Alexis Tolstoï - Le Rendez-vous dans trois cents ans

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Le Rendez-vous dans trois cents ans: краткое содержание, описание и аннотация

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Par une belle nuit d’été nous étions réunis au jardin de notre grand-mère, les uns près d’une table éclairée par une lampe, les autres assis sur les marches de la terrasse. De temps en temps, la brise nous apportait des bouffées d’un air embaumé, ou bien de lointaines vibrations d’un chant rustique, et puis tout redevenait silencieux, et l’on n’entendait plus que le frétillement des phalènes, autour du globe dépoli de la lampe.

— Eh bien ! mes enfants, nous dit notre grand-mère, vous m’avez souvent demandé une vieille histoire de revenants... Si le cœur vous en dit, venez vous asseoir autour de moi, je vous raconterai un événement de ma jeunesse qui vous donnera de bons frissons quand vous vous trouverez tout seuls, couchés dans vos lits.

Aussi bien cette nuit si calme me rappelle le beau temps passé, car, vous allez vous moquer de moi, mais depuis bien des années il me semble que la nature est moins belle qu’autrefois. Je ne vois plus de ces bonnes journées si chaudes, si radieuses, de ces fleurs si fraîches, ni de ces fruits si savoureux; et tenez, à propos de fruits, je n’oublierai jamais un panier de pêches que m’envoya un jour le marquis d’Urfé, un jeune fou qui me faisait la cour parce qu’il avait trouvé dans ma figure je ne sais quel trait caractéristique qui lui avait tourné la tête.

A vrai dire, je n’étais pas trop mal dans ce temps-là. et quiconque verrait aujourd’hui mes rides et mes cheveux blancs, ne se douterait guère que le roi Louis XV m’avait surnommée la rose des Ardennes, surnom que j’avais bien mérité, en enfonçant bon nombre d’épines dans le cœur de Sa Majesté.

Pour ce qui était du marquis d’Urfé, je puis vous assurer, mes enfants, que s’il l’avait voulu, je n’aurais pas maintenant le plaisir d’être votre grand-mère, ou du moins que vous porteriez un autre nom à l’heure qu’il est. Mais les hommes ne comprennent rien à nos coquetteries. Ce sont ou des fureurs brutales qui nous indignent, ou bien ils se découragent comme des enfants et s’enfuient à toutes jambes chez quelque hospodar de Moldavie, comme l’a fait cet écervelé marquis que j’ai revu beaucoup plus tard et qui, par parenthèse, n’était pas devenu plus sage.

Pour en revenir à son panier de pêches, je vous dirai que je le reçus quelque temps avant son départ, le jour de la Sainte-Ursule, qui est ma fête et qui tombe, comme vous savez, au beau milieu d’octobre, époque où il est presque impossible d’avoir des pêches. Cette galanterie était le résultat d’un pari de d’Urfé avec votre grand-père qui me courtisait déjà et qui fut si déconcerté du succès de son rival, qu’ il en eut des vapeurs pendant trois jours.

Ce d’Urfé avait bien le plus grand air que j’aie vu de ma vie, si j’en excepte le roi, qui, sans être jeune, passait à juste titre pour le plus beau gentilhomme de France. Mais à tous ses avantages extérieurs, le marquis enjoignait un autre, dont l’attrait, je puis l’avouer à présent, n’était pas le moins puissant auprès de nous autres jeunes femmes. C’était le plus grand mauvais sujet de la terre, et je me suis souvent demandé pourquoi ces gens-là nous attirent malgré nous. Tout ce que j’ai pu trouver, c’est que plus un caractère est inconstant, plus nous avons de plaisir à le fixer. On se pique d’amour-propre de part et d’autre et c’est à qui jouera au plus fin. Le grand art dans ce jeu-là, mes enfants, c’est de savoir s’arrêter à temps et de ne pas exaspérer son partenaire. C ’est surtout pour vous. Hélène, que je fais cette observation. Si vous aimez quelqu’un, mon enfant, ne faites pas avec lui comme j’ai fait avec d’Urfé, car Dieu sait si j’ai pleuré son départ et si je me suis reproché ma conduite. Je dis cela sans préjudice à mon attachement pour votre grand-père, qui m’épousa six mois après et qui certainement était l’homme le plus digne et le plus loyal qu’on puisse voir.

