Elle allait se trouver face à face avec ce monde et, non pas en tant que chercheuse impassible dont le rôle est de regarder, d’étudier et de fournir l’ensemble des matériaux à sa planète natale. On l’avait choisie, non pas à cause de ses résultats scientifiques peu importants, mais en tant qu’ambassadrice de la Terre, en tant que femme de l’ERM, susceptible grâce à la profondeur de ses sentiments, à son tact et à sa tendresse, de rendre aux descendants de sa planète natale, la joie de la vie lumineuse du monde communiste.
Faï Rodis d’un geste détaché éteignit le diorama.
Emporter avec soi une partie du rêve du maître, qu’était-ce sinon un certain écho au trouble antérieur ressenti lors de la découverte de l’EMD ? Maintenant, en ce moment précis, où l’astronef filait à toute allure vers un destin inconnu, elle considérait la jeune fille en train de voler comme une amie. Celle-ci était sur le qui-vive, sa main fine levée en guise de signal avant la descente dans le gouffre. Rodis également allait se trouver bientôt confrontée au monde de Tormans, si mortellement dangereux pour tout étranger, et ses compagnons attendraient qu’elle fasse le signal décisif.
Faï Rodis déplaça une manette sous l’oreiller du divan et une partie de la cloison de la cabine se transforma en miroir. Pendant une minute, elle étudia son visage, cherchant une ressemblance avec la tension tragique du visage de la jeune fille. Cependant, même si les émotions étaient très proches, le visage régulier et ferme de la femme mûre de l’EMT, dont l’ossature solide était modelée de façon idéale et perçait sous les muscles apparents et la peau irréprochable, était très différent de celui de la jeune fille de l’EMD à l’expression semi-enfantine.
Le pressentiment de l’épreuve, l’angoisse quant au succès de l’expédition avaient accru le sérieux des yeux verts de Faï Rodis et accusaient plus fortement la fermeté de sa bouche.
Faï Rodis écarquilla les yeux et leva la main – du geste de la jeune fille volant sur la plate-forme – mais ce que le miroir lui renvoya était drôle et pathétique. Avec un bref sourire, Rodis rangea le miroir, ôta sa robe et s’allongea sur le divan, laissant son corps se détendre, fixant du regard le globe bleuté brillant légèrement au-dessus de sa tête. Elle resta immobile trois heures environ, tant qu’un point jaune continua de brûler et que se poursuivit un faible bruit dans le système de cercles concentriques du plafond. Faï Rodis exécuta quelques mouvements de gymnastique. Quelques minutes s’écoulèrent encore, puis, apparut devant le miroir une autre femme d’aspect plus sévère et plus austère, moulée dans un vêtement souple d’astronaute, à la coiffure courte et ajustée. Un lourd bracelet émetteur de signaux était à sa main gauche. Elle sortit de sa cabine.
Les membres de l’équipage étaient déjà réunis dans le local circulaire situé dans l’axe central du vaisseau, sous la sphéroïde de pilotage et les calculatrices. Les cadrans des appareils de double pilotage s’animèrent et, aussitôt, Menta Kor et Div Simbel se glissèrent dans la salle par une trappe du plafond. La corde en si bémol des PLE [10] PLE : Protection des Liaisons Électroniques. (n.d.t.).
chantonnait doucement, indiquant que le travail des surveillants des liaisons électroniques était normal. L’astronef n’exigeait plus d’attention et poursuivait la route donnée en direction de la zone galactique.
Le silence expectatif imposa à Faï Rodis d’aller directement au plus difficile : séparer l’équipage en deux groupes, ceux qui allaient atterrir et ceux qui resteraient aux commandes de l’appareil. Elle commença par projeter les vues prises par l’expédition de Céphée et transmises par l’Anneau. Par la voie habituelle, elles n’auraient dû atteindre la Terre que dans deux mille cinq cents ans, mais l’ARD quittant la planète dans la région de la constellation du Dragon était allé dans notre partie de la Galaxie et avait envoyé ses informations dans le 26e segment du Grand Anneau.
