un tas de décombres. Le garde-fou était arraché d’un côté, et le plancher défoncé. Au-dessous, des poutres brisées et des bouts de bois étaient ballottés en tous sens par les eaux sombres.
Et au milieu des débris, il y avait la vieille Ford de Matt. Seuls les phares de l’eau.
— N’y vas pas ! Non ! Arrête hurla Meredith à Stefan.
Il n’eut pas un coup d’œil en arrière et plongea dans les tourbillons de la rivière. Les flots se refermèrent sur lui.
Bonnie vécut l’heure qui suivit comme dans un songe, le choc et la fatigue l’avaient assommée. Elle se rappelait avoir attendu désespérément, dans la tourmente de la tempête, que Stefan émerge de l’eau. Quand, au bout d’une éternité, sa silhouette courbée était enfin apparue sur la berge, elle avait à peine réagi. En apercevant le corps sans vie qu’il tenait dans ses bras, elles n’avaient ressenti aucune horreur, seulement un immense chagrin.
L’expression de Stefan en train d’essayer de ranimer Elena avait été effrayante. Mais Bonnie avait eu du mal à reconnaître son amie tant qui ressemblait à une poupée de cire. Il lui avait paru impossible que cette forme inerte puisse vivre un jour. C’était d’ailleurs stupide de se démener sur elle comme sur une noyée. On n’avait jamais vu de poupées se mettre à respirer, Meredith avait tenté de l’arracher des bras de Stefan en hurlant.
Bonnie l’avait entendue parler de séquelles irréversibles sans bien comprendre. Elle avait trouvé bizarre qu’ils puissent à la fois se disputer et pleurer toutes les larmes de leur corps.
Puis Stefan s’était calmé. Il était resté assis sur la route, sourd au cri de Meredith, serrant contre lui le cadavre cireux d’Elena. Son air pétrifié était encore plus terrifiant que ses pleurs.
Bonnie fut soudain ramenée à la vie par une indicible terreur. Son instinct la prévenait d’un danger imminent. Stefan avait lui aussi perçu la menace. Tous ses sens étaient aux aguets.
— Qu’est-ce qui t’arrive ? avait hurlé Meredith en le voyant se raidir.
— Vite ! Partez ! avait-il répondu sans lâcher son fardeau. Mais on ne peut pas te laisser… protesta Meredith.
— Il faut partir, je te dis Bonnie, emmène-la, vite !
C’était la première fois qu’on avait demandé à Bonnie de prendre la situation en mains. Elle avait attrapé Meredith par le bras. Stefan avait raison. Elles devaient fuir sur le champ ou elles allaient y passer à leur tour. Bonnie avait entraîné son amie en dépit de ses protestations.
— Je vais l’allonger sous les saules ! avait lancé Stefan.
Bonnie n’avait d’abord pas compris pourquoi il avait dit ça. Plus tard, lorsqu’elle reprit ses esprits, la réponse lui apparut. Il leur avait indiqué le lieu ou il la laisserai tout simplement parce qu’il ne serait plus là pour les aider à la retrouver.
Cinq siècles auparavant, dans les ruelles sordides de Florence, Stefan, affamé et épuisé, avait fait un serment. Celui de ne jamais se servir de ses pouvoirs pour faire du mal aux créatures plus faibles que lui.
Il allait rompre sa promesse. Il embrassa le front glacé d’Elena avant de l’étendre. Il reviendrait plus tard, s’il le pouvait. La force maléfique avait dédaigné Bonnie et Meredith comme prévu. C’était lui qu’elle voulait. Elle était tapie dans l’ombre, à guetter ses mouvements, et il ne la ferait pas attendre très longtemps.
Il bondit sur la route balayée par le vent glacial en s’efforçant de chasser de son esprit l’image de la morte. Conscient qu’il devait d’abord retrouver ses forces avant de se battre, il se concentra pour localiser la proie qu’il convoitait.
Il ne mit que quelques minutes pour retrouver Tyler et ses copains, qui n’avaient pas bougé de la baraque de chantier. Avant qu’ils aient eu le temps de comprendre ce qui leur arrivait, la fenêtre vola en éclats.
Stefan était bien décidé à tuer. Il fondit sur Tyler et lui planta ses canines dans la gorge. Mais, dérangé par un des gros bras, il n’eut pas le temps de le vider de son sang. Stefan plaqua sa nouvelle victime au sol, refermant ses mâchoires sur son cou. Le goût ferreux du sang chaud le revigora en se diffusant en lui comme de la lave en fusion. Il lui en fallait encore. Il était avide de vie, et de pouvoir. Son festin avait décuplé ses forces : il assomma sans peine tous les autres avant de pomper leur précieux nectar jusqu’à la dernière goutte.
Il s’occupait de sa dernière victime, la bouche dégoulinante de sang, quand il aperçut Caroline, recroquevillée dans un coin. Son air hautain avait totalement disparu. Elle avait les yeux exorbités d’un cheval terrorisé et bafouillait des supplications inintelligibles.
Lorsque Stefan la souleva, elle poussa un gémissement d’effroi. Il lui attrapa les cheveux sans ménagement pour découvrir sa gorge. À l’instant où il dévoilait ses canines acérées comme des dagues, elle hurla de terreur et perdit connaissance.
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