J’étais à celle époque veuve de mon premier mari, M. de Gramont, que je n’ ai presque pas connu et que je n’avais épousé que pour obéir à mon père, la seule personne que je craignisse au monde. Vous pouvez vous figurer que le temps de mon veuvage ne me parut guère long ; j’étais jeune, jolie et parfaitement libre de mes actions.

— Aussi je mis à profit cette liberté et aussitôt mon deuil fini, je me lançai, tête baissée, dans les bals et les réunions, qui, soit dit en passant, étaient bien autrement gais alors qu’ils ne le sont aujourd’hui.

Ce fut à une de ces réunions que le marquis d’Urfé se fit présenter à moi par le commandeur de Bélièvre, un vieil ami de mon père, auquel celui-ci, qui résidait toujours dans son château des Ardennes, m’avait recommandée comme à un parent.

— Cela me valait des exhortations sans fin de la part du digne commandeur, mais, tout en le ménageant et le cajolant de mon mieux, je ne faisais pas grand cas de ses remontrances, comme vous allez bientôt en juger. J’avais déjà beaucoup entendu parler de M. d’Urfé et j’étais fort curieuse de voir si je le trouverais aussi irrésistible qu’on me l’avait dépeint.

Quand il s’approcha de moi avec une aisance charmante, je le regardai si fixement, qu’il se troubla et ne put achever la phrase qu’il avait commencée.

— Madame, me dit-il plus tard, vous avez au front, un peu au-dessus des sourcils, un trait que je ne saurais définir, mais qui donne à votre regard une puissance étrange...

— Monsieur, lui répondis-je, on prétend que je ressemble beaucoup au portrait de ma trisaïeule, laquelle, d’après une légende de mon pays, aurait, rien que par son regard, fait choir dans les fossés un chevalier présomptueux qui s’étais mis en tête de l’enlever et qui déjà avait escaladé les murs de son château.

— Madame, dit le marquis en s’inclinant galamment, puisque les traits de votre trisaïeule sont aussi les vôtres, je n’ai pas de peine à croire à la légende ; seulement je vous ferai observer qu’à la place du chevalier, je ne me serais pas tenu pour battu et qu’aussitôt hors des fossés, j’aurais recommencé l’escalade.

— En vérité, monsieur ?

— Très certainement, madame.

— Un échec ne vous décourage pas ?

— On peut m’intimider une fois — me décourager jamais.

— Nous verrons, monsieur !

— Nous verrons, madame !

Depuis ce jour il y eut guerre acharnée entre nous ; fausse indifférence de ma part, galanterie persévérante de celle du marquis. Ce manège finit par attirer sur nous l’attention de tout le monde et le commandeur de Bélièvre me gronda sérieusement

C’était un singulier personnage que le commandeur de Bélièvre et il faut que je vous en dise deux mots. Figurez-vous un homme grand, sec et grave, très cérémonieux, très phraseur et qui ne souriait jamais. Dans sa jeunesse il avait montré à la guerre un courage qui allait jusqu’à la folie, mais il n’avait jamais connu l’amour et il était très timide avec les femmes. Quand je lui faisais quelque bonne cajolerie (ce qui arrivait chaque jour de poste, attendu qu’il envoyait régulièrement à mon père des comptes rendus de ma conduite, comme si j’étais encore une petite fille), c’est à peine s’il déridait son front, mais alors il faisait une si drôle de grimace que je lui riais au nez au risque de nous brouiller. Pourtant nous restions les meilleurs amis du monde, sauf à nous prendre aux cheveux dès qu’il s’agissait du marquis.

— Madame la duchesse, je suis désolé que mon devoir m’oblige de vous faire une remarque...

— Faites toujours, mon cher commandeur !

— Vous avez encore reçu hier le marquis d’Urfé...

— C’est vrai, mon cher commandeur, et avant-hier aussi, je le reçois encore ce soir, ainsi que demain et après-demain.

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