L’expédition de Céphée n’avait survolé la planète Tormans que deux fois et, n’ayant pas reçu l’autorisation d’atterrir, s’était éloignée, après avoir filmé la planète et ses habitants en interceptant des émissions de télévision.
Le soleil rouge de Tormans – une étoile ordinaire pour l’observateur terrestre – se trouvait dans la Constellation du Lynx, région sombre et pauvre en étoiles, des hauteurs élevées de la Galaxie.
Il n’était venu à l’esprit de personne que des habitants de la Terre aient pu s’installer dans cette étendue profonde. Mais les images transmises par l’Anneau ne laissaient aucun doute il s’agissait de gens tout à fait semblables aux Terriens.
Il était difficile de juger de la couleur de leur peau ; apparemment, elle ne se différenciait pas de celle des Terriens les plus bruns. Leurs yeux étroits et allongés semblaient d’un noir impénétrable, les sourcils obliques tournés vers la racine du nez ajoutaient une expression légèrement tragique à leurs visages. Les anthropologues retrouvèrent dans le profil des habitants de Tormans des traits mongoloïdes aplatis, mais la petite taille et la constitution fragile et la plupart du temps anormale faisaient aussi penser aux gens de la fin de l’EMD et du début de l’ERM.
La surface de la planète, filmée au cours d’une éclaircie de la couverture nuageuse ne ressemblait pas à la Terre. On pouvait plutôt la comparer à la planète du Soleil Vert. L’indice de la sonde lumineuse indiqua au regard exercé des planétographes que les mers de Tormans étaient peu profondes par rapport aux océans de la Terre. L’atmosphère de Tormans avait, apparemment, la même densité que celle de la Terre. Un soleil pourpre éclairait la planète qui accomplissait ses révolutions « couchée » son axe coïncidait avec la ligne de l’orbite et une convection uniforme se diffusait sur sa surface.
— Si la végétation et, par conséquent, la composition de l’atmosphère sont, ici, semblables aux nôtres, s’il n’y a ici aucun organisme porteur de maladie particulière, alors, on peut vivre aisément sur cette planète, dit Tor Lik en brisant le silence. Ici, on doit ressentir les brusques changements de climat, la surabondance des radiations, les tremblements de terre, les ouragans et autres cataclysmes naturels dont nous avons depuis longtemps atténué les effets chez nous.
— Il semble que vous ayez raison, confirma Grif Rift. Mais pourquoi alors Tormans ? Se peut-il que l’état de la planète ne soit pas si mauvais et que le maître de Faï Rodis ait ressuscité un mythe du passé ? On dit qu’il a donné un nom trop audacieux à la planète se basant seulement sur des données préliminaires. Les profils démographiques orbitaux de l’expédition de Céphée ont indiqué un chiffre de population de l’ordre de quinze milliards. La circulation de la masse aqueuse et le caractère du relief témoignent de l’impossibilité pour un nombre aussi élevé de personnes de prospérer biologiquement. On peut éviter la famine si on fait sur la planète – ou si on a emprunté à l’Anneau – les découvertes scientifiques permettant la production de nourriture synthétique en négligeant les organismes intermédiaires. Ils ne communiquent pas avec le Grand Anneau, mais le refus d’accueillir un astronef étranger sur leur planète prouve l’existence d’une puissance fermée et centralisée qui ne souhaite pas l’apparition d’hommes venus du Cosmos. Par conséquent, cette puissance a peur des connaissances élevées des arrivants qui soulignent le bas niveau de son développement et ne se soucie pas de l’organisation socio-scientifique de la société qui devrait être la sienne. Cela signifie qu’une structure oligarchique empêche quiconque d’utiliser des émetteurs puissants, même dans des cas exceptionnels.
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