En regardant autour de lui, Nick fronça les sourcils. Pour arriver au dôme, il n’y avait pas d’autre moyen que de traverser cette poussière, et elle pouvait être plus profonde qu’elle ne le paraissait. Le cratère était ancien ; il avait l’air à peine plus jeune que la planète elle-même. Mais il était sillonné de fissures moins vieilles. Quelques rebords étaient presque aigus. L’air et la poussière n’étaient pas assez denses pour que l’érosion soit rapide. La marche serait difficile.
Il commença sa promenade avec prudence. La poussière dissimulait des crevasses.
Un petit soleil ardent était suspendu dans un ciel violet foncé au-dessus de la bordure du cratère.
De l’autre côté du dôme, un étroit sentier de poussière fondue au laser le reliait au mur en anneau. Il avait dû être tracé par le com-laser de la base. Les canots étaient là, amarrés le long du sentier. Nick ne s’arrêta pas pour les examiner.
La matière du dôme avait été fendue en des douzaines d’endroits. À l’intérieur, Nick trouva douze corps desséchés. Un siècle plus tôt, les Martiens avaient assassiné le personnel de la base. Et ils avaient tué Muller de la même manière quand il avait regonflé le dôme.
Nick se mit à fouiller les petits bâtiments de la base. Il dut parfois ramper sous les plis transparents de la coupole. En tout cas il ne rencontra aucun Intrus. Depuis le séjour forcé de Muller, rien ne semblait avoir été touché.
« Chou blanc, annonça-t-il à Luke. Et maintenant ?
— Vous serez obligé de me porter sur votre dos jusqu’à ce que nous puissions trouver un canot à sable. »
La poussière s’était posée sur les canots. Ils attendaient depuis douze ans une autre vague d’explorateurs ; mais les explorateurs ne s’intéressaient plus à la planète et étaient rentrés chez eux.
On aurait dit des fantômes. Un pharaon d’Égypte pourrait trouver de ces fantômes qui l’attendaient dans l’autre monde : des rangées de serviteurs muets et fidèles, morts avant lui, et l’attendant, l’attendant…
« Vus d’ici, ils paraissent en bon état, dit Luke en s’installant plus confortablement sur les épaules de Nick. Nous sommes en veine, Sinbad.
— Ne comptez pas encore votre argent. » Nick partit à travers le bassin de poussière en direction du dôme. Luke ne pesait pas lourd sur ses épaules, et son propre corps, ici, était léger ; mais leur poids était mal réparti, trop lourd en haut. « Si je commence à tomber, j’essaierai de tomber de côté. Cette poussière ne nous fera pas de mal.
— Ne tombez pas.
— La flotte des Nations Unies viendra probablement ici elle aussi. Afin de récupérer les canots.
— Elle est à je ne sais combien de jours derrière nous. Avançons.
— Le sentier est glissant. Tout recouvert de poussière. »
Les canots, au nombre de trois, étaient alignés le long du côté ouest. Ils avaient chacun quatre sièges et deux hélices à l’arrière, sous la surface du sable, encagées pour ne pas être endommagées par des rochers cachés. Les canots étaient si plats que la moindre vaguelette en mer les aurait coulés, mais dans la poussière épaisse ils pouvaient naviguer à hauteur suffisante.
Nick, sans grande douceur, déposa son fardeau sur l’un des sièges. « Voyez s’il est en état de marche, Luke. Moi, je vais chercher du carburant dans le dôme.
— De l’hydrazine, avec de l’air martien comprimé comme comburant.
— Je prendrai n’importe quoi, du moment que ce sera étiqueté “Fuel“. »
Luke réussit à faire démarrer le compresseur, mais le moteur refusa de tourner. Luke pensa que les réservoirs avaient sans doute été vidés et il coupa tout. Il trouva un dôme dégonflé à l’arrière. Après s’être assuré qu’il fonctionnait à la main, il le mit en place et le fixa au canot, se maintenant en place avec une ceinture de sécurité pour avoir de la force. Ses longs bras et ses mains puissantes lui avaient toujours permis de remporter des matches de lutte. Les bords de la bulle ne seraient peut-être pas très étanches, mais tant pis. Il découvrit le panneau de visite qui cachait un convertisseur d’air pour transformer les bioxydes d’azote de l’extérieur en azote et oxygène respirables.
Nick revint en portant sur l’épaule un réservoir vert. Il fit le plein à l’aide d’un tube d’injection. Luke essaya de nouveau le starter qui, cette fois, marcha. Le canot tenta de décoller sans Nick. Luke trouva le point mort, puis la marche arrière. Nick attendit, tandis qu’il roulait.
« Comment est-ce que je passe à travers la bulle ?
— Je ne pense pas que vous puissiez. » Luke dégonfla la bulle, défit un côté pour Nick, puis le refixa quand il fut installé. La bulle commença à se remplir, lentement. « Il vaut mieux garder nos scaphandres, dit Luke. Nous ne pourrons peut-être pas respirer là-dedans avant une heure.
— Alors, dégonflez-la. Il faut que nous allions prendre des provisions dans l’astronef. »
Deux heures s’écoulèrent avant qu’ils pussent relever la bulle et se mettre en route vers la porte placée dans l’anneau mural.
Les sombres escarpements de grès qui encadraient l’ouverture étaient à arêtes vives très nettes ; de toute évidence, on les avait fait sauter à la dynamite, et la porte était aussi artificielle que le sentier vitrifié qui menait de la coupole au mur Nick s’était confortablement installé dans l’un des sièges, les pieds sur l’autre, les yeux fixés sur l’écran du radar de profondeur.
« Il semble que la profondeur soit suffisante maintenant, dit-il.
— Alors, je mets les gaz », dit Luke.
Les ventilateurs tournèrent ; l’arrière s’enfonça, puis se redressa. Ils glissèrent sur la poussière à une vitesse de dix nœuds en laissant derrière eux deux sillons arrondis, peu profonds, réguliers.
L’écran du radar de profondeur enregistrait la densité en trois dimensions. Il montra un fond uni, des ondulations régulières des millions d’années avaient supprimé toutes les arêtes et autres saillies. Il y avait peu d’activité volcanique sur Mars.
Le désert était d’une platitude absolue. Des rochers brun foncé et arrondis émergeaient parfois comme des incongruités daliesques. Des cratères semblaient posés sur la poussière comme des cendriers de terre cuite mal façonnés. Certains n’avaient que quelques centimètres de diamètre. D’autres étaient si grands qu’on pouvait les voir d’une orbite. L’horizon était droit, effilé comme un rasoir, jaune en bas, rouge sang au-dessus. Nick tourna la tête pour mieux observer leur cratère s’éloigner.
Ses yeux s’écarquillèrent, puis il loucha. Quelque chose ?
« Bon Dieu ! Freinez ! cria-t-il. Demi-tour ! Virez à fond sur la gauche !
— Pour revenir au cratère ?
— Oui ! »
Luke coupa un moteur. Le canot tourna son avant vers la gauche, mais continua à glisser en crabe à travers la poussière. Puis le ventilateur de droite crocha, et le canot exécuta son demi-tour.
« Je le vois », dit Luke.
À cette distance, c’était à peine plus qu’un point, mais il se détachait nettement sur la calme mer monochrome qui l’entourait. Et il se déplaçait. Il avançait par secousses, il s’arrêtait pour se reposer, il repartait en roulant sur le côté. Il se trouvait à plusieurs centaines de mètres du mur du cratère.
Ses formes se précisèrent quand ils se rapprochèrent. Il était cylindrique comme une chenille raccourcie, et translucide ; et mou, car ils le virent se plier en se déplaçant. Il cherchait à gagner l’ouverture du mur en anneau.
Luke réduisit les gaz. Le canot ralentit, s’enfonça dans la poussière. Lorsqu’ils arrivèrent à sa hauteur et s’arrêtèrent, Luke remarqua que Nick s’était armé d’un pistolet signaleur.
Читать дальше