Ivan Efrémov
L’Heure du Taureau
Collection Outrepart
dirigée par Pierre Versins
Série Slavica
dirigée par Jacques Catteau,
Georges Nivat et Wladimir Dimitrijevic
Traduit du russe par Jacqueline Lahana
L’ÂGE D’HOMME
© Copyright 1979 pour la traduction française
by Editions L’Âge d’Homme, Lausanne.
Après « La Nébuleuse d’Andromède » et « Le Cœur du Serpent », je ne m’attendais pas du tout à consacrer une troisième œuvre au futur éloigné. Je voulais écrire un roman historique et un livre de vulgarisation sur la paléontologie, et pourtant, j’ai passé plus de trois années à écrire un roman de science-fiction qui, bien qu’il ne soit pas la suite directe des deux précédents, traite aussi des voies de développement de la société communiste.
« L’Heure du Taureau » est né en réponse à une tendance qui se répand dans notre science-fiction (sans même parler de la science-fiction étrangère) de considérer l’avenir sous les couleurs sombres de catastrophes futures, d’échecs et de surprises – désagréables pour la plupart. Des œuvres de ce genre, qu’on appelle œuvres d’avertissement ou anti-utopies, pourraient être nécessaires, si, à côté de ces images de malheur, on montrait comment les éviter ou, tout au moins, comment sortir des pièges menaçants que le futur prépare pour l’humanité.
On peut considérer comme appartenant à l’autre pôle de l’anti-utopie un nombre assez grand d’œuvres de science-fiction – cela va de brefs récits à des romans assez gros – dans lesquels le bonheur communiste futur est atteint de lui-même, comme allant de soi et où les gens de l’époque du communisme à l’échelle planétaire souffrent de carences à peine moins pénibles que celles dont nous – leurs ancêtres imparfaits – souffrons, et où des héros du futur, déséquilibrés, grossiers, bavards et à l’ironie de mauvais goût, ressemblent beaucoup aux bons à rien ignorants et mal élevés de notre temps.
Les deux pôles de représentation du futur se rejoignent dans cette ignorance commune de l’étude dialectique marxiste des processus historiques et dans leur manque de foi en l’homme.
J’ai voulu, dans mon roman, répondre à de telles œuvres et suivre, en même temps, les trois préceptes les plus importants de Lénine qui ont échappé – chose surprenante – à ceux qui créent les modèles de la société future sur la Terre.
La complexité inimaginable du monde et de la matière, que nous commençons à peine à appréhender dans la seconde moitié du XXe siècle et dont Lénine nous a averti il y a trois quarts de siècle, exigent un travail gigantesque pour progresser réellement dans la connaissance.
Le passage à une société communiste sans classe et la réalisation complète du rêve des fondateurs du marxisme de sauter « d’un bond du royaume de l’impossible au royaume de la liberté » ne sont pas simples et exigent que les gens aient pour chaque action une discipline très grande et un sens élevé des responsabilités. Finalement, il est plus que jamais temps, maintenant, de se souvenir de la recommandation que fit V.I. Lénine à l’écrivain de science-fiction A.A. Bogdanov : montrer le pillage des ressources naturelles et de la nature de notre planète par l’économie capitaliste.
Dans « L’Heure du Taureau », j’ai représenté une planète sur laquelle s’est installé un groupe de Terriens. Ils recommencent la lutte des pionniers de l’Amérique de l’Ouest, mais sur une base technique supérieure. L’incroyable rapidité de l’accroissement de la population et l’économie capitaliste ont conduit à l’épuisement de la planète et à une mortalité massive causée par la faim et la maladie. L’équipe politique de la planète pillée doit naturellement être oligarchique. Pour construire un modèle semblable de gouvernement, j’ai prolongé dans le futur les tendances du monopole fasciste de gangsters qui se rencontre, actuellement, en Amérique et dans quelques autres pays, désireux de conserver « la liberté » de l’entreprise privée sur une base profondément nationaliste.
On comprendra que le but de mon roman n’est ni la science, ni la technique du futur lointain, ni les civilisations étranges des mondes infiniment éloignés. Représenter les gens de la Terre future, élevés au sein d’une société communiste existant depuis des siècles, montrer le contraste entre eux et ceux qui leur ressemblent, mais qui ont été élevés dans l’oppression et la tyrannie du régime oligarchique d’une autre planète tel est le but essentiel de mon livre, tel en est son contenu.
S’il pouvait – ne serait-ce que dans une faible mesure – inciter, et par là-même aider, ceux qui construisent le futur – nos jeunes – à aller de l’avant pour atteindre la perfection des communistes de demain, l’élévation spirituelle de l’humanité, alors, mon travail n’aura pas été vain.
Août 1968.
« DI QIU FA XIAN ZAI NIU SHI
La Terre naquit à l’heure du taureau (c’est-à-dire à l’heure du démon, à deux heures du matin). »
(Vieux dictionnaire sino-russe de l’évêque Innocent. Pékin, 1909).
ÉQUIPAGE DE L’ASTRONEF « LA FLAMME SOMBRE ».
Chef de l’expédition, historienne : FAÏ RODIS.
Commandant de l’astronef, ingénieur des installations d’annihilation : GRIF RIFT.
Premier Astronavigateur : VIR NORINE.
Deuxième Astronavigateur : MENTA KOR.
Ingénieur-pilote : DIV SIMBEL.
Ingénieur de protection blindée : GHEN ATAL.
Ingénieur de protection biologique : NEÏA HOLLY.
Ingénieur calculateur : SOL SAÏN.
Ingénieur des communications et visualisations : OLLA DEZ.
Médecin de l’expédition : EVISA TANET.
Biologiste : TIVISSA HENAKO.
Socio-linguiste : TCHEDI DAAN.
Astrophysicien et planétologue : TOR LIK.
PLANÈTE TORMANS
Président du Conseil des Quatre, souverain de la planète : Tchoïo TCHAGASS.
Ses adjoints : GHEN SHI, ZET OUG, KA LOUF.
Épouse de Tchoïo Tchagass : IANTRE IAHAH.
Maîtresse de Tchagass : ER VO-BIA.
Ingénieur de l’information : HONTEEL TOLLO FRAEL (TAEL).
Chef des « Violets » : IAN GAO-IOAR (IANGAR).
Jeune fille de Tormans : SIOU AN-TE (SIOU-TE).
Chef des « Cvic » : GZER BOU-IAM.
La dernière année d’enseignement commençait à l’école du troisième cycle. À l’issue de cette année, les élèves devaient, sous la direction de mentors déjà choisis, se préparer à accomplir les exploits d’Hercule [1] Sigles et expressions se trouvant déjà dans « La Nébuleuse d’Andromède » (n.d.a).
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Afin de s’entraîner à agir seuls, les jeunes gens suivaient avec un intérêt particulier le cours consacré à l’histoire de l’humanité sur la Terre. Ils attachaient beaucoup d’importance à l’étude des erreurs idéologiques et de la direction erronée de l’organisation sociale lors du développement de la société, à l’époque où la science permit de diriger le destin des peuples et des pays d’abord sur une petite échelle, puis dans sa totalité. L’histoire des gens de la Terre était comparée à celle d’une multitude d’autres civilisations appartenant aux mondes éloignés du Grand Anneau.
Les croisées bleues aux vitres opalescentes étaient ouvertes, et laissaient à peine entendre le clapotis des vagues et le bruissement du vent dans le feuillage – éternelle musique de la nature en harmonie avec la réflexion tranquille. Silence de la classe, regards clairs et pensifs… Le maître venait juste de terminer son cours.